Le monde moderne, si
épris de sa sécularisation, souffre d’un vide spirituel qu’il comble comme il
peut. Diverses idolâtries ont été essayées, du culte des vedettes de cinéma ou
de la chanson à celui des hommes exceptionnels, en passant par ceux de l’argent
ou de la force destructrice, sans oublier les engouements partisans. En peu de
mots, ce monde déborde de religiosité, sous des formes dévoyées, abâtardies,
dégénérées.
Il me semble, oh, sans
aucun chauvinisme, que la France est un pays pionnier en ce domaine. Depuis la
Révolution française, des forces diverses se sont employées, parfois
ouvertement, à extirper toute trace de christianisme dans notre civilisation. Ce
qui a laissé la place, dans les esprits comme dans les institutions, à des
formes variées de n’importe quoi : culte de l’Être suprême, Translations au
Panthéon, napoléonisme…
Une des dernières
manifestations de cette idolâtrie fut, vers 1988, la quasi-divinisation dont
François Mitterrand fit l’objet. Oh, une divinisation bien de son époque, sympa,
puisque la liturgie mitterrandique prévoyait que le nouveau dieu fût adoré par
la jeunesse sous le nom de Tonton. Curieux destin pour un genre de
Rastignac qui exerça ses talents de Vichy à la pyramide du Louvre, en passant
par les jardins de l’Observatoire…
On aurait pu croire,
après avoir vu se succéder, à la suite de François Mitterrand, MM. Chirac,
Sarkozy et Hollande, que ces manières appartiendraient bientôt à l’histoire
ancienne. C’était sans compter sur M. Macron.
J’ignore qui le premier a
eu l’idée d’affubler ce dernier d’une épithète que l’on nous sert jusqu’à la
satiété : jupitérien. Sont-ce les adversaires de M. Macron, voulant
ainsi signifier sa supposée mégalomanie ? Sont-ce ses admirateurs ou ses
soutiens, voulant manifester un enthousiasme sans bornes ? Ou M. Macron
lui-même, pris d’une bouffée d’orgueil qui aurait laissé quelques séquelles ?
Je n’ai pas la réponse. Mais si j’étais mauvaise langue, j’objecterais qu’avec
ses en même temps M. Macron me fait plus penser à Janus qu’à Jupiter.
Puisque M. Macron trône
désormais sur l’Olympe, d’autres s’y verraient bien. M. Bruno Le Maire,
ministre de l’économie, aimerait bien, paraît-il, qu’on lui trouvât quelque
chose d’Hermès[i].
On ignore si c’est de l’humour ou l’ivresse provoquée par l’air raréfié de
sommets tels que ceux de l’Olympe.
Nous nageons donc dans l’antique,
dans la grandeur et la beauté classiques. Faut-il y voir une forme de
néo-paganisme ? Je l’ignore, mais il faut observer qu’il existe d’autres
mythologies européennes que celle à laquelle MM. Macron, Le Maire et autres
font référence. Il est vrai que certaines d’entre elles furent récupérées au
XXe siècle par des gens fort peu recommandables. Dommage, car un président-Thor
n’eût pas manqué, outre de force, d’une certaine truculence, voire de drôlerie.
Quelles qu’elles soient,
ces mythologies sont des sources d’images et d’histoires cruelles, émouvantes
ou cocasses dont il faut admirer la beauté ou l’astuce en s’empressant de ne
pas y croire[ii].
Puisque j’ai évoqué plus
haut, parmi les substituts religieux offerts par nos institutions d’Etat, le Panthéon,
revenons-y un instant. Il y a quelques jours, on annonçait le décès de Simone
Veil. Aussitôt, on a parlé de l’inhumer au Panthéon, et l’idée fait son chemin
depuis. Cela ressemble à une version laïque, gratuite et obligatoire de quelque
santo subito, à ceci près que, par son nom, le Panthéon suggère plus l’adoration
due au divin que la vénération due aux saints. J’évoquais plus haut une sorte
de néo-paganisme : eh bien, sous couvert de laïcité, la République, avec
son Panthéon, nous en propose un, hâtivement imité de l’antique, apothéoses
comprises.
Soit dit en passant, le
nom de Simone Veil reste associé à une loi votée en 1975, dont un bon nombre d’interprétations
et de dérives actuelles semblent, et de loin, avoir dépassé les intentions. A propos
de ces intentions, si j’ai bien compris, il s’agissait, tout en rappelant que l’avortement
ne saurait être considéré que comme un dernier recours, de ne pas
poursuivre les femmes qui se seraient fait avorter, ni les médecins qui
auraient pratiqué ce geste, de manière à éviter des souffrances supplémentaires
et des dangers sanitaires auxdites femmes. C’était une intention généreuse,
certes, mais risquée, car ouvrant la place à toutes sortes d’interprétations et
d’usages pour le moins abusifs[iii]. A ce
titre (outre le fait qu’elle permettait de tuer un être humain, certes encore à
l’état d’ébauche, si j’ose dire), on peut considérer que c’était une erreur. Cela
appelle le reproche, et certainement pas l’insulte ni la malédiction. La vie et
les actes de Simone Veil ne sauraient se résumer à cette loi. A l’occasion de
son décès, on put entendre rappeler que dans les années 1960, en tant que haut
fonctionnaire du ministère de la justice, elle avait œuvré pour l’amélioration
des conditions de détention dans les prisons de femmes, avec le concours de
personnes aussi diverses que Gisèle Halimi et Mme Marie-France Garaud. Les actions
louables n’ont pas de couleur politique.
Souhaitons donc à Simone
Veil de reposer en paix, hors de portée des dithyrambes intéressés et des
crachats. Voilà pour rappeler que l’on peut respecter une personne tout en
critiquant certains de ses actes. Il y a toujours à prendre et à laisser.
Nous laisserons donc les
costumes de Jupiter, d’Hermès ou de Thor au vestiaire. Et le Panthéon au
magasin des décors.
[i] D’aucuns, épris d’exactitude,
se sont gaussés de M. Le Maire, qui s’est choisi un nom de dieu grec alors que pour
M. Macron c’est du côté de Rome qu’il faut aller voir. Répondons-leur qu’en France
Hermès fait quand même plus chic que Mercure, en matière de noms de marques. Soit
dit en passant, cela vous pose autrement un homme que Zadig et Voltaire…
[ii] C’est un catholique, un
peu narquois, qui vous dit cela.
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