Ce que j’aime dans notre époque, c’est le caractère
inépuisable qu’elle confère à mes travaux absurdographiques. Quelques esprits
sages me diront qu’il en a toujours été ainsi, mais j’en doute. Foin de
bavardage. Commençons donc.
Dove e la
pasta ?
On apprenait la semaine dernière que M. Guido
Barilla, président de la société fabriquant les pâtes du même nom, avait
déclaré ce qui suit :
« Je ne
ferai jamais un spot avec une famille homosexuelle, pas par manque de respect,
mais parce que je ne suis pas d’accord avec eux. Notre famille est de type
traditionnel ; la femme y occupe un rôle fondamental. »
Cette déclaration, tirée je crois d’un entretien
télévisé ou radiophonique, a aussitôt soulevé des cris d’indignation chez les
pleureuses officielles du moment. Il en est même pour appeler au boycott des
pâtes fabriquées par M. Barilla et ses ouvriers. Ce qui ne m’empêchera pas de
continuer d’apprécier mes linguine genovesi.
Pirouette à part, l’épisode donne quand même un peu
à penser. Je ne veux pas parler des réactions hystériques provoquées chez les
quelques énervés de service, qui ne sont en rien une surprise. Il convient de
les saluer d’un haussement d’épaules. Non, je pense plutôt aux propos mêmes de
M. Barilla. Il y a fort à parier qu’il les a tenus en répondant à une
question : mais quel pouvait être l’intérêt d’une telle question ? Et
celui de la réponse à cette supposée question ? A la place de M. Barilla,
je me serais contenté de répondre à cette question oiseuse par une autre
question : « Auriez-vous, je vous prie, des questions intéressantes à
me poser ? Le temps de vos auditeurs et le mien sont précieux. La vie est
toujours trop courte. »
On accuse souvent les personnes attachées à une
société reposant sur des traditions, et en particulier les catholiques[i],
d’être obsédées par tout ce qui tourne autour de l’homosexualité. En ne
manquant pas d’insister sur leur (notre) arriération
culturelle. Mais je voudrais bien que quelqu’un me dise qui commence par
poser les questions auxquelles certaines de ces personnes se croient obligées
de répondre.
J’évoquais brièvement la semaine dernière les
récents propos du Pape. Sur ce genre de questions, il a, je crois, cent fois
raison : ne tombons pas dans le piège qui consiste à nous enfermer dans la
critique permanente de quelques aspects du monde jusqu’à ne voir que ces
aspects. Ce n’est pas l’essentiel, même s’il est nécessaire parfois de l’ouvrir[ii].
Ou de dire leur fait aux policiers de la pensée en refusant de répondre à leurs
interrogatoires.
Bricolages dans le calendrier
Toujours la semaine dernière, Mme Dounia Bouzar,
membre de l’Observatoire de la laïcité,
déclarait que « la France doit
remplacer deux fêtes chrétiennes par Yom Kippour et l’Aïd. » Passons sur
ce que peut être cet observatoire, un de plus parmi les innombrables comités,
commissions ou conseils qui fleurissent sur le noble fumier de notre non moins
noble république. J’ignore leurs fonctions précises à part celle de donner des
jetons de présence à quelques copains… Peu importe.
L’important est plutôt ce que nous dit Mme
Bouzar : pourquoi deux fêtes
chrétiennes ? Pourquoi pas une
ou trois ? Pourquoi des fêtes chrétiennes, pourquoi pas le 14 juillet ?
Pourquoi les remplacer et ne pas accumuler les fêtes ? Pourquoi les
remplacer seulement par des fêtes juives ou musulmanes ? Quid des Hindous,
des Bouddhistes, des Sikhs (et j’en oublie) ?
Je signale à toutes fins utiles à ceux que les
propositions de Mme Bouzar pourraient séduire que certains jours du calendrier
chrétien ne sont déjà pas officiellement fériés en France. Pour ma part, je
prends un jour de congé le Vendredi Saint. Sans rien revendiquer. D’autres
peuvent en faire autant en ce qui concerne leur religion.
A propos de congés et de religion, revient en ce
moment le sempiternel débat sur le travail du dimanche. Ne me demandez pas un
avis définitif. Je n’ai aucune autorité pour imposer quoi que ce soit à qui que
ce soit. Chacun peut faire ce qu’il veut. En se rappelant que le dimanche est
un jour de liberté : liberté de baguenauder, de dormir, de voir sa famille
ou ses amis ; de prier aussi. Et qu’à force de vouloir posséder toujours
plus on peut finir par être un esclave qui n’aura que plus de chaînes (je dis
cela pour ceux qui ont déjà tout le nécessaire). De plus, on peut aussi veiller
à ce que l’autorisation de travailler le dimanche ne devienne pas une
obligation (tout en sachant que certains métiers imposent des astreintes
indispensables – pompier ou médecin, par exemple – et qu’il faut leur rendre
grâce de se soumettre à ce service).
Défense et illustration (en quelques
mots) de Léon Bloy
Vendredi dernier, une brève sur le site du Figaro m’apprenait que la LICRA avait
attaqué en justice les éditions « Kontre Kulture » (nom qui ne
s’invente pas), liées à M. Alain Soral, pour avoir réédité cinq livres qu’elle
qualifie d’antisémites. Or, parmi les
cinq titres cités par la LICRA, on trouve La
France juive d’Edouard Drumont et Le
salut par les Juifs de Léon Bloy.
La présence de ce dernier titre dans cette liste, à
côté de celui de Drumont, me laisse pour le moins perplexe, pour deux raisons.
J’en suis à me demander qui, de M. Soral ou de la LICRA, manifeste le plus
d’inculture. Je m’explique :
J’ignore quelles sont les intentions de M. Soral en plaçant
côte à côte dans la même collection Le
salut par les Juifs (ou tout livre de Bloy) et La France juive, mais cela me semble relever d’un grossier
contresens.
Quant à la LICRA, qu’elle attaque donc aussi les
éditions « La part commune », lesquelles ont réédité il y a quelques
années Le salut par les Juifs. Je
possède d’ailleurs un exemplaire de cette réédition, ainsi que de celles
d’autres ouvrages de Bloy rendus accessibles par cette méritante maison (Le désespéré, La femme pauvre, Sueur de
sang…). Signalons au passage que le Mercure de France avait réalisé entre
1964 et 1975 une remarquable édition des œuvres complètes de Bloy, largement
épuisée maintenant : on se demande ce qu’attendent ces gens, assis sur un
trésor.
Pour revenir au Salut
par les Juifs, ce n’est en rien un livre antisémite, au contraire. C’est un
ouvrage dont la lecture est difficile, certes, prenant la défense du peuple
juif d’un point de vue mystique et eschatologique, propre à susciter des
malentendus et des contresens, à une époque où de telles préoccupations peuvent
paraître folles – ce qui du reste était déjà le cas en 1892. Il fut écrit contre Drumont et sa France juive, que Bloy abhorrait. Il
commence par ces mots :
« L’histoire
des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve,
pour en élever le niveau… »
Au demeurant, le journal de Bloy est rempli
d’allusions à son aversion pour l’antisémitisme et au moment de l’affaire
Dreyfus il marqua son mépris aussi bien pour les Dreyfusards (qui pour certains
défendirent moins le capitaine Dreyfus qu’ils ne voulurent attaquer l’armée ou
l’Eglise) que pour les Antidreyfusards (bêtes, vulgaires, antisémites) :
qu’on lise à ce sujet Je m’accuse
pour se faire une idée (Je m’accuse
est de plus une expérience littéraire originale et intéressante).
Quant au Salut
par les Juifs, on rappellera qu’il fut un des livres de Bloy qui
rapprochèrent Jacques et Raïssa Maritain de son auteur, firent naître et
croître leur amitié pour lui (une amitié qui demeurera au-delà de la mort de
Bloy en 1917) et contribuèrent de la sorte à leur conversion. Pour leur
baptême, en 1906, Bloy sera leur parrain. Et Véra Oumantsoff, la sœur de Raïssa
Maritain, les suivra…
Comment veut-on que deux jeunes femmes d’origine
juive (Raïssa et Véra Oumantsoff) aient pu vivre une si grande amitié avec Léon
Bloy et, sous son influence, se convertir au catholicisme, en ayant lu un
vulgaire pamphlet antisémite ???
D’ailleurs, si la LICRA tient absolument à chercher
des poux à un grand écrivain mort, qu’elle s’attaque plutôt à La grande peur des bien-pensants, de
Georges Bernanos[iii].
Lequel, il est vrai, amenda ses propos sur les Juifs après les atrocités que
l’on sait. A ce sujet, on citera la préface de Bernard Frank qui figure dans
une réédition de 1998 (au « Livre de poche », dangereuse officine
antisémite) :
« Vous
pouvez lire La grande peur des bien-pensants. D’ailleurs, vous n’aviez besoin de personne pour le faire. Quand un
écrivain est un écrivain, on peut tout lire de lui forcément. Avec tendresse et
férocité, comme Bernanos lisait. »
Bernard Frank devait savoir de quoi il parlait,
ayant dû, disons, passer une adolescence assez discrète pendant l’occupation,
pour échapper à la persécution des Juifs. D’une manière plus confortable que
d’autres, certainement, mais quand même je crois qu’il était plus qualifié pour
parler d’antisémitisme que je ne sais quel sycophante de la LICRA en 2013.
Et enfin, il y a écrivain et écrivain : je lis,
je relis Bloy et Bernanos, j’aime leurs écrits et il est probable que d’autres,
de sensibilités et d’opinions diverses, les lisent, les relisent et les aiment
aussi, pour des raisons variées, bonnes ou mauvaises. Quant à Drumont, si vous
tenez absolument à connaître mon avis, eh bien, je m’en fous.
[i]
Rappelons-nous alors que si nous sommes souvent « conservateurs »,
voire « réactionnaires », cela n’est qu’une conséquence de certaines raisons spirituelles…
[iii]
Pour résumer grossièrement cet écrit : un éloge de Drumont…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).