Etant bachelier depuis
maintenant plus de vingt-cinq ans, j’ignore si, après l’obtention de ce diplôme, il est
toujours nécessaire d’aller à son lycée réclamer un papier nommé exeat.
Ce petit brimborion, dont le nom signifie en latin qu’il sorte, nous
signifiait que nous n’étions désormais plus lycéens.
Traversons la Manche et
transposons les choses à la politique : les notes données jeudi 23 juin au
Royaume-Uni par ses citoyens l’autorisent à s’en aller à Bruxelles demander son
exeat. Le Royaume-Uni ne sera plus, lorsque cela sera fait, un Etat
membre de l’Union européenne.
Les plus avisés – ou ceux
qui se croient tels – cherchent une explication simple à ce résultat. S’ils
sont « souverainistes » ou « eurosceptiques », ils
parleront de la revanche des peuples sur le machin technocratique apatride qui
s’est installé à Bruxelles. Les « europhiles » souligneront (pour se
rassurer ?) que les électeurs les plus jeunes auraient voté
majoritairement contre cette séparation ; tant pis pour eux : un
référendum n’est pas un sondage et, par conséquent, le vote n’est pas une
intention de vote et il est secret.
En vérité, il semble que
la majorité de Britanniques qui a voté pour quitter l’Union européenne l’ait
fait pour un tissu de raisons, bonnes, mauvaises ou vagues, et même parfois
contradictoires. Cela va probablement de la lassitude chez des ouvriers ou
d’anciens ouvriers appauvris ou inquiets[i] au
rêve, chez quelques nantis, de bâtir un paradis fiscal ; sans oublier le
nationalisme ou un goût assez anglais du défi adressé au reste du monde[ii]. A
droite, à gauche ou nulle part, il existe certainement une foule d’autres
causes[iii].
Mais revenons aux
réactions « à chaud », qui sont autant de tentatives de ne pas
réfléchir. Elles semblent reproduire les arguments utilisés pendant la campagne
par les deux bords : c’est à qui sera le plus simpliste, le plus
démagogue. Notons que, du côté des opposants au départ, le principal argument
était l’annonce d’une série de catastrophes qui allaient à peu près anéantir le
Royaume-Uni. Pour l’instant, le seul drame avéré a eu lieu pendant la
campagne : l’assassinat d’une députée par un homme manifestement dérangé[iv].
Les réactions, donc, sont
à peu près aussi bêtes que les propos de campagne. Chez les intéressés,
quelques célébrités ont touité – c’est plus fort qu’elles – et le résultat vaut
son pesant de porridge, comme le « je ne crois jamais avoir autant désiré
qu’il y ait de la magie[v] »
de J.K. Rowling, auteur de Harry Potter. D’autres, Français compris, se
sont fendus d’articles plus ou moins longs, avec l’arrogance aussi polie que
pontifiante d’un Jacques Attali (ici) ou la haine assumée d’un Gaspard Koenig
(là)[vi].
De telles inepties sont
regrettables. Certes, les circonstances sont aussi inédites pour l’Union
européenne que pour le Royaume-Uni, mais nul ne sait si elles sont
catastrophiques. On verra. Ce ne sera sans doute pas confortable, ce sera même
pénible ou douloureux par moments à plus d’un point de vue, mais après tout
c’est l’occasion pour tous les politiciens d’Europe de faire de la politique.
Et de se demander quel sens, quel contenu peut avoir leur fameux projet
européen dont ils nous rebattent les oreilles et auquel nous ne comprenons
pas grand-chose, à part quelques propos technocratiques ou sentimentaux. Ce
devrait être pour eux une stimulation intellectuelle, mais apparemment ils en
ont perdu l’habitude[vii].
Un seul politicien mérite
peut-être une mention spéciale : M. David Cameron, qui a eu l’élégance de
reconnaître sa défaite et d’annoncer sa démission prochaine, histoire de dire
qu’il ne se lave pas tout à fait les mains des affaires dont il a (ou avait) la
responsabilité.
On sera plus dubitatif
quant à son vieil ami-ennemi, M. Boris Johnson. Le jour de l’annonce des
résultats du référendum, ce dernier s’est paraît-il fait attendre avant de
paraître et de s’exprimer. Avait-il la gueule de bois ? Etait-il
embarrassé à la suite d’une victoire inattendue, voire non désirée ? En
tout cas, il ne paraît pas pressé d’aller chercher son exeat.
Du reste, fêter les
examens au point d’avoir la gueule de bois le lendemain, voilà un domaine où M.
Johnson peut revendiquer quelque expérience, puisque du temps de ses études à
Oxford il fut membre du célèbre Bullingdon Club, tout comme son camarade
et à peu près contemporain David Cameron. Ledit club est une des institutions
dont l’université d’Oxford fait assez peu la publicité, mais qui fit les
délices d’écrivains dotés de talents satiriques, comme Evelyn Waugh dans Grandeur
et décadence ou Retour à Brideshead. Il s’agit d’une sorte de troupe
de jeunes gens de bonne famille qui aiment les beuveries et les mauvaises
blagues dans un registre n’excluant pas la brutalité ni le vandalisme. En
somme, quelque chose de posh et de grossier qui se voudrait la
quintessence d’une certaine britishness. Peut-être s’est-il agi pour M.
Johnson de surjouer l’Anglais pour compenser des origines pour le moins
variées : suisses, allemandes, tcherkesses et même un peu anglaises.
Il y a peut-être aussi
quelque chose de français chez M. Johnson dans son peu d’empressement à aller
chercher son exeat. Quelque chose que n’aura pas compris, par exemple,
M. Steinmeier, qui est allemand[viii].
Un mot latin au sens proche de celui d’exeat est utilisé en Allemagne
pour désigner le baccalauréat (et non un papier que l’on va chercher ensuite)
Abitur, soit qu’il parte.
[ii] C’est en Angleterre et au
Pays de Galles que l’on a le plus voté pour cette séparation.
[iii] La presse a raconté avec
gourmandise qu’après ce référendum on
aurait relevé en provenance du Royaume-Uni une recrudescence sur Internet de la
question « qu’est-ce que l’UE » ? De quoi se moquer des
électeurs britanniques, qui auraient voté pour une séparation sans savoir de
quoi ils se séparent. Mis à part le fait que cette observation peut se
retourner contre ceux qui ont voté pour rester sans savoir dans quoi ils
voulaient rester, il est légitime de se demander si cette ignorance quant à la
nature ou aux buts de l’Union européenne (que les plus hautes instances d’icelle
ne font rien pour dissiper) n’est pas une cause de méfiance.
[iv] Le fait que cet homme ait
selon toute vraisemblance eu des relations avec quelques groupuscules
d’extrême-droite ou néonazis ne vