Commençons par évoquer un
souvenir d’enfance : mon étonnement, à l’école, devant une carte du monde
suspendue à un mur de la salle de classe, où le Groenland était plus grand que
l’Amérique du Sud. Constatant, en consultant d’autres cartes, que ce n’était
pas toujours le cas, je compris que la projection d’une sphère sur un plan ne
peut que provoquer ce genre de distorsion, source d’inexactitudes et de
surprises.
Observons que la
projection utilisée sur la carte qui m’avait tant étonné est une projection
cylindrique tangente, dite de Mercator. Les promoteurs de théories farfelues en
seront pour leurs frais : pas plus qu’elle n’est plate, la Terre n’est pas
cylindrique ! Cependant, il est plaisant de relever que Mercator
signifie en latin marchand et qu’il s’agit de la traduction de Kaufmann,
nom véritable de l’inventeur présumé de ladite projection : que Mercator
soit plus chic qu’un vulgaire Kaufmann, c’est une chose[i] ;
mais une autre est que, dans tous les cas, cela évoque des achats et des
ventes.
On s’est beaucoup amusé,
ces derniers jours, avant, avec l’aide d’historiens et d’experts en stratégie
ou en géopolitique, d’en parler sur un ton plus sérieux, d’une récente
déclaration de M. Trump, une de celles dont il semble avoir le secret.
Il s’agit bien entendu de
l’intention qu’il a affichée au nom des États-Unis, par le biais, comme de
coutume, de Touiteur, d’acheter le Groenland. Devant le refus poli mais ferme
des autorités danoises et groenlandaises, M. Trump a annoncé qu’il annulait une
visite au Danemark : selon lui, on lui aurait répondu de manière méchante.
L’anecdote est drôle et souligne une fois de plus le sans-gêne et le ton puéril
dont M. Trump fait volontiers montre. Personne, cependant, n’a à ma
connaissance poussé la plaisanterie jusqu’à supposer que M. Trump aurait pu
être tenté par une représentation du Groenland selon la projection de Mercator.
Mais, historiens et
experts en tout genre l’ont rappelé, l’idée avait déjà été émise en 1946 par
Harry Truman, alors président des États-Unis. Et il y a d’autres précédents,
bien avérés, ceux-ci, dans l’histoire des États-Unis : l’achat de la
Louisiane à la France, en 1803, celui de l’Alaska à la Russie, en 1863, et même
celui des Îles Vierges… au Danemark. L’histoire nous fournit d’ailleurs des
exemples plus anciens d’étranges marchandages : après tout, c’est à coups
d’espèces sonnantes et trébuchantes versées au roi d’Angleterre que Louis XI
mit fin à la guerre de cent ans ; c’était plutôt astucieux, tant on ne
prend parfois les gens que par les sentiments… De plus, point n’est besoin d’être
grand clerc pour comprendre que l’ambition de la part des États-Unis d’avoir
accès aux ressources naturelles du Groenland[ii] et d’être
plus présents dans la région arctique est parfaitement rationnelle.
Mais il y a quelque chose
qui semble surtout gêner les plus atlantistes dans les manières grossières de
M. Trump, dont nous venons d’avoir un récent exemple. Peut-être est-ce une
constante américaine, un vieux fond rustaud et parfois franchement inamical qu’ils
avaient oublié : ce n’est pas seulement M. Trump qui se croit tout permis
en tant que maître du monde de droit divin, ce sont les États-Unis. En mettant
les pieds dans le plat, M. Trump nous rappelle que lorsqu’un président des États-Unis
met la main sur le cœur, on ne peut exclure que ce soit pour tâter l’épaisseur
de son portefeuille, talisman censé lui garantir la toute-puissance. Que ce
rappel soit déplaisant à ceux des responsables européens qui se sont choisis un
tel maître[iii],
cela se conçoit fort bien, mais il est utile, et c’est là la vertu – à son
corps défendant, probablement – de M. Trump. Suggérons-leur d’imaginer – et de
bâtir – une Europe un peu plus libre.
[i] De même que, dans un autre
domaine, le grec Melanchton a plus d’allure
que l’allemand Schwarzerd.
[ii] Qui seront probablement
plus accessibles du fait d’un réchauffement climatique que M. Trump prétend
nier.
[iii] Au nom, certes, d’authentiques
services qui nous furent rendus autrefois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).