samedi 12 octobre 2013

Absurdographie (4) : et après ?

Voici donc quelques relevés pour cette semaine. Pas toujours joyeux.
 
A propos de naufrages
Il a beaucoup été question de naufrages et de naufragés ces derniers jours : à Lampedusa la semaine dernière et cette semaine près de Malte, des barques remplies de centaines de migrants africains ont chaviré, tuant bon nombre de leurs passagers. Naturellement, il n’est pas question d’en rire : quiconque a une âme ne peut que le déplorer et avoir une pensée (ou une prière) pour ces gens.
En me promenant ici et là sur quelques blogs ou sites où les intervenants disent parfois vouloir défendre l’occident chrétien, il m’arrive cependant de lire que ces migrants seraient des envahisseurs, des agents du grand remplacement, et partant des ennemis ; et que, de ce fait, il ne conviendrait pas de verser une seule larme sur ces naufragés, mais au contraire de considérer qu’un nouvel assaut a été repoussé. Drôle de manière de défendre l’Europe et la chrétienté, sans être chrétiens. Les intéressés pourront toujours me répliquer que je me trompe, que je me fais le complice du susnommé remplacement, sans trop me dire pourquoi, mais sûrs de leur autorité, car ils sont certainement plus catholiques que le Pape.
Que leur répondre ? Essayons toujours ceci :
Premièrement : même dans le cas où il serait un ennemi, un naufragé est un naufragé et un blessé un blessé. Lui porter secours autant que possible est un devoir. De même que déplorer sa mort s’il n’a pu être sauvé. Voilà pour les devoirs humains les plus élémentaires. Du point de vue chrétien, on peut aussi se rappeler que le Christ nous enseigne d’aimer nos ennemis. Si tant est que ces gens sont nos ennemis, ce que je ne crois pas.
Deuxièmement : je ne suis pas plus désireux qu’eux de quelque remplacement que ce soit de la civilisation à laquelle je prétends appartenir. Seulement, je ne crois pas qu’elle survivra longtemps si elle s’abrite derrière de hauts murs, à l’abri desquels nous pourrions rester entre nous. Elle se dessécherait. Et, pour ma part, je crois bien que je finirais par m’ennuyer.
Troisièmement : le problème n’est pas là. Il me semble qu’accueillir des étrangers n’est pas impossible à une civilisation qui a la force de les assimiler. Si nous avons peur d’être remplacés, c’est que nous sommes faibles et parvenus à un degré d’avachissement qui fait que tout migrant ne peut nous considérer qu’avec mépris. Et s’installer comme chez lui, nous dictant ses règles, puisqu’il en a, lui. Le seul point où je rejoins ces tristes défenseurs, c’est qu’il est nécessaire de s’opposer à cet avachissement moral aussi bien que spirituel, à cette destruction systématique et voulue de toutes nos traditions. Il y a bien du travail et, lorsque le gros sera fait, il sera possible d’accueillir qui viendra ou de l’aider à acquérir les moyens de vivre décemment chez lui.
J’en conviens, il y a peu à espérer du côté des politiciens, en France ou en Europe. Lorsqu’il s’agit d’Afrique, par exemple, je me demande quelle est la part des budgets de « coopération » vraiment utilisée de manière efficace et non à organiser d’inutiles sommets avec quelques potentats – vieux et corrompus ou jeunes et brutaux – pendant que le quidam africain peine à cultiver son champ.
Pourtant, ce sont bien les politiciens qui ont le pouvoir de faire quelque chose. Je n’ai pas de solution précise à leur proposer, mais ils sont payés pour réfléchir à ce genre de question, non ? A moins qu’ils n’en aient pas le temps, retenus par des sujets plus brûlants.
 
Pipes de réglisse et potagers
Songez, par exemple, que ce mardi, le parlement européen a débattu et voté au sujet de je ne sais quelle réglementation antitabac, et a dû notamment statuer sur le sort des pipes en réglisse et des cigarettes en chocolat. Grave question ! Les enfants seraient-ils incités à fumer par de telles friandises ? C’est quand même plus sérieux que le bousin permanent en Afrique et le désespoir de pas mal d’Africains, prêts à n’importe quoi pour partir de chez eux, non ?
(Pour ceux qui souhaiteraient connaître l’issue de ces essentielles délibérations, les pipes en réglisse et les cigarettes en chocolat, si j’ai bien compris, demeureront légales dans l’Union Européenne jusqu’à nouvel ordre.)
On sait, du reste, que l’Union Européenne ne veut que le bonheur des Européens. En envisageant, par exemple, de leur éviter de cultiver n’importe quoi dans leur potager, si j’en crois le blog de Patrice dePlunkett.
 
