Force m’est d’avouer que j’entretiens un rapport
étrange avec M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, depuis
quelques mois. Un jour d’avril, en effet, alors que je déjeunais dans un café,
le garçon se mit à me dévisager d’un air curieux. Il finit par me dire qu’il me
trouvait une ressemblance avec un ministre, mais lequel ? Ah oui, Peillon !
Devant mon étonnement, il ajouta que cette ressemblance lui avait sans doute
été suggérée par la monture de mes lunettes. Et, vu la tiédeur de ma réaction,
précisa que cette ressemblance lui paraissait somme toute assez vague. Je lui
confirmai, plus souriant, qu’elle devait être bien vague, en effet.
-
Ils n’ont pas
la cote, en ce moment, conclut-il.
-
Non,
acquiésçai-je.
D’autant que M. Peillon est l’auteur de propos assez
ahurissants, comme :
« La
révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l’école
a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses
attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. C’est une
nouvelle naissance, une transsubstantiation qu’opère dans l’école et par l’école
cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses
nouvelles tables de la loi. »
J’avoue ne pas avoir lu La révolution française n’est pas terminée, livre publié par M.
Peillon en 2008 aux éditions du Seuil, mais une telle citation suffit à m’édifier.
Venant de je ne sais quel zinzin utopiste de 1848, cela prêterait à rire et
aurait sa place dans un tableau digne de L’éducation
sentimentale, mais voilà, l’auteur de tels propos est aujourd’hui ministre.
Je me demande si je ne vais pas devoir remplacer la monture de mes lunettes.
Cette allusion à 1848 n’est pas un hasard. La dimension
religieuse du républicanisme le plus forcené et la rage à se substituer à l’Eglise
ne sont pas des nouveautés.
Le sacré républicain
J’ai déjà évoqué cet été les haussements d’épaules
que provoquent chez moi les festivités du 14 juillet. On croit souvent que ces
festivités commémorent la prise de la Bastille en 1789 alors qu’officiellement
elles commémorent la commémoration de cet événement que fut la Fête de la Fédération, le 14 juillet
1790. Ce jour-là, une messe fut célébrée sur le Champ-de Mars, présidée par
Talleyrand, évêque dont on connaît l’élévation mystique.
Ce goût de la mascarade ou de la substitution aux
signes du catholicisme se retrouverait, si l’on en croit Léon Bloy[i],
dans les bustes de Marianne (qu’il qualifie de « salope de plâtre »)
qui se multiplièrent dans les édifices publics dès la troisième république :
on donna à la vénération des Français, au lieu d’une personne incarnée (la
Sainte-Vierge) un personnage imaginaire, censé symboliser je ne sais quelle
abstraite liberté, auquel on donne de temps à autre la tête d’une actrice
célèbre du moment…
Tout cela (pétards et jolis minois) n’est bien
entendu que de la petite bière à côté du temple des grands hommes de la nation,
le Panthéon. Encore un bel exemple de substitution.
Encore un souvenir personnel
Je suis entré une fois dans cette intimidante
commode. Ce devait être au printemps de 1978, ce qui me faisait un peu moins de
six ans. Le souvenir de cette visite est donc un rien confus, quoique je me
rappelle un lieu sombre et poussiéreux, suintant l’ennui. Des peintures froides
(Puvis de Chavannes ?) qui l’ornent, je n’ai retenu que celles qui
représentent le martyre de Saint-Denis et le miracle qui s’ensuivit :
Saint-Denis marchant, sa tête fraîchement coupée sous le bras, pour aller
trouver le repos éternel au lieu qui prendra pour nom Montmartre. Commençant à
connaître quelques bribes d’histoire de France, je pensai qu’il était dommage
que Louis XVI n’ait pas eu le droit d’user d’un tel procédé.
Comme on le voit, la République et moi, c’était mal
parti.
