« D’ailleurs, de quoi parlerais-je
bien cette semaine ? Les boîtes de M. Poubelle ont épuisé l’imagination et
rassasié pour quelque temps toutes les faims de l’esprit »
Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de
démolitions
Ainsi donc, comme le
propos ci-dessus (portant le millésime 1884) l’atteste, le buzz, comme
il convient de dire de nos jours, ne serait pas né hier. Sans aller jusqu’à
affirmer, pour paraphraser Alexandre Vialatte, qu’il remonte à la plus haute
antiquité, force est de constater que cela fait quelque lustres que tout le
bruit nécessaire à empêcher en nous « toute forme de vie intérieure »[i] est
entretenu avec une constance qui mérite l’admiration. En tous sens et d’un peu
partout fusent des imbécillités dérisoires créées avec un acharnement
croissant.
Il en va ainsi de l’écriture
inclusive, dernier hochet féministe à la mode qui consiste, si j’ai bien
compris le procédé (et à condition qu’il y ait quelque chose à y comprendre), à
truffer tout texte de courtes extensions, marquées par des points, indiquant l’ajout
d’une terminaison féminine à chaque mot variable que l’usage de notre langue
utilisait jusqu’ici au masculin « neutre ». Visuellement, cela tient du
morse ou de l’acné, selon les goûts.
Cette écriture
inclusive est assurément ce que l’on nomme un marqueur de gauche, et il y a
fort à parier que tout∙e militant∙e insoumis∙e qui se respecte l’a désormais
adoptée. Selon les sensibilités, on s’en félicite, on s’en offusque ou l’on s’en
amuse[ii].
Autre sujet de polémiques
bileuses ou de controverses ardentes, comme on voudra, en tout cas de
bavardages souvent stériles : les « sorties » de M. Macron sur
les « ouvrières illettrées », les « fainéants » ou encore « ceux
qui foutent le bordel ». On s’époumone, on s’égosille, on racle ses
derniers lambeaux de cervelle pour les jauger à l’aune de ses prédécesseurs :
ces sorties sont-elles pires que le casse-toi pauv’c… de M. Sarkozy ou
les sans-dents de M. Hollande ? Si ces sorties sont spontanées,
elles portent à croire que M. Macron ferait preuve en son for intérieur d’une
certaine morgue, voire de mépris pour les gens de condition modeste.
Il se trouve que de tels
propos passent mal à gauche, où l’on y voit sans aucun doute des marqueurs
de droite. M. Macron a donc besoin, pour équilibrer son image, de marqueurs
de gauche s’il veut rappeler aux Français qu’il est toujours et de
droite et de gauche. Car, bien entendu, les Français risquent de perdre le
sommeil[iii] à
force de ne plus pouvoir situer M. Macron sur l’échiquier politique[iv] :
à droite, à gauche ou un peu partout en même temps ?
Certes, pour s’approvisionner
en marqueurs de gauche, M. Macron dispose, dans son gouvernement, de Mme
Schiappa. Il semble qu’elle soit là à cette seule fin. Et il y a fort à parier
qu’elle est une ferme partisane de l’écriture inclusive. Pourquoi ne
donnerait-elle pas quelques cours à M. Macron, qui aurait ainsi à sa
disposition des marqueurs et de gauche et de droite en même temps ?
Il devrait apprendre vite – c’est un garçon intelligent, à ce que l’on dit.
Inclusif, M. Macron l’a d’ailleurs
déjà été, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Ses discours de campagne
étaient pleins de celles et ceux, ce qui était tout à fait dans la
ligne. En revanche, le caractère inclusif d’autres déclarations s’est avéré
trop neutre, comme dans : « une gare, c’est un lieu où l’on croise
des gens qui réussissent[v] et
des gens qui ne sont rien. » Des gens, je vous demande un peu…
Alors qu’il eût pu dire des femmes et des hommes…
Voyons donc comment M.
Macron, ministre ou président, eût pu rassurer une gauche inquiète, s’il avait
fait ses « sorties » en écriture inclusive. D’abord, le
ministre :
« Bien souvent,
la vie d’un∙e entrepreneur∙e est bien plus dure que celle d’un∙e salarié∙e
[…]. Elle ou il peut tout perdre, elle ou lui, et elle ou il a moins de
garanties. »
« Il faut des
jeunes Français∙es qui aient envie de devenir milliardaires. »
« Il y a dans
cette société une majorité de femmes et d’hommes ; il y en a beaucoup qui
sont illettré∙es. »
Ensuite, le président :
« Y’en a certain∙es,
au lieu de foutre le bordel, elles ou ils feraient mieux d’aller regarder si
elles ou ils peuvent avoir des postes là-bas, parce qu’elles ou ils ont les
qualifications pour le faire. »
Naturellement, le
président ne devrait plus communiquer que par écrit pour donner à ses
déclarations désormais inclusives toute leur saveur de gauche. D’ailleurs,
ne faut-il pas voir dans la présentation par Mme Schiappa et Mme Pénicaud ces
derniers jours d’un guide de bonnes pratiques à l’usage des petites entreprises
préconisant l’emploi de l’écriture inclusive un signe de cette synthèse
tant désirée par M. Macron ? Ainsi, les salarié∙es seront plus facilement
licencié∙es, mais avec des tournures résolument de gauche. Voilà qui ne pourra
que les rassurer.
Autre avantage : à
lire le charabia des futurs discours macroniens, les commentateurs avisés se
perdornt en conjectures, hypothèses et spéculations[vi],
voire en de rebondissantes exégèses. Pendant ce temps, le gouvernement aura
tout loisir d’entreprendre ce qui lui plaira.
Ensuite, il ne restera
plus qu’à s’exprimer par des glapissements, avant de saisir des bâtons et de s’en
frapper les uns les autres avec vigueur. Il y a déjà, paraît-il, des députés
qui font cela avec des casques de moto, alors…
[i] Après Bloy, Bernanos. Mon compte
est bon.
[ii] Jeu : en lisant ce
texte, devinez de quelle sensibilité je relève.
[iii] Pour ma part, je ne me
laisse pas pousser la barbe, ce qui m’évite de me demander chaque soir si je
dors avec la barbe en-dessous ou au-dessus des couvertures.
[iv] Curieuse expression. A croire
que les journalistes, qui en raffolent, s’imaginent qu’un échiquier n’a qu’une
dimension.
[v] Observons que, dans le
monde de M. Macron, il n’y a pas de gens « qui ont réussi ». Non, il
y a des gens « qui réussissent » : toujours en mouvement, en
devenir, en marche !
[vi] Non taxées, bien entendu.
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