Lorsqu’il faisait partie
des Beatles, John Lennon déclara un jour que désormais ceux-ci étaient plus
célèbres que Jésus. Naturellement, l’affirmation fit scandale. Mais était-elle
l’expression blasphématoire de quelque mégalomanie ou le constat grinçant[i] de la
décadence d’une civilisation déchristianisée et partant prête à sombrer dans n’importe
quelle idolâtrie ?
Quoi qu’il en soit, nous
savons que la venue du Christ a profondément changé l’humanité, tandis que si
les Beatles n’avaient pas existé, nous connaîtrions tout simplement quelques
chansons en moins. Cette dernière hypothèse est l’argument d’un film récemment
sorti, Yesterday, qui porte évidemment le titre d’une des plus célèbres
chansons des Beatles. L’idée est amusante, certes, mais guère originale. Les auteurs
du film ont paraît-il été accusés de plagiat, cette hypothèse ayant paraît-il
fait l’objet d’une bande dessinée parue il y a quelques années. On a aussi
évoqué un film français, Jean-Philippe, où Jean-Philippe Smet ne serait
jamais devenu Johnny Hallyday. Bon, d’une autre côté, de Johnny Hallyday aux
Beatles, il y comme un écart…
Il n’est pas interdit de
se demander si une telle idée n’aurait pas pu être traitée autrement, en
envisageant la relative banalité de la question et les multiples façons, plus
ou moins futiles, de se la poser. Avec un potentiel comique, voire satirique,
assez vertigineux.
Les enthousiastes des
Beatles trouveront peut-être ces propos choquants. Que l’on se rende compte :
le monde, la vie sans Yesterday !!! Ils pourraient se consoler avec
Yesterdays, chanson écrite par Jerome Kern et Otto Harbach en 1933. De nombreux
musiciens de jazz en ont donné d’entêtantes versions.
Ce genre d’exercice
uchronique ne se limite pas aux chansons de variétés. Jacques Laurent, écrivain
au moins talentueux mais parfois aveuglé par son antigaullisme, s’y livra avec
délices en ce qui concerne le général de Gaulle. Sa conclusion se laisse
deviner : le monde en général et la France en particulier seraient
exactement ce qu’ils sont si le général de Gaulle n’avait pas existé. Qu’il me soit
permis d’en douter, avec toute l’admiration que j’ai pour l’artiste qu’était
Jacques Laurent.
Il faut cependant
reconnaître que certains des successeurs du général de Gaulle semblent s’être
démenés pour donner raison in fine à Jacques Laurent. Il suffit pour
cela de songer à la progressive restauration de la soumission inconditionnelle
de la France à l’OTAN (et à travers elle à la politique étrangère des États-Unis[ii]) ou
au manque complet d’esprit critique que manifestent nos gouvernants quant aux
institutions européennes, aux traités de libre-échange ou à d’autres fantaisies
non exemptes de reproches.
Cela commença-t-il dès la
présidence de Georges Pompidou ? Ou celle de M. Giscard d’Estaing ?
Sous Mitterrand[iii],
en tout cas, c’était acquis. Et cela s’est poursuivi par la suite.
Or le général de Gaulle
était populaire. Il était donc impensable de traiter pour rien son héritage,
son œuvre, sa trace, quoi qu’on en pense. Nos gouvernants s’empressent donc la
plupart du temps, depuis bientôt cinquante ans, d’invoquer cette haute figure
pour mener des politiques contraires à la sienne. Au lieu d’éprouver
globalement de la reconnaissance envers un homme (quitte à en critiquer certains
traits), ils en ont fait une idole bien commode.
La réflexion m’est venue
en lisant cette phrase dans Et vive l’aspidistra ![iv],
de George Orwell :
« Si l’on veut
savoir ce que pense vraiment de lui la famille d’un défunt, on peut s’en faire
une bonne idée au poids de sa pierre tombale. »[v]
[i] John Lennon, semble-t-il, pouvait avoir de l’humour. On raconte que
lorsque les Beatles, encore peu connus, avaient dû rentrer d’Allemagne, où ils
s’étaient produits quelque temps dans une cave de Hambourg, John Lennon préféra
prendre un avion de la Lufthansa parce que les pilotes allemands connaissaient
bien le chemin pour aller en Angleterre.
[ii] À ce propos, les foucades
de M. Trump ont ceci de bon que nos gouvernants sont bien obligés de se poser
des questions.
[iii] Que Jacques Laurent,
dans son Histoire égoïste, disait
avoir rencontré à Vichy…
[iv] Titre original : Keep the Aspidistra Flying.
[v] Ma traduction libre et malhabile de : “If
you want to know what a dead man’s relatives really think of him, a good rough
test is the weight of his tombstone.”
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