L’ennui presque angoissant qui suintait d’un tel
lieu est, je veux bien en convenir, un souvenir largement reconstitué. Mais je
parierais que la différence d’avec une basilique ou une cathédrale devait déjà
confusément m’apparaître. Dans une église d’une certaine taille (comparable à
celle du Panthéon), on peut voir à toute heure des gens qui prient, des cierges
ou des veilleuses qui brûlent, prolongeant des prières et une présence divine
signifiée par la lampe qui brûle auprès du tabernacle. Peut-être toute cette
vie est-elle rendue possible par le fait de savoir que l’on s’adresse à Quelqu’un (ou à l’intercession auprès de
Quelqu’un) en priant. Au Panthéon,
rien[ii].
Un peu d’histoire
Mais je vous entretenais de substitution. Le bâtiment
qui abrite le Panthéon fut à l’origine une église, érigée à la suite d’un vœu de
Louis XV. La croix qui surmonte encore aujourd’hui son dôme en témoigne. Ce n’est
que pendant la révolution qu’elle connut sa transformation en caveau
républicain. Avant de redevenir église, puis Panthéon, puis église, puis
Panthéon…
Cette histoire est fort bien résumée dans le Dictionnaire historique des rues de Paris
de Jacques Hillairet[iii] et savoureusement
évoquée dans un chapitre du XIXe siècle à
travers les âges, de Philippe Muray.
Le souvenir sépulcral, quelque peu rebutant, de l’intérieur
du Panthéon me revient toujours lorsque je passe sur la place du même nom :
avez-vous remarqué, en effet, comme ses murs sont aveugles ? On dirait d’un
tombeau géant, comme hypertrophié. Or il se trouve que l’église
Sainte-Geneviève (tel était son nom, à l’origine) possédait de grands vitraux
dont les ouvertures furent murées à la Révolution. Le Dictionnaire déjà cité plus haut présente sobrement cette
transformation :
« L’église,
achevée au début de la Révolution, était loin d’être le monument de nos jours. Elle
avait alors 42 hautes baies (on reconnaît leur emplacement dans les mornes
façades actuelles), deux clochers de section carrée, de près de 40 mètres de
haut…[iv] »
En cherchant bien, on pourrait conclure de cet
emmurement que là où le catholicisme appelle et utilise la lumière et les
couleurs comme moyens missionnaires, le sépulcral culte républicain des morts
se plaît à une obscurité qui aurait un caractère pourquoi pas ésotérique, voire
occultiste. Je ne m’attarderai pas sur ces considérations, qui sont
exposées et développées avec érudition et ironie par Muray dans le déjà évoqué XIXe siècle à travers les âges (à ceci
près que ce livre traite plus précisément des rapports du socialisme avec l’occultisme).
Toujours pour comparer la religion catholique et la
religion républicaine appelée par les vœux de M. Peillon, il me semble que la
seconde, fabriquée de bric et de broc par la seule volonté de quelques-uns, est
terriblement datée. Et que, comme
tout ce qui est daté, elle se démode.
Panthéonisez-les tous !
Qui, du reste, s’intéresse au Panthéon, de nos jours ?
Oh, quelques touristes venus de loin doivent bien s’y égarer. Je ne saurais
dire combien de Parisiens s’y sont aventurés.
Nos politiciens, en revanche, et quelques
intellectuels aussi (pour ne pas mentionner les journalistes), parviennent
encore, en se battant les flancs, à s’échauffer momentanément sur ce lieu de
leurs rituels fatigués[v].
Et, de temps en temps, un président caresse le projet d’ajouter un grand homme à la liste des
pensionnaires.
En ce moment, par exemple, l’individu-dont-j’ai-oublié-le-nom
(etc.) manifeste cette haute ambition. On parle d’y mettre le corps d’une femme
célèbre, car la Panthéon manquerait de femmes. Des noms circulent (Olympe de
Gouges, Simone de Beauvoir…). Une consultation a même été lancée sur le site
internet du Panthéon (attention, elle prend fin ce soir !).
