samedi 21 octobre 2017

Pavlenski embastillé ?

Il y a quelques nuits, les pompiers parisiens eurent à éteindre un incendie place de la Bastille, sur la façade d’une succursale de la banque de France. L’auteur de l’incendie, encore présent sur les lieux, fut aussitôt appréhendé par la police pour être placé en garde à vue. Renseignements pris, l’homme est un artiste russe, réfugié politique en France et se nomme Piotr Pavlenski.
Cet individu avait pas mal fait parler de lui il y a environ deux ans, lorsqu’il s’était rendu l’auteur de dégradations comparables au siège du FSB, à Moscou. Tout ce qui compte dans le monde de l’art contemporain et dans celui de la bonne conscience patentée avait alors protesté contre l’oppression des artistes par M. Poutine, compte tenu de la peine de prison – ou du séjour en hôpital psychiatrique – dont était menacé Pavlenski. Je me rappelle avoir touché quelques mots ici de ce que j’en pensais.
Depuis, Piotr Pavlenski s’était réfugié en France. Notre pays, patrie des droits de l’homme, comme chacun sait, se devait d’ouvrir les bras à un artiste opprimé et écorché – au moins par  les supplices qu’il est capable de s’infliger.
Quant au sort que lui fera la justice française, tout est possible. Après tout, une artiste luxembourgeoise (cela existe) a récemment été relaxée à l’issue d’un procès faisant suite à une accusation d’exhibition sexuelle en plein musée du Louvre. Nous verrons donc si notre justice saura évaluer comme il se doit l’œuvre d’art qui consiste à incendier la façade d’une agence bancaire.
Une pièce qui sera certainement utilisée au procès de Piotr Pavlenski et de son épouse (elle aussi mise en examen après cette performance) est la déclaration faite par l’intéressé pour expliquer son geste[i]. Il y est question de la Bastille et de la finance ou de la banque, ce qui explique le choix de la cible – pardon, du site. Plus précisément, Pavlenski y prétend que la banque, en confisquant la révolution au peuple, qui s’était donné le mal de prendre la Bastille, s’était installée à la place occupée auparavant par la monarchie. Il y a quelques erreurs à corriger là-dedans, et elles sont de taille.
D’abord, que faut-il entendre par le peuple ? Une foule avinée, chauffée par des agitateurs, qui s’est emparée d’une vieille prison où traînaient quelques fils de bonne famille ayant fait un peu trop de scandale ou de dettes ainsi que quelques pauvres hères ? Merci pour le peuple. En toute rigueur, le peuple n’a rien pris le 14 juillet 1789.
Ensuite, pour ce qui est de la confiscation de la Révolution française, toute personne s’intéressant un minimum à l’histoire de France sait pertinemment que cette révolution dont nos républicains se gargarisent visait dès le début à donner le pouvoir à des bourgeois, voire à porter LE BOURGEOIS au pouvoir. Rien d’étonnant que cela finisse par des histoires de banque.
Je ne suis pas juge et ne puis donc déterminer quelle punition infliger à Piotr Pavlenski, s’il en mérite une. Mais suggérons une pénitence qui consisterait à prendre des cours d’histoire.
Cela posé, s’en prendre à une banque, non pour y voler de l’argent mais pour dénoncer le pouvoir disproportionné de la phynance, pourquoi pas ? La chose, en elle-même, pourrait ne pas manquer de panache. Puisque Piotr Pavlenski se dit artiste, pourquoi n’a-t-il pas imaginé quelque performance ou quelque installation mettant en évidence l’idolâtrie de l’argent ? Quelque allusion au veau d’or, devant une agence bancaire, eût pu être éloquente.
Pavlenski eût pu mettre ainsi de son côté les rieurs, les esprits artistes et ceux qu’inquiète le pouvoir excessif de l’argent. L’allusion au veau d’or nécessite, il est vrai, un vernis de culture, sinon chrétienne, du moins biblique. Peut-être ces rudiments lui manquent-ils, lui qui, si cela se trouve, n’a pu former son âme qu’en somnolant lors de quelque cours de marxisme-léninisme débité sans conviction au temps de l’URSS agonisante…
Que dire encore de Piotr Pavlenski ? Trois hypothèses se présentent sur son cas :
La première : il savait ce qu’il faisait en allumant son petit incendie dans Paris, alors que les agents de la force publique ont déjà bien assez de menaces à affronter ; et il espérait profiter de son statut de « réfugié politique ». Dans ce cas, c’est un cynique doublé d’un imbécile, qui s’est rendu coupable d’un crime.
La deuxième : peu conscient de la nature et de la portée de son acte et malgré les précautions de son entourage, il est parvenu à le commettre. Auquel cas c’est un fou.
La troisième : peu conscient de la nature et de la portée de son acte et manipulé par son entourage, il a été poussé à le commettre, sans doute à de fins de publicité. Auquel cas c’est un fou qu’on exploite.
La première hypothèse donne envie de renvoyer l’hurluberlu et son épouse en Russie (où ils se débrouilleront) à grands coups de pieds au derrière. Les deux autres inspirent en revanche une profonde pitié.


[i] Il s’agit donc bien d’art contemporain, domaine où le commentaire compte au moins autant que l’œuvre. Ce qui, soit dit en passant, vaut mieux pour le commentaire.

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