Bien que je n’en partage
guère les idées, le quotidien britannique The Guardian possède un site
internet où l’on trouve souvent de beaux portfolios (comme dans le Figaro
mais en mieux) et quelquefois d’intéressants articles d’information. Ces
compliments étant faits, on y trouve aussi d’épais morceaux de la bouillie
journalistique habituelle.
Ainsi, il y a quelques
jours, alors que j’admirais quelques photos de la coupe du monde de rugby, mon
attention fut attirée par un article : Pope Francis Scorecard, qui
avait pour objet un curieux décompte de points ; ces points étaient ceux
qu’à l’issue du voyage du pape aux Etats-Unis auraient engrangé deux camps
supposés, celui des « conservateurs » et celui des
« progressistes ». Ce genre de considération me semble porter les
signes de la confusion qui règne – et qui est entretenue – dans pas mal
d’esprits dès qu’il s’agit de parler de l’Eglise catholique.
Le premier de ces signes
est une tendance à tout vouloir simplifier. S’il existe effectivement des
catholiques « de gauche » (ou progressistes) et « de
droite » (ou conservateurs) se complaisant souvent dans leurs préjugés et
s’exprimant souvent à tort et à travers leurs « attentes » quant au
pape et à l’Eglise, on ne saurait réduire (Dieu merci) la vie de celle-ci à
l’opposition frontale de ces deux supposés camps. D’abord, bien des catholiques
se refuseront à se considérer en tant que catholiques comme « de
droite » ou « de gauche » : nous sommes ici dans des
dimensions différentes. Ensuite, si diverses tendances sont observables, il
existe de multiples nuances inintelligibles – ou disons inclassables – pour qui
se cantonne à des distinctions simplettes comme « gauche/droite » ou
« progressistes/conservateurs ». Ces nuances portent aussi bien sur
la liturgie et la théologie que sur des aspects politiques, économiques,
sociaux, voire écologiques de la vie, ces derniers aspects étant à considérer
dans la variété des positions prises par les uns et les autres comme diverses
interprétations de ce que peut être l’engagement d’un chrétien dans la vie de
la cité. Imaginez un peu, en outre, les combinaisons…
Le problème, pour
l’observateur superficiel qu’est un journaliste moyen, réside dans le besoin
qu’il éprouve de ramener toutes les subtilités d’un monde qu’il ignore à des
notions qui lui soient intelligibles. Tout projeter – ou si l’on veut tout
plaquer – sur des distinctions politiques aussi binaires que vieillissantes lui
permettra de se sentir en terrain connu et d’appliquer une grille de lecture
ramenant tout à des calculs de partis. Voilà pour le second signe.
Ce goût de l’analogie,
ici du religieux au politique, étant insatiable, place au troisième
signe : les calculs partisans peuvent être observés d’un point de vue qui
est celui du journalisme sportif, et pas du meilleur, celui qui se gargarise de
pronostics aussi péremptoires qu’hasardeux. Voilà comment un journaliste du Guardian
en arrive à compter les points après un voyage du pape.
On pourrait finir par
croire, à lire les écrits de tels observateurs, qu’a lieu en ce moment dans
l’Eglise catholique une coupe du monde. Les plus avertis d’entre eux ne sont
pas simplets au point de ne connaître que progressistes et conservateurs. Ils
ont au moins l’intuition des multiples dimensions évoquées plus haut et de
leurs éventuelles combinaisons. Voilà de quoi imaginer de nombreuses équipes en
lice, formées de clercs et de laïcs placés aux divers postes (avants, demis et
arrières). Les poules, puis les quarts de finale, et ainsi de suite, seraient
arbitrés par le pape. Les fins connaisseurs seraient ravis à l’idée de nous
expliquer les règles dans toute leur complexité : ne pas contester les
décisions de l’arbitre, ne pas retenir le cardinal Burke par sa cappa magna,
trois points si vous obtenez en votre faveur un motu proprio, deux seulement si
le pape dit quelque chose qui vous plaît, etc., etc.
Il serait tentant
d’imaginer toutes les règles de ce tournoi, de décrire les équipes en présence,
d’analyser leurs forces, leurs faiblesses et leurs styles respectifs, et même
de refaire le match après chaque rencontre. Ce serait peut-être même
assez drôle.
Ou alors très vain et
même néfaste, allez savoir.
Sans oublier le bonus offensif. L'expression colle très bien aux traditionalistes.
RépondreSupprimer"Grâce au motu proprio Summorum Pontificum, les catholiques fidèles à l'ancienne liturgie ont obtenu un bonus offensif."
Excellent ! Je vois que j'ai été compris.
SupprimerLe bonus offensif serait accordé, à ce qui se murmure, après comparaison du nombre de motu proprio accordés à chaque équipe. Les vaticanologues ne sont pas tous d'accord à ce sujet. Mais laissons-les se disputer !
SL