Personnellement, je n’ai pas profité de cette consultation, n’étant pas de la
secte. J’aurais bien, sinon, proposé le nom de quelques femmes qui illustrèrent
l’histoire de notre république : pourquoi pas Thérèse Humbert, Marthe
Hanau ou, mieux encore, Marthe Richard (vous savez bien, la veuve qui clôt) ? Cette dernière me semble parfaite :
vraie prostituée, fausse espionne (ses exploits de la Grande Guerre,
intégralement inventés, lui valurent la légion d’honneur !), fausse
résistante… Avec elle, on entre enfin dans le monde moderne : tout n’est que
récit (pardon : story-telling),
sauf le sordide.
Mais au fond, si ces gens aiment à prendre des
vessies pour des lanternes, je leur suggère de transférer les cendres (comme ils disent) d’Emma Bovary, pionnière
de l’esprit contemporain. Ce serait d'autant plus pratique qu’aucun de ses
parents ne serait en mesure de s’y opposer.
En tout cas, de grâce, personne d’estimable ou de
sérieux. Certains ont cité le nom d’Albert Camus. Pour ma part, je respecte
trop cet esprit probe (avec lequel je me sens peu en commun, mais…) pour voir
sa dépouille finir en un tel lieu. Qu’on laisse reposer son corps là où ceux
qui l’aimaient – et ceux qui l’aiment – ont choisi de l’enterrer.
Proposition de renouvellement des
pompes républicaines
Pourquoi, aussi, toujours se tourner vers les morts ?
Et les vivants, alors ? Oui, créez donc un Panthéon vivant ; à peu près toute la classe politique y serait admise. Abrités de nos regards et de nos
oreilles par les murs sourds et aveugles du grand édifice, les politiciens
pourraient à loisir s’époumoner et s’empoigner sur leur interprétation du pacte républicain (tic de langage à la
mode ; ne me demandez pas ce que cela signifie). Sans déranger personne,
laissant chacun vaquer à ses occupations en paix. Chaque semaine, un
détachement de la Garde Républicaine, musique en tête, viendrait ravitailler
les grandes femmes et les grands hommes. Ce serait un spectacle édifiant pour
les enfants et cela ferait prendre l’air aux magnifiques chevaux de notre
gendarmerie.
Et lorsqu’il en mourrait un, de temps en temps, il
pourra être enterré aussitôt, sur place. Dans un moment solennel, les
politiciens rivaliseraient d’éloquence pour saluer sa mémoire. Et ils en
seraient fort émus.
[i] Bloy évoque aussi un 14
juillet en ne cachant rien de ce que lui inspire la grossièreté de telles
réjouissances, dans un beau passage de La
femme pauvre.
[ii] Sinon quelques ossements
et de vagues sentiments, comme l’annonce fièrement le dernier couplet de la Marseillaise, le plus allumé, le plus kitsch de tous ; je ne résiste pas
à l’envie de vous le rappeler :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.
Sublimement amphigourique, non ?
[iii] Magnifique ouvrage en
deux lourds volumes, paru aux éditions de Minuit pour la première fois en 1963,
et dédié à tous les Parisiens et amis de
Paris. Indispensable.
[iv] J’aime assez ce mornes façades. Quelques autres entrées
de ce dictionnaire, lorsqu’elles retracent des épisodes de la Révolution – et en
particulier de la Terreur – qui s’y produisirent, me font soupçonner que le
colonel Coussillan (vrai nom d’Hillairet) ne devait pas être un républicain des
plus ardents. Mais je peux me tromper.
[v] Comment ne pas rappeler
cette descente de François Mitterrand dans ces ennuyeuses cryptes, en 1981 ?
L’homme, au milieu des grands hommes, seul avec toute une équipe de télévision…
Je me demande à quel point Mitterrand, grand cynique, ne se moquait pas de ses
admirateurs éperdus…
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