Peut-être était-ce tout
simplement un signe de fatigue ; ou alors, qui sait, des débuts sournois
du vieillissement. Toujours est-il que l’ami avec qui je venais de dîner, se
sentant l’estomac lourd, émit l’idée d’une bonne promenade digestive.
Le dîner, pourtant, avait
été fort raisonnable : une souris d’agneau, un dessert puis un café chacun,
en partageant un pot de Brouilly… Mais qu’importe : quittant ce gentil
bistrot situé en face de l’église où, entre autres sacrements, j’avais reçu le
baptême, nous laissâmes nos pas nous mener jusqu’au Champ-de-Mars.
Je ne m’attarderai pas
sur une partie de ce que nous y vîmes : le spectacle d’une jeunesse veule,
avachie sur les pelouses et abreuvée de vinasse, de mousseux et de bibine par
des vendeurs à la sauvette ne parlant pas français est triste, mais il est
inutile d’en faire des tonnes. Et la décadence nous réservait une autre
surprise.
Depuis quelques lustres
un monument abscons fait face à l’Ecole Militaire. Il pourrait, en toute
objectivité, être décrit comme la version hypertrophiée d’un projet refusé d’abri
pour arrêt d’autobus : quelques piliers, des parois de verre, un vague
toit. La nullité pompeuse de ce monument et son caractère résolument illisible
trahissent son époque, quoique, de mémoire, je n’arrive pas à dater exactement
son érection : disons fin Mitterrand – début Chirac.
Les connaisseurs et les
Parisiens auront reconnu le Mur de la paix. Ce nom doit nous faire
supposer que les inscriptions indéchiffrables qui ornent ses colonnes
signifient paix dans des langues exotiques dont les alphabets nous échappent.
(Comme disent les esprits
moqueurs : c’est au pied du mur que l’on reconnaît le mur. Un tel édifice,
aux yeux des complotistes et paranoïaques de tout pelage, grouille évidemment
de signes ésotériques qui permettent d’y voir un monument maçonnique. C’est
faire beaucoup d’honneur à cette œuvre d’un mutisme désarmant, et présumer de
la maçonnerie, comme nous allons le voir.)
Or mon ami et moi n’étions
pas passés près de ce mystérieux objet depuis quelque temps. Nous fûmes donc
surpris de le voir ceint d’une clôture en interdisant l’accès, à l’intérieur de
laquelle prospérait la folâtre flore qui d’ordinaire donne leur charme aux
terrains vagues. Une des parois de verre était aussi constellée d’éclats que le
pare-brise d’une voiture qui aurait trop souvent emprunté des routes
caillouteuses.
Un panneau fixé à la
clôture ne tarda pas à nous renseigner : l’accès au Mur de la paix
était interdit jusqu’à nouvel ordre car rendu dangereux par l’instabilité et la
fragilité dudit Mur.
Fort à propos, mon ami me
fit observer qu’il avait duré moins longtemps que le mur de Berlin.
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