L’expression fait
désormais florès : « et en même temps ». Illustration de ce que
l’on appellera avec admiration, ironie ou distance le macronisme, elle
sert aux adorateurs de M. Macron à vanter sa hauteur de vue philosophique
(héritée paraît-il de Paul Ricœur[i], à en
croire les plus doctes) ; à ses détracteurs, elle permet de railler un
supposé vide compensé par une grossière démagogie ; aux sceptiques et aux
ironiques, elle sert à désigner une indéniable habileté manœuvrière un rien
attrape-tout. Il y a probablement des trois dans cette expression, qui a l’avantage
de faire naître un sourire complice aux lèvres de ceux qui l’emploient,
adorateurs, détracteurs, sceptiques ou ironiques.
Sur le plan strictement
politique, « et en même temps » s’est muté en « et de droite et
de gauche ». Ce n’est pas le classique « ni droite, ni gauche »
qui appelle toujours les sarcasmes : ni droite, ni gauche, mais où donc,
alors ? Non, il s’agirait plutôt d’évoquer une habile et constructive synthèse,
un dépassement des postures partisanes.
La chose, sur le papier,
est séduisante. Après tout, une nation (la France, en particulier) n’a pas
besoin d’être de gauche ni de droite, pas même du centre. Peut-être est-ce la
réponse trouvée par M. Macron au regret qu’il semblait exprimer naguère quant à
la disparition de la figure royale chez nous[ii] ?
La tendance a pu s’illustrer
ailleurs, même là où existent encore des rois ou des reines, au Royaume-Uni par
exemple. Et c’est là que peut naître une certaine gêne, pour ne pas parler de
méfiance. Le Royaume uni a pu voir apparaître aussi bien le Blue Labour
que les Red Tories. Le Blue Labour a connu le pouvoir avec M.
Blair ; cela pourrait aussi se nommer social-libéralisme : un
libéralisme « sociétal » et économique assorti de quelques mesures de
compensation envers les plus modestes, qui pourront toujours se brosser en
attendant de bénéficier des effets magiques de quelques ruissellement ; c’est
assez désespéramment cohérent et il faut y ajouter, en matière de politique
internationale, un alignement aussi aveugle que servile sur les errements de
nos amis les Yankis ; M. Hollande, dont M. Macron fut conseiller puis
ministre, n’en était pas loin. Les Red Tories pourraient en représenter exactement
l’inverse, de manière tout aussi cohérente, associant un goût des grandes et
petites traditions à une organisation à l’échelon local de diverses solidarités.
Malheureusement, l’influence que M. Phillip Blond a cru pouvoir exercer sur M.
Cameron il y a quelques années semble s’être réduite à un slogan de campagne
électorale (la Big Society).
Le « et de droite et
de gauche » de M. Macron est donc une notion bien vague : le
meilleur, comme le pire, de chacune de ces deux composantes, peuvent s’y
agréger, sans compter toutes sortes de nuances. Le pire n’est pas improbable, d’où
la nécessité d’une opposition, pour tempérer quelques élans qui pourraient s’avérer
dangereux, et en permettre l’éventuelle réversibilité, à des échéances plus ou
moins lointaines.
Où trouver une telle
opposition ? A l’Assemblée nationale ? Guère, hélas. La France insoumise
et le Front national, qui pourraient revendiquer le rôle d’une vraie opposition,
n’ont que peu de poids. D’une part pour des raisons de mécanique électorale,
qui ont réduit à peu de chose leurs effectifs respectifs à l’Assemblée ; d’autre
part du fait de leur rôle – volens, nolens – d’épouvantails officiels
qui tient pour beaucoup à leurs outrances, leur démagogie et le caractère
brouillon de ce qu’ils proposent ou prétendent proposer.
De chez « LR »
il y a peu à attendre : pas de quoi nourrir quelque espoir entre les
opportunistes « constructifs » et la « droite fière de ses
valeurs » de M. Wauquiez. Parce que, franchement, entre la soupe et les
postures partisanes… Quant au parti dit socialiste… Non, soyons charitable.
