vendredi 13 octobre 2017

Soyons tou∙te∙s inclusif∙ve∙s !

 « D’ailleurs, de quoi parlerais-je bien cette semaine ? Les boîtes de M. Poubelle ont épuisé l’imagination et rassasié pour quelque temps toutes les faims de l’esprit »
Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions
Ainsi donc, comme le propos ci-dessus (portant le millésime 1884) l’atteste, le buzz, comme il convient de dire de nos jours, ne serait pas né hier. Sans aller jusqu’à affirmer, pour paraphraser Alexandre Vialatte, qu’il remonte à la plus haute antiquité, force est de constater que cela fait quelque lustres que tout le bruit nécessaire à empêcher en nous « toute forme de vie intérieure »[i] est entretenu avec une constance qui mérite l’admiration. En tous sens et d’un peu partout fusent des imbécillités dérisoires créées avec un acharnement croissant.
Il en va ainsi de l’écriture inclusive, dernier hochet féministe à la mode qui consiste, si j’ai bien compris le procédé (et à condition qu’il y ait quelque chose à y comprendre), à truffer tout texte de courtes extensions, marquées par des points, indiquant l’ajout d’une terminaison féminine à chaque mot variable que l’usage de notre langue utilisait jusqu’ici au masculin « neutre ». Visuellement, cela tient du morse ou de l’acné, selon les goûts.
Cette écriture inclusive est assurément ce que l’on nomme un marqueur de gauche, et il y a fort à parier que tout∙e militant∙e insoumis∙e qui se respecte l’a désormais adoptée. Selon les sensibilités, on s’en félicite, on s’en offusque ou l’on s’en amuse[ii].
Autre sujet de polémiques bileuses ou de controverses ardentes, comme on voudra, en tout cas de bavardages souvent stériles : les « sorties » de M. Macron sur les « ouvrières illettrées », les « fainéants » ou encore « ceux qui foutent le bordel ». On s’époumone, on s’égosille, on racle ses derniers lambeaux de cervelle pour les jauger à l’aune de ses prédécesseurs : ces sorties sont-elles pires que le casse-toi pauv’c… de M. Sarkozy ou les sans-dents de M. Hollande ? Si ces sorties sont spontanées, elles portent à croire que M. Macron ferait preuve en son for intérieur d’une certaine morgue, voire de mépris pour les gens de condition modeste.
Il se trouve que de tels propos passent mal à gauche, où l’on y voit sans aucun doute des marqueurs de droite. M. Macron a donc besoin, pour équilibrer son image, de marqueurs de gauche s’il veut rappeler aux Français qu’il est toujours et de droite et de gauche. Car, bien entendu, les Français risquent de perdre le sommeil[iii] à force de ne plus pouvoir situer M. Macron sur l’échiquier politique[iv] : à droite, à gauche ou un peu partout en même temps ?
Certes, pour s’approvisionner en marqueurs de gauche, M. Macron dispose, dans son gouvernement, de Mme Schiappa. Il semble qu’elle soit là à cette seule fin. Et il y a fort à parier qu’elle est une ferme partisane de l’écriture inclusive. Pourquoi ne donnerait-elle pas quelques cours à M. Macron, qui aurait ainsi à sa disposition des marqueurs et de gauche et de droite en même temps ? Il devrait apprendre vite – c’est un garçon intelligent, à ce que l’on dit.
Inclusif, M. Macron l’a d’ailleurs déjà été, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Ses discours de campagne étaient pleins de celles et ceux, ce qui était tout à fait dans la ligne. En revanche, le caractère inclusif d’autres déclarations s’est avéré trop neutre, comme dans : « une gare, c’est un lieu où l’on croise des gens qui réussissent[v] et des gens qui ne sont rien. » Des gens, je vous demande un peu… Alors qu’il eût pu dire des femmes et des hommes
Voyons donc comment M. Macron, ministre ou président, eût pu rassurer une gauche inquiète, s’il avait fait ses « sorties » en écriture inclusive. D’abord, le ministre :
« Bien souvent, la vie d’un∙e entrepreneur∙e est bien plus dure que celle d’un∙e salarié∙e […]. Elle ou il peut tout perdre, elle ou lui, et elle ou il a moins de garanties. »
« Il faut des jeunes Français∙es qui aient envie de devenir milliardaires. »
« Il y a dans cette société une majorité de femmes et d’hommes ; il y en a beaucoup qui sont illettré∙es. »
Ensuite, le président :
« Y’en a certain∙es, au lieu de foutre le bordel, elles ou ils feraient mieux d’aller regarder si elles ou ils peuvent avoir des postes là-bas, parce qu’elles ou ils ont les qualifications pour le faire. »
Naturellement, le président ne devrait plus communiquer que par écrit pour donner à ses déclarations désormais inclusives toute leur saveur de gauche. D’ailleurs, ne faut-il pas voir dans la présentation par Mme Schiappa et Mme Pénicaud ces derniers jours d’un guide de bonnes pratiques à l’usage des petites entreprises préconisant l’emploi de l’écriture inclusive un signe de cette synthèse tant désirée par M. Macron ? Ainsi, les salarié∙es seront plus facilement licencié∙es, mais avec des tournures résolument de gauche. Voilà qui ne pourra que les rassurer.
Autre avantage : à lire le charabia des futurs discours macroniens, les commentateurs avisés se perdornt en conjectures, hypothèses et spéculations[vi], voire en de rebondissantes exégèses. Pendant ce temps, le gouvernement aura tout loisir d’entreprendre ce qui lui plaira.
Ensuite, il ne restera plus qu’à s’exprimer par des glapissements, avant de saisir des bâtons et de s’en frapper les uns les autres avec vigueur. Il y a déjà, paraît-il, des députés qui font cela avec des casques de moto, alors…


[i] Après Bloy, Bernanos. Mon compte est bon.
[ii] Jeu : en lisant ce texte, devinez de quelle sensibilité je relève.
[iii] Pour ma part, je ne me laisse pas pousser la barbe, ce qui m’évite de me demander chaque soir si je dors avec la barbe en-dessous ou au-dessus des couvertures.
[iv] Curieuse expression. A croire que les journalistes, qui en raffolent, s’imaginent qu’un échiquier n’a qu’une dimension.
[v] Observons que, dans le monde de M. Macron, il n’y a pas de gens « qui ont réussi ». Non, il y a des gens « qui réussissent » : toujours en mouvement, en devenir, en marche !
[vi] Non taxées, bien entendu.

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