Le progrès court
toujours, personne n’ayant encore trouvé le moyen – ou pris la peine – de
l’arrêter. Il importe donc, pour éviter d’avoir à trop en pâtir, d’en connaître
quelques éléments de signalement.
Trains
autonomes
On sait l’émerveillement
mêlé d’une pincée d’inquiétude – pour la forme ? – avec lequel les
journaux nous font part de divers projets de véhicules autonomes. Pour ce qui
est des voitures personnelles, l’avantage est compréhensible : pouvoir lire
un journal idiot ou un bon livre dans sa petite auto en allant travailler,
pourquoi pas ? Jusqu’au moment où l’algorithme régissant le comportement
de votre véhicule fera un choix que, pour une raison ou pour une autre, vous
aurez à regretter, sans avoir toujours la possibilité de le comprendre.
Or voici qu’on nous
annonce un changement d’échelle : non contente de donner à ses trains des noms absurdes, la SNCF fait un peu plus qu’envisager la mise en circulation de
trains automatiques d’ici quelques années, pour le transport de voyageurs comme
pour celui de fret[i].
On peut certes applaudir à la prouesse, mais il est permis d’éprouver une
inquiétude de même nature mais plus forte que celle relative aux véhicules
personnels, vu le nombre de voyageurs concernés ou les matières pouvant être
ainsi transportées sans intervention humaine. Les jouets scientifiques peuvent
être fascinants à condition de garder leur statut de jouets.
S’ajoute à ce problème un
autre : combien de cheminots une telle évolution laissera-t-elle sur le
carreau ? D’un point de vue « patronal »[ii] et
moderne, cela sera présenté comme un progrès : les automates ne se mettent
jamais en grève, ne revendiquent rien (primes, augmentations, congés, etc.), et
il n’y a pas de retraite à leur verser.
Soit, mais à ce train-là,
pourquoi ne pas supprimer aussi les voyageurs ? Quelle économie cela
permettrait de faire sur les équipements et sur le personnel de
nettoyage !
Génération
spontanée
Les plus enthousiastes
parmi les chantres du progrès me reprocheront sans doute de manquer d’optimisme
quant à l’avenir des cheminots : ils sauront se reconvertir et, grâce aux
réformes du code du travail qui nous sont promises, ils retrouveront vite un
emploi. Pourquoi, comment ? Ne nous en inquiétons pas, cela se fera comme
par magie.
Le progrès a d’ailleurs
bien un caractère magique. Cette magie donnant aux hommes tant de
pouvoir, pourquoi s’en priver ? Le Comité Consultatif National d’Ethique
ne s’y est pas trompé, en rendant le 27 juin un avis favorable à l’autorisation
de la procréation médicalement assistée[iii]
pour les femmes seules et les couples de femmes. M. Christophe Castaner,
porte-parole du gouvernement, a aussitôt déclaré que cela « permet
d'envisager une évolution de la législation ». Si cette évolution a lieu,
il sera en gros admis qu’officiellement des enfants n’auront jamais eu de père,
non pas par quelque malheur mais par choix.
Observons que ledit Comité
Consultatif (etc.) est pour l’instant opposé à l’insémination de
mères porteuses, pour qui que ce soit. Combien de temps cet avis
tiendra-t-il ? Comment quelques hommes seuls ou en couples se
priveraient-ils de crier à la discrimination ? L’exploitation du corps
d’une femme pauvre semble encore retenir les membres de ce comité[iv]. Il
sera donc difficile de donner naissance à des enfants dépourvus de mère tant
que l’on n’aura pas réussi à les fabriquer dans des utérus artificiels. Si cela
est un jour possible, il y a fort à parier que nous serons invités à nous
émerveiller devant cette nouvelle prouesse du génie humain. Et puis quand même,
quelle ouverture pour l’économie !
Il reste que l’égalité
intégrale n’aura pas été atteinte tant que les enfants n’auront pas le choix de
naître sans parents, et tant qu’il ne sera pas possible d’exiger d’être père ou
mère sans enfants.
Délicieuse perspective,
non ? Autant que l’on peut trouver délicieux d’imaginer un futur plus ou
moins proche où des êtres sans racines regarderont passer des trains sans
conducteurs – ils seront sans travail donc ne pourront pas payer le billet pour
s’y embarquer. Les plus optimistes d’entre eux se consoleront peut-être en
songeant que tout cela est bon pour la croissance. Et qui sait s’il ne se
trouvera pas quelque bel esprit – s’il en reste – pour nommer ce temps les
jours sans ?
(Cette chronique se voulant
légère et plus ou moins littéraire, d’autres arguments, plus sérieux, sur
l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique sont à trouver
ailleurs, ici par exemple.)
[i] Voir ici.
[ii] Les guillemets
s’imposent : tous les patrons ne sont pas de vilains méchants, bouffis et
ricanants.
[iii] Procédé qui,
fondamentalement, mérite déjà qu’on y réfléchisse.
[iv] Contrairement, par
exemple, à M. Pierre Bergé (ardent soutien de M. Macron pendant la campagne
présidentielle d’icelui), qui ne voit pas la différence entre les bras d’un
ouvrier et le ventre d’une femme puisque, pour lui, tout cela n’est que de
l’outillage à louer. M. Pierre Bergé a le maigre mérite d’avoir vendu la mèche
dès 2013.
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