Restent à l’Assemblée
nationale quelques individus isolés, de peu de poids donc, mais rendus
intéressants par leur comportement dénué de postures : par exemple M.
Azérot et M. Potier (les deux sont classés à gauche, mais oui).
Et hors de l’Assemblée ?
Peu avant le second tour des élections législatives, j’ai pu entendre à la
radio M. Jean-Frédéric Poisson et M. François-Xavier Bellamy[iii].
Depuis cet entretien, les deux ont été battus. Bénéficiant, si j’ose dire d’investitures
« LR », ils ont sans doute eu à pâtir du discrédit de ce parti,
auquel ils ne sont pas même encartés, crois-je savoir. Leurs propos étaient
intéressants : c’étaient ceux de deux conservateurs assumés, au sens réel
(et pourquoi pas noble) du terme, soucieux autant de préserver un ordre
traditionnel que d’affirmer un souci social ou écologique[iv], du
moins à les entendre.
Ils ont un tort à mon
avis : avoir cru devoir se raccrocher à « LR », avec les
conséquences que l’on sait, liées en partie, selon toute vraisemblance, aux
fillonnades et autres joyeusetés auxquelles ils auront été associés par les
électeurs de leurs circonscriptions respectives. Ces deux hommes sont
talentueux et intelligents[v] ;
ils auraient tout intérêt à se dépenser en conférences, entretiens, débats et
rencontres : pourquoi ne pas « tâter le terrain » auprès d’autres
politiciens et auprès de citoyens plus ou moins engagés ? M. Poisson, il
est vrai, a déjà tenté quelques ouvertures, naguère, auprès de ce que l’on
nomme la « droite hors les murs » : ces rencontres n’ont rien
donné, sinon une certaine méfiance envers M. Poisson chez des gens qui eussent
été bien disposés à son égard ; fausse piste, donc.
Pourquoi M. Bellamy ou M.
Poisson n’iraient-ils pas plutôt à la rencontre d’autres hommes libres comme
les susnommés M. Azérot et M. Potier ? A un autre niveau, pourquoi ne pas
souhaiter la libération de « Sens commun » et des « Poissons
roses », prisonniers volontaires d’appareils partisans qui les méprisent
ouvertement et qui sont apparemment moribonds ?
« Et de droite et de
gauche » : sans nier leurs différences, tous ces gens pourraient
commencer à bâtir quelque chose d’intéressant.
[i] Etant peu versé en
philosophie, je me garderai de me prononcer quant à l’influence de la pensée de
Paul Ricœur sur les idées, les paroles ou les actes de M. Macron.
[ii] Voir ici.
[iii] Jeudi 15 juin sur Radio
Notre-Dame.
[iv] Il était heureux d’entendre
M. Bellamy critiquer un certain « progressisme » à droite, celui du « parti des OGM et des gaz de schiste ».
[v] Et au moins autant frottés
de philosophie que M. Macron, étant tous deux agrégés dans cette matière.
Pour compléter (en des termes plus brillants que les miens) les propos de ce texte, la lecture d'un récent entretien accordé par F.X. Bellamy à quelque gros magazine sera utile. J'en retiens la phrase ci-dessous :
RépondreSupprimer"Pour ma part je crois profondément que l’individu ne trouve sa liberté et sa sécurité que dans les liens qui le rattachent aux autres – et que c’est en protégeant ces liens dans la famille, l’éducation, la santé, la solidarité, que nous pourrons reconstruire une société plus apaisée et plus unie. Mais si la droite veut porter ce renouveau véritable dont nous avons tant besoin, elle ne peut pas se contenter d’oppositions et d’anathèmes : il faut d’abord qu’elle s’interroge sur l’individualisme qui la traverse elle aussi, dans sa vision du monde, ses propositions politiques, ses stratégies électorales, et jusque dans les pratiques de ses cadres… C’est une question qui concerne les élus, mais aussi les électeurs et les citoyens que nous sommes."
http://www.fxbellamy.fr/blog/2017/07/03/pour-commencer-a-reconstruire/