Les Républicains
(Cécile Guilbert) :
Que font deux anciens
élèves d’une école plus ou moins grande lorsque, la cinquantaine venue, ils se
rencontrent après s’être perdus de vue ? Le risque est fort qu’ils aillent
prendre un verre, voire manger un morceau, et se jauger l’un l’autre, chacun
demandant à l’autre ce qu’il devient. A ce risque peut s’ajouter, s’il s’agit
d’un homme et d’une femme, le piment – un peu éventé – d’un vague reste de
désir. Si la femme est écrivain – peut-être un double de l’auteur – et si
l’homme est un de ces conseillers de politiciens interchangeables (les
politiciens ou les conseillers, c’est selon), ce sera aussi l’occasion de nous
peindre « le tableau d’un pays abîmé par l’oubli de sa grandeur
littéraire, enkysté dans la décomposition politique et le cynisme de son
oligarchie », comme l’affirme joliment la quatrième de couverture des Républicains,
roman de Cécile Guilbert.
La chose est plutôt bien
écrite, et il vient quelques bonheurs sous la plume de Mme Guilbert, comme :
« Tu en profitas
pour demander l’addition et examiner de plus près les titres de la petite
bibliothèque située à ta droite, un bric-à-brac où voisinaient Walter Scott et
Napoléon, Eugène Sue et Montaigne. Après quelques minutes, tu jetas ton dévolu
sur un volume de Benjamin Constant mais à ta grande surprise tes doigts
butèrent sur un mur de cuir : une vulgaire déco, quel gag ! »
Hormis ces quelques
plaisirs, on retire peu de chose de la lecture des Républicains :
le monde de la politique n’est pas tendre, celui des affaires non plus, et la
littérature fait rarement de vous une personne en vue. Conseillers des
« princes » chargés de secrets ou d’anecdotes et bourgeois
intellectuels, moins initiés mais prétendant penser, raisonnent comme votre
boulangère, à ceci près que leur vocabulaire est plus riche et qu’ils ne seront
jamais capables de vous fournir du pain.
Sorti en mars 2017, ce
roman ne va pas jusqu’à prédire les surprises politiques de ce printemps, se
contentant de nous dire assez justement que « l’élection présidentielle
approchait, crise épileptoïde nationale qui promettait un degré d’incertitude
inégalé dans les annales de la Ve République au couchant, menacée par la barbarie
djihadiste et livrée aux pires surenchères populistes. » On
ne saurait reprocher à Mme Guilbert de n’être point devineresse. Les italiques
rendent bien quelques tics de langage du moment…
Cécile Guilbert essaie,
dans Les Républicains, de faire varier les points de vue : récit à la
première personne (de « la fille en noir » et de Guillaume Fronsac),
à la deuxième (adressé à « la fille en noir ») ou à la troisième
personne… Le procédé n’est pas très efficace car le ton ne change guère d’un
chapitre à l’autre.
Le lecteur apprendra
quand même que les écrivains exigeants penchant à gauche ne sont pas toujours
épargnés par une forme de dégénérescence – sinon mentale, du moins stylistique
– qui frappe d’ordinaire de médiocres plumitifs d’extrême droite ; il
s’agit de cette manie qui consiste à forger des mots-valises en en emmanchant
deux de manière à les associer en une tournure qui se veut révélatrice. Ainsi,
« la pathétique Frigide Barjot » est qualifiée page 17
d’« égérie cathomophobe de la Manif pour tous ».
Gageons que ce moment de
bêtise est celui de « la fille en noir » (qui est dans ce chapitre la
narratrice) et non celui de Mme Guilbert. Nous ne saurions confondre
abusivement un personnage et son auteur.
Prises de bec (Curzio
Malaparte) :
Un des mérites (et non
des moindres) des Républicains est de nous rappeler (page 178) que la place de
la Concorde matérialise « un vide, comme l’avait bien vu Malaparte ».
Notre mémoire nous oriente vers le Journal d’un étranger à Paris,
réédité il y a déjà un bon moment. Les Belles Lettres nous proposent à présent
des Prises de bec du même Malaparte. Le livre n’est pas ouvert sans
quelque appréhension : celle, bien sûr, d’avoir affaire à un ramassis de
fonds de tiroir d’un écrivain apprécié, de ces petits morceaux sans intérêt qui
font pester contre l’affairisme charognard de certains éditeurs ; à quand
les listes de courses ou les déclarations d’impôts ?
Soyons juste : ce
n’est pas ici le cas. Il s’agit de textes parus dans un magazine italien entre
1953 et 1956, courtes chroniques de valeur inégale : un écrivain n’est pas
toujours inspiré quand il s’agit de livrer sa copie hebdomadaire, et certains
propos de circonstances perdent vite de leur intérêt. Les vues politiques de
Malaparte sont, comme toujours, fluctuantes, mais certaines sont encore justes
aujourd’hui, et pas qu’en Italie, comme ce qui est écrit du Parlement dans
« Un honnête souhait », qui ouvre l’année 1955.
Les amateurs y trouveront
cependant quelques bons morceaux de ce qui rend Malaparte aussi irritant que
séduisant : étalage de carnet d’adresse (Pie XI, la reine des Belges,
Marlène Dietrich, Paul Reynaud…), tendresse pour les petites gens
(« L’Italie de De Amicis »), sens du détail comique
(« Petit-déjeuner obligatoire ») ou anecdotes plus ou moins
drolatiques qui n’avaient pas trouvé leur place dans Kaputt (« Du
côté des catholiques »). Sans oublier, comme dans « Voyage au pays
des miracles », un sens certain de la prose poétique.
Romans inachevés (Stendhal) :
S’il faut parler
d’exploitation des fonds de tiroir d’un grand écrivain, c’est bien à l’occasion
de la parution (dans les « Cahiers Rouges » chez Grasset) des Romans
inachevés de Stendhal, qui nous sont fourgués avec une bande les disant
inédits et une présentation par le Stendhal Club.
Sur le caractère inédit
de ces morceaux, toussotons : tous ces embryons, faux départs ou vagues
projets sont en fait disponibles depuis 1982, parmi encore d’autres, dans un
volume intitulé Le Rose et le Vert, Mina de Vanghel et autres nouvelles,
préfacé et annoté par Victor Del Litto, professeur à l’université de Grenoble
(« Folio classique » n° 1381). Reconnaissons qu’ils sont assez
oubliables (y compris par Stendhal lui-même, selon toute vraisemblance) pour
que le lecteur qui possèderait ce volume se soit laissé avoir par ce coup des
éditions Grasset. Il s’agit ou bien d’ébauches de deux ou trois pages, ou bien
de longs débuts poussifs (Une Position sociale) ou bien de départs en
fanfare se perdant dans les sables faute de savoir où aller ensuite (Féder,
de loin le plus intéressant, par son ton, son sens du portrait, sa drôlerie…).
Quant à la présentation
par le Stendhal Club… MM Charles Dantzig, Dominique Fernandez et Arthur
Chevallier y échangent platitudes et extravagances, imaginent des films
impossibles, placent le mot « gay » (c’est devenue une manie chez M.
Dantzig), se demandent s’ils veulent encore un coca, se comparent à Valery
Larbaud et traitent – en prenant la voix de Stendhal – d’écrivaillons les Hussards
avant de s’en prendre aux professeurs d’université. C’est que Hussards
et universitaires auraient classé Stendhal « à droite » (ah
bon ?). Scrogneugneu, Stendhal est à gauche, qu’on se le dise !
Observons au passage que d’ordinaire c’est aux gens de droite que l’on reproche
une certaine démagogie anti-universitaire. Savoir qu’elle existe aussi à gauche
est somme toute rafraîchissant.
Quoi qu’il en soit, ce
mini-Stendhal et les propos papillonnants de trois messieurs se voulant
probablement stendhaleux ne nous stendhalisent guère.
Pour vous consoler de votre déception, une petite citation de Stendhal que je trouve remarquable de finesse.
RépondreSupprimer« Un voyageur note ce qu'il trouve de singulier : s'il ne dit pas qu'il fait jour en plein midi à Modène, en conclurez-vous que le soleil ne se lève pas sur le quartier général des jésuites ? Un voyageur note les différences ; entendez que tout ce dont il ne parle pas se fait comme en France.
Rien de plus faux que cette dernière ligne. Non, l'action la plus simple ne se fait pas à Rome comme à Paris mais cette différence à expliquer, c'est le comble de la difficulté. Un de mes amis l'a tenté autrefois, les gens graves ont dit qu'il était chimérique. Leurs yeux accoutumés à se fixer sur les grands intérêts des peuples, ne voient pas les nuances de mœurs et de passions. » (Promenades dans Rome, 10 novembre 1827)
Merci pour cette citation, elle est bien consolante en effet, par sa finesse d'une part et par l'invitation à la finesse qu'elle contient d'autre part. Sans compter qu'elle rappelle que Stendhal vaut bien mieux que des brouillons trouvés dans ses papiers épars après sa mort !
SupprimerS.L.