Il y a quelques nuits,
les pompiers parisiens eurent à éteindre un incendie place de la Bastille, sur
la façade d’une succursale de la banque de France. L’auteur de l’incendie,
encore présent sur les lieux, fut aussitôt appréhendé par la police pour être
placé en garde à vue. Renseignements pris, l’homme est un artiste russe,
réfugié politique en France et se nomme Piotr Pavlenski.
Cet individu avait pas
mal fait parler de lui il y a environ deux ans, lorsqu’il s’était rendu l’auteur
de dégradations comparables au siège du FSB, à Moscou. Tout ce qui compte dans
le monde de l’art contemporain et dans celui de la bonne conscience patentée
avait alors protesté contre l’oppression des artistes par M. Poutine, compte
tenu de la peine de prison – ou du séjour en hôpital psychiatrique – dont était
menacé Pavlenski. Je me rappelle avoir touché quelques mots ici de ce que j’en
pensais.
Depuis, Piotr Pavlenski s’était
réfugié en France. Notre pays, patrie des droits de l’homme, comme chacun sait,
se devait d’ouvrir les bras à un artiste opprimé et écorché – au moins par les supplices qu’il est capable de s’infliger.
Quant au sort que lui
fera la justice française, tout est possible. Après tout, une artiste
luxembourgeoise (cela existe) a récemment été relaxée à l’issue d’un procès faisant
suite à une accusation d’exhibition sexuelle en plein musée du Louvre. Nous verrons
donc si notre justice saura évaluer comme il se doit l’œuvre d’art qui consiste
à incendier la façade d’une agence bancaire.
Une pièce qui sera
certainement utilisée au procès de Piotr Pavlenski et de son épouse (elle aussi
mise en examen après cette performance) est la déclaration faite par l’intéressé
pour expliquer son geste[i]. Il y
est question de la Bastille et de la finance ou de la banque, ce qui explique
le choix de la cible – pardon, du site. Plus précisément, Pavlenski y prétend
que la banque, en confisquant la révolution au peuple, qui s’était donné le mal
de prendre la Bastille, s’était installée à la place occupée auparavant par la
monarchie. Il y a quelques erreurs à corriger là-dedans, et elles sont de
taille.
D’abord, que faut-il
entendre par le peuple ? Une foule avinée, chauffée par des
agitateurs, qui s’est emparée d’une vieille prison où traînaient quelques fils
de bonne famille ayant fait un peu trop de scandale ou de dettes ainsi que
quelques pauvres hères ? Merci pour le peuple. En toute rigueur, le
peuple n’a rien pris le 14 juillet 1789.
Ensuite, pour ce qui est
de la confiscation de la Révolution française, toute personne s’intéressant un
minimum à l’histoire de France sait pertinemment que cette révolution dont nos
républicains se gargarisent visait dès le début à donner le pouvoir à des
bourgeois, voire à porter LE BOURGEOIS au pouvoir. Rien d’étonnant que cela
finisse par des histoires de banque.
Je ne suis pas juge et ne
puis donc déterminer quelle punition infliger à Piotr Pavlenski, s’il en mérite
une. Mais suggérons une pénitence qui consisterait à prendre des cours d’histoire.
Cela posé, s’en prendre à
une banque, non pour y voler de l’argent mais pour dénoncer le pouvoir
disproportionné de la phynance, pourquoi pas ? La chose, en elle-même,
pourrait ne pas manquer de panache. Puisque Piotr Pavlenski se dit artiste,
pourquoi n’a-t-il pas imaginé quelque performance ou quelque installation
mettant en évidence l’idolâtrie de l’argent ? Quelque allusion au veau d’or,
devant une agence bancaire, eût pu être éloquente.
Pavlenski eût pu mettre
ainsi de son côté les rieurs, les esprits artistes et ceux qu’inquiète le
pouvoir excessif de l’argent. L’allusion au veau d’or nécessite, il est vrai,
un vernis de culture, sinon chrétienne, du moins biblique. Peut-être ces
rudiments lui manquent-ils, lui qui, si cela se trouve, n’a pu former son âme
qu’en somnolant lors de quelque cours de marxisme-léninisme débité sans
conviction au temps de l’URSS agonisante…
Que dire encore de Piotr
Pavlenski ? Trois hypothèses se présentent sur son cas :
La première : il
savait ce qu’il faisait en allumant son petit incendie dans Paris, alors que
les agents de la force publique ont déjà bien assez de menaces à affronter ;
et il espérait profiter de son statut de « réfugié politique ». Dans
ce cas, c’est un cynique doublé d’un imbécile, qui s’est rendu coupable d’un
crime.
La deuxième : peu
conscient de la nature et de la portée de son acte et malgré les précautions de
son entourage, il est parvenu à le commettre. Auquel cas c’est un fou.
La troisième : peu
conscient de la nature et de la portée de son acte et manipulé par son
entourage, il a été poussé à le commettre, sans doute à de fins de publicité. Auquel
cas c’est un fou qu’on exploite.
La première hypothèse
donne envie de renvoyer l’hurluberlu et son épouse en Russie (où ils se
débrouilleront) à grands coups de pieds au derrière. Les deux autres inspirent
en revanche une profonde pitié.
[i] Il s’agit donc bien d’art
contemporain, domaine où le commentaire compte au moins autant que l’œuvre. Ce qui,
soit dit en passant, vaut mieux pour le commentaire.
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