On sait en général de
Jean-Christian Petitfils qu’outre être le biographe plus qu’estimable de
quelques-uns de nos rois (de Louis XIII à Louis XVI), il est aussi l’auteur d’un
Jésus paru en 2011. Après ce dernier ouvrage, il va de soi qu’écrire en
un volume l’histoire de notre pays ne pouvait l’intimider.
Cette Histoire de la France,
parue chez Fayard cette année, porte un sous-titre : « le vrai roman
national ». Un parti est donc pris ici : celui de nous faire un récit
qui permette de comprendre ce qu’est notre identité nationale, comment elle est
née, comment elle s’est développée, comment elle a été menacée (et l’est encore
quelquefois aujourd’hui). Il en est, paraît-il, que ce genre d’entreprise
hérisse, comme le rappelle l’auteur dans son avant-propos. Laissons-les
grommeler et intéressons-nous à l’ouvrage.
Ce « roman national »
n’est pas un roman engagé : Jean-Christian Petitfils est trop historien
pour cela. Nous ne verrons donc pas les gentils aux prises avec les méchants. Où
qu’aillent nos sympathies, qu’elles soient préexistantes ou qu’elles se forgent
au cours de la lecture de ce récit, l’auteur ne nous impose pas les siennes,
même si, de ci, de là, elles ne peuvent que transparaître[i].
Un roman se doit, pour
mériter cette appellation, de comporter un drame, une faille, bref un
déséquilibre initial qui justifie son commencement, ainsi que quelques axes qui
structurent l’intrigue, pour ainsi dire.
Pour ce qui est du
commencement, rien à objecter : il s’agit bien du partage de l’empire
carolingien. Nous ne rencontrerons donc au détour de ces pages ni Clovis ni
encore moins Vercingétorix : ceux-là font partie d’autres histoires,
antérieures. Ce partage, observons-le, donnera aussi naissance à la nation
allemande, laquelle connaîtra des destinées fort différentes de celles de la France,
ainsi qu’à un fantôme aux résurgences variées, la Lotharingie[ii].
Quant à l’intrigue,
Jean-Christian Petitfils entend l’articuler autour de cinq piliers qui
définiraient selon lui notre identité : un Etat-nation souverain et
centralisé, un Etat de justice au service du bien commun, un Etat laïque aux
racines chrétiennes, un Etat marqué par des valeurs universelles et un Etat
multiethnique mais assimilateur. L’intrigue, donc, consistera à nous faire voir
en quoi l’histoire de notre pays se confond avec la vie de ces piliers, comment
ils ont été érigés et maintenus, tant bien que mal, combien ils ont souffert
aussi, victimes autant d’attaques franches, d’usure, de négligence ou de
bricolages. Si le procédé peut paraître un peu forcé, il tire sa légitimité de
ce « tant bien que mal » qui nous évite l’histoire fléchée d’un
perpétuel progrès dont la conclusion serait l’épanouissement d’une nation
exemplaire dont les vertus seraient enviées par le monde entier au même titre
que sa grandeur et son lustre. Certes, la couverture du livre possède des
rabats dont la décoration pourrait évoquer une galerie familiale et unanimiste
de symboles que nous pourrions finir par chérir sans condition ni exception :
fleur de lys, bonnet phrygien, feuilles de chêne et de laurier, Marianne, croix
de Lorraine, couronne royale, coq gaulois, république en majesté… Ces symboles
paraissent être là plutôt pour nous rappeler ce « tant bien que mal »,
cette succession d’équilibres et de déséquilibres (en fonction de l’état, plus
ou moins précaire, de chacun des cinq « piliers ») qui a fait notre
identité. L’équilibre, bien entendu, est précieux et le devoir d’une nation est
de le préserver, voire de le rétablir s’il a souffert, au prix d’une
inventivité permanente, ne pouvant compter sur un retour à un ordre antérieur[iii].
Ces jolis symboles, donc, suggèrent que la permanence des « piliers »
chers à Jean-Christian Petitfils a plus d’importance que les apparences de tel
ou tel régime politique, tout en partageant parfois leur précarité. Le rappel
est important, en des temps où, selon Jean-Christian Petitfils[iv], ces
piliers « paraissent fort érodés par la crise existentielle qui
traverse notre société depuis les années 1970-1980. »
Naturellement, l’appellation
« roman national » a ses limites : tout roman a un dénouement,
ce qui ne saurait être le cas ici. L’objet de ce « roman », la France,
semble encore donner quelques signes de vie. La conclusion, par conséquent, ne
saurait être que provisoire. Aussi l’auteur, de peur de se perdre dans des
détails contemporains où l’important et le futile ne sont pas encore toujours
discernables, doit-il s’arrêter à un moment donné pour dresser un bilan
provisoire et évaluer l’état des piliers qu’il a identifiés[v]. Car,
« notaire du passé, l’historien ne saurait être le journaliste de la
proche histoire et encore moins le commentateur du présent », comme l’écrit
Jean-Christian Petitfils avant de clore son récit par l’élection de M. Macron[vi].
Finissons par relever un
curieux effet de perspective : plus les temps évoqués nous sont proches,
plus riche en est l’évocation ; sur douze siècles d’histoire de France,
les dix premiers n’occupent que la moitié du livre, le chapitre 25 finissant en
1848. Certes, on peut expliquer cela par la richesse croissante des documents
disponibles, les plus anciens ayant eu plus de chances de disparaître. Mais l’effet
de grossissement devenait menaçant. Nous ne saurons donc pas, et grâces en
soient rendues à Jean-Christian Petitfils, si M. Macron a demandé aux « artistes »
qu’il a invités à l’Elysée pour la fête de la musique de l’appeler monsieur
le président…
[i] Elles sont alors assez
consensuelles, à moins d’être un nostalgique de la Terreur ou du gouvernement
de Vichy.
[ii] Si la France est un
Etat-nation et l’Allemagne une nation aux contours variés qui s’est récemment
dotée d’un véritable Etat (avec quelles vicissitudes !), que dire de la
Lotharingie ? Serait-ce un Etat-velléité ?
[iii] Soit dit en passant,
compter sur ce genre de retour fut sans doute l’erreur fondamentale, jusqu’à la
caricature parfois, d’un Charles X…
[iv] Toujours dans l’avant-propos.
[v] Chapitre 50 : « Mutations,
défis et enjeux d’aujourd’hui ». Ce titre fait un peu déjà vu, mais bon…
[vi] Au sujet duquel il
observe, de façon assez pertinente, qu’il n’est pas si « neuf » qu’il
veut s’en donner l’air, dégageant de temps à autre comme un parfum de
giscardisme.
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