On n’est pas plus mort
La semaine dernière, on apprenait qu’en Belgique une femme souhaitant devenir un homme s’était « fait euthanasier » à la suite d’une opération manquée, afin de mettre un terme à ses « souffrances psychiques ». En résumé, voilà une personne qui a exigé – et obtenu – l’assentiment et l’assistance d’un service public pour se suicider, après avoir voulu subir une opération folle et certainement dangereuse.
Je pourrais ironiser sur cette sinistre histoire si elle n’avait pas amené cette personne à la mort, avec la complicité active de la société qui l’entoure, trop heureuse de se débarrasser d’un « cas » délicat, ce qui est toujours plus facile que d’aider – patiemment – cette personne à comprendre qu’elle était une femme et qu’elle devait bien l’accepter. Mais non : à la trappe, les soucis !
Cette horrible affaire me rappelle un court roman d’Evelyn Waugh, Love Among the Ruins, que j’avais évoqué ici il y a quelques mois (mais dans ce roman il s’agit plutôt d’une femme à barbe qui souhaite mourir en s’adressant à un centre d’euthanasie d’Etat). Ce roman est extrêmement drôle, et il faut supposer qu’il y a soixante ans, ce qui n’était qu’une possibilité romanesque pouvait être traité par un éclat de rire aussi ravageur que salutaire. Maintenant, c’est à balles réelles.
A propos de mort et de balles, si je puis dire, nous avons pu voir quels hommages ont été rendus en France cette semaine au général Giap, tant par la presse que par notre ministre des affaires étrangères. Je n’ai rien à dire de ses qualités – supposées ou réelles – de stratège, n’étant pas expert en la question, mais il serait bon de se rappeler quel fut le traitement réservé aux prisonniers français de Diên-Biên-Phu et combien moururent de faim, de tortures ou d’exécutions sommaires. De cela, rien : nos journaux auront parlé du héros de l’indépendance vietnamienne ou encore du tombeur des Français. Joli exemple de haine de soi.
Puisqu’il est question de communistes et de mort, voilà qui me fait penser à certains passages d’une lecture récente, La Volga naît en Europe (dont il faudra que je vous parle plus longuement, mais pas ce soir), où Curzio Malaparte décrit des tombes de soldats soviétiques, sur le front finlandais, en 1942 : des monuments de tôle qui donnent aux cimetières où ils se trouvent l’aspect de cours d’usines abandonnées. J’y ai été aidé, il faut en convenir, par un article lu jeudi sur le site du Figaro : Les tombes colorées, une nouvelle tendance. L’article commence ainsi : « couleurs vives ou formes étonnantes, les monuments funéraires évoluent. A l’image des défunts, les tombes sont désormais sources de créativité ». Et de nous vanter les nouvelles créations, « légères et modulables », « rapides et faciles à poser », faisant « rentrer l’art dans le funéraire ». Cité dans ce même article, le directeur général de la confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie affirme que de telles initiatives ne peuvent qu’être encouragées : « Il faut que le cimetière vive avec son temps », assure, joyeux ou grave, je ne sais, le primus inter pares des croque-morts.
Cela ne m’a pas, évidemment, fait penser qu’à Malaparte. Revenons donc à Waugh, qui était décidément un prophète ! La disneylandisation – fort lucrative – des cimetières est le prétexte d’un autre bref roman, paru en 1948 : Le cher disparu (The Loved One). Mais, à l’époque, une telle farce n’était possible qu’en Amérique !
La parution dans le Figaro d’un tel article m’amuse : voilà un journal prêt à défendre tout ce qui fonde notre civilisation et nos traditions, dès lors que le gouvernement les attaque : c’est que nous sommes gouvernés par des socialistes, ce qui est très mal. En revanche, pour le reste, eh bien, les affaires sont les affaires, n’est-ce pas ?
 
