Tout ou presque aura été
dit de quelques personnalités décédées cet été. N’en ajoutons donc pas et
contentons-nous de saluer la silhouette de Jeanne Moreau errant dans un Paris
nocturne, filmée par Louis Malle, récitant un monologue écrit par Roger Nimier
tandis que nous entendons la trompette de Miles Davis[i], dans
Ascenseur pour l’échafaud[ii].
Une autre silhouette à
saluer est celle de Claude Rich, que la même Jeanne Moreau, dix ans après
Ascenseur pour l’échafaud, défenestrait dans La Mariée était en noir[iii].
L’air sans âge de vieux jeune homme détaché, ironique et gourmand qu’il
affichait dans tous ses rôles faisait merveille, aussi bien dans Le Caporal
épinglé[iv] que
dans Les Tontons flingueurs… Cet air confine à la perfection quand il prend
les nuances aigres d’une rage sourde, comme dans Le Crabe-tambour, par
exemple. Et comment ne pas saluer un homme qui dit un jour : « J’aime
Dieu. Je le fréquente tous les dimanches » ?
A propos de gourmandise,
nos amis les journalistes n’ont pas manqué de faire un tour en cuisine pour
rendre hommage à Christian Millau, en qui pour la plupart ils n’ont retenu que
le critique gastronomique, « inventeur-de-la-nouvelle-cuisine »
et « créateur-avec-Henri-Gault-du-guide-qui-porte-leur-nom ».
C’est injuste, car il eût aussi fallu saluer un peu plus celui qui, jeune
homme, côtoya de nombreux artistes et écrivains et, l’âge venu sut en parler
avec quelque bonheur, notamment dans Au galop des hussards.
Naturellement, on n’aura
pas manqué de dire qu’avec de telles figures c’est tout une époque qui s’efface
encore un peu. C’est banal, mais les banalités ne sont pas toujours fausses.
Les nécrologies, les
éloges ou les hommages ne sont pas toujours aussi élégants, par exemple lorsque
l’on tombe dans le monde de la politique. Il se dit par exemple qu’à l’occasion
de la mort de Simone Veil une journaliste aurait reçu de Mme Sibeth Ndiaye,
ministre de quelque chose, un message confirmant censé lui confirmer
l’événement : « Yes, la meuf est dead ». Mme Ndiaye a
tenu à démentir ces faits réels ou supposés – et on la comprend. De sorte que
nous jetterons sur cette affaire un voile pudique, ne sachant à quoi nous en tenir entre la
parole d’une ministre et celle d’une journaliste.
Ce qui s’est raconté à la
mort de Nicole Bricq est plus frappant. Cette dame fut ministre de quelque
chose du temps de M. Hollande, avant de redevenir sénatrice et de se rallier à
la « majorité de M. Macron ». Or voici que sa suppléante, une
certaine Mme Lipietz, s’est crue obligée – ou libre – de tenir les propos
suivants après la mort accidentelle de Nicole Bricq : « Nicole est
morte, me revoilà peut-être sénatrice »[v].
D’aucuns ont trouvé
léger, voire indécent, le ton presque guilleret employé par Mme Lipietz. Il est
vrai que ces propos ne sont pas sans rappeler ceux que doit rituellement tenir
le popotier à la fin du discours par lequel il ouvre un repas de militaires[vi].
Certes, ce ton paraît pour le moins déplacé dans de telles circonstances. Mais ce
qui frappe encore plus, y compris dans les réponses que cette dame a faites aux
critiques, c’est qu’elle ramène tout à elle : moâ, moâ, moâ, clame-t-elle…
Il n’est après tout demandé à personne de moasser ainsi aux enterrements.
[i] Il sied de rappeler que
l’éminent trompettiste était entouré à cette occasion de Barney Wilen
(saxophone ténor), René Urtreger (piano), Pierre Michelot (contrebasse) et
Kenny Clarke (batterie), ce qui, somme toute, est plus qu’honnête.
[ii] Un film de pure
forme : avec un argument bien mince, il repose entièrement sur les
acteurs, la réalisation, les dialogues et la musique.
[iii] Ce film, réalisé en 1967
par François Truffaut, a un peu moins bien vieilli que le précédent.
[iv] Curieuse et intéressante
– quoique fort infidèle – adaptation par un Jean Renoir vieillissant du récit
plus que recommandable de Jacques Perret, qui porte le même titre.
[v] Voir ici.
[vi] De mémoire : « Bon appétit, messieurs ! Que la
première vous régale et que la dernière vous étouffe, dans l’ordre hiérarchique
descendant, afin de faciliter par les voies naturelles l’avancement dans
l’armée française, ce dont je serai le dernier et indigne bénéficiaire. »
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