L’homme aime à commémorer
les événements, en particulier au bout d’un nombre « rond » d’années.
La raison pour laquelle ce genre de nombre est considéré comme rond lorsqu’il
est un multiple de 5 – plus particulièrement de 10 ou de 25 – tient probablement
à des facilités de calcul. J’ignore pour ma part si 5, 10 ou 25 ont quelque signification
symbolique, mais force est de reconnaître que les multiples de 3 ou de 7, par
exemple, sont un peu moins faciles à calculer et à ajouter aux années où se
sont produits les événements à commémorer.
Sur ces bases
arithmétiquement simples, voire simplettes, les événements à commémorer l’été
2019 n’ont pas manqué ou ne manquent pas. Retenons-en trois.
Pour commencer, prenons
les 75 ans de la libération de Paris. La mémoire en est chère à tout Parisien
et, pourquoi pas, à tout Français. J’en ai déjà touché un mot ici, il y a cinq
ans, cédant déjà aux facilités arithmétiques dont je me gaussais à l’instant. Hélas,
pour quelques années, Notre-Dame de Paris manquera à ces célébrations. C’est
tout ce que j’ajouterai à mes propos d’il y a cinq ans.
Observons qu’un gros mois
avant d’être libérés (ou de se libérer), quelques Parisiens purent dire, aussi
surpris qu’amusés : « tiens, ils s’arrêtent entre eux, maintenant ».
C’était le 20 juillet 1944, date que l’on pourrait croire plus commémorée en Allemagne
qu’en France : jamais des Allemands n’avaient été aussi près de se
débarrasser eux-mêmes du régime nazi. J’étais prêt à céder à ce préjugé,
sur la base de souvenirs vieux de 25 ans : à Stuttgart, où je me trouvais
l’été 1994, les vitrines des librairies étaient envahies d’ouvrages consacrés à
cet événement, vieux alors de 50 ans ; mais il est vrai que le maire de
Stuttgart se nommait alors Rommel et avait quelque intérêt à associer le nom de
son père à celui des conjurés. Et, après tout, Claus von Stauffenberg était un
Wurtembergeois.
Or, paraît-il, on ferait
aujourd’hui la fine bouche en Allemagne devant ce souvenir. C’est que,
voyez-vous, tous les conjurés n’étaient pas de tendres démocrates et qu’ils ont
attendu juillet 1944 pour passer à l’action, alors que le IIIe Reich commençait
à accuser une tendance au rétrécissement. À la première de ces réserves, il est
facile de répondre par cette question : et les tendres démocrates, qu’avaient-ils
tenté jusque-là ? Répondre à la second est plus délicat : il est vrai
que bon nombre des conjurés étaient des militaires que les succès des armées
allemandes avaient pu griser un moment ; mais il est aussi et surtout vrai
que renverser un régime totalitaire en commençant par éliminer le chef suprême
de celui-ci n’est pas un tâche des plus faciles. Avant de reprocher aux conjurés
de juillet 1944 le caractère tardif de leur acte, il convient de se renseigner
sur la préparation de celui-ci et sur les difficultés qu’ils rencontrèrent pour
l’accomplir. Il y a des piles de livres là-dessus. Et, surtout, il convient de
ne pas dénigrer le courage d’hommes qui payèrent de leurs vies l’échec d’un
noble sursaut, d’autant plus noble qu’il y en eut bien peu d’autres en Allemagne
pour tenter l’entreprise.
Du courage, il en fallut
probablement une bonne dose aux trois astronautes américains qui, en juillet
1969, s’en allèrent sur la Lune. Le cinquantenaire de cet exploit, aussi
technique qu’humain, nous aura été rappelé cet été. Il est à noter que pour sa
part technique, il doit beaucoup aux hautes compétences de Wernher von Braun. L’homme
s’y connaissait depuis un moment en fusées : pendant que Stauffenberg
échouait (de peu) à pulvériser Hitler, les jolies fusées de Werhner von Braun,
après une parfaite trajectoire, parvenaient à faire découvrir aux Londoniens les
dernières merveilles de la technique allemande. Et, du reste, von Braun ne se
souciait guère, croit-on savoir, des conditions dans lesquelles ses jolies
fusées étaient fabriquées[i].
C’est peut-être pourquoi
je préférerai toujours mille fois un Claus von Stauffenberg à un Wernher von
Braun.
[i] Les amateurs de
littérature américaine pourront lire L’Arc-en-ciel de la gravité (Gravity’s
Rainbow) de Thomas Pynchon. Et les amateurs de chansons américaines pourront en
écouter une, irrésistible, de Tom Lehrer.
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