Vers la contre-révolution ???
Résumons-nous : alors qu’elle devrait se montrer forte et généreuse (l’un ne va pas sans l’autre, à mon avis, dans les deux sens) pour permettre à des continents moins fortunés de vivre mieux (je ne dis pas parfaitement, n’étant pas de gauche, mais simplement mieux), l’Europe est trop occupée à se renier, à se haïr et à se suicider. N’en accusons pas seulement les gouvernants, constatons aussi qu’il y a pas mal de margoulins et de gogos pour suivre le mouvement. Et c’est ainsi que nous serons remplacés, par des populations plus jeunes, plus vives, qui n’auront pour nous que du mépris là où elles auraient pu éprouver de l’admiration et de la reconnaissance.
Les exemples sont assez grotesques pour en rire parfois, mais il y a aussi de quoi pleurer.
Que faire, alors ? Je ne suis pas devin.
Cependant, nous avons vu apparaître, dans le sillage des « manifs pour tous » de la saison dernière, un mouvement que je trouve intéressant. Je veux bien sûr parler des « Veilleurs ». Voilà de jeunes gens (pour la plupart), qui s’entêtent à protester contre le simulacre de mariage que l’on sait, par de paisibles rassemblements où sont lus des poèmes, des textes philosophiques ou que sais-je…
On pourrait leur reprocher d’avoir une idée fixe (et-puis-cette-loi-a-été-votée, bla, bla, bla…), et de s’attarder sur ce qui pourrait passer pour un motif en somme assez futile. Motif qui serait en effet futile sans les autres « avancées » qu’espèrent les partisans du « mariage pour tous ». Ils ont donc raison de se mettre en travers de la route tant qu’il est encore temps.
(Je les trouve quand même un peu déloyaux, pour ne pas dire vicieux, à l’égard des forces de police, n’hésitant pas à agresser des CRS à coups de lectures à voix haute, sans même hurler…)
Laissons donc aux « Veilleurs » où à d’autres, avec des méthodes analogues, le temps d’aborder d’autres questions. Il finira peut-être par en sortir quelque chose de fécond, infiniment plus en tout cas, que les discours et les gesticulations de quelque parti politique que ce soit.
Certains jours, je me prends à rêver de l’amorce d’une contre-révolution. Qui ne serait pas une révolution en sens contraire, mais le contraire d’une révolution. Qui a écrit cela ou quelque chose d’approchant, déjà ? Joseph de Maistre ?

2 commentaires:

  1. Robert Marchenoir14 octobre 2013 à 17:40

    "Même dans le cas où il serait un ennemi, un naufragé est un naufragé et un blessé un blessé. Lui porter secours autant que possible est un devoir. De même que déplorer sa mort s’il n’a pu être sauvé. Voilà pour les devoirs humains les plus élémentaires."

    Non, c'est tout à fait faux.

    Porter secours à un blessé est un devoir dans certains cas très limités :

    - S'il fait partie de votre famille ;
    - Si vous passez à côté ;
    - Si vous êtes à la guerre et qu'il est dans vos rangs ;
    - Si vous êtes au gouvernement, que vous êtes censé administrer le pays, et que ce blessé se trouve légalement sur votre territoire.

    Et c'est à peu près tout. Sinon, on serait en droit de vous rappeler à vos devoirs à vous : comment se fait-il que vous perdiez du temps à tenir ce blog, alors qu'il y a, sans nul doute, des millions de blessés occasionnés à chaque heure qui passe, tout autour du globe ? Comment se fait-il que vous ne sautiez pas dans un avion, toutes affaires cessantes, après avoir retiré vos économies de la banque, afin de porter secours à ces blessés conformément à ce fameux devoir ?

    De même, déplorer la mort des gens n'est évidemment pas un devoir humain élémentaire. Avez-vous calculé le nombre de gens qui meurent à chaque seconde ? Si vous obéissiez vous-même à ce devoir dont vous nous assurez qu'il est le vôtre (car je ne peux imaginer que vous appeliez autrui à un devoir dont vous prétendriez vous abstraire), vous n'auriez pas une minute à vous : vous seriez en permanence en train de déplorer la mort de quelqu'un.

    A moins que votre position soit de nous dire : c'est un devoir humain élémentaire de porter secours ou de déplorer la mort de ceux qu'on voit à la télévision.

    Ce qui serait tout aussi absurde et révoltant. Et même pour cela, vous n'auriez pas le temps.

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  2. Calmons-nous : la liste que vous me faites est presque juste (j'élargirais "s'il fait partie de votre famille" à "si vous le connaissez"). Mais j'ai précisé (peut-être pas assez, je veux bien le reconnaître) : "autant que possible". Et je ne puis évidemment m'attrister que des morts dont j'ai entendu parler - de quelque manière que ce soit.
    Le fond de mon propos était de dire qu'il me semble absurde et révoltant de considérer des naufragés comme des ennemis dont l'assaut manqué serait une raison de se réjouir. Et il se peut que j'ai été quelque peut exagéré dans mon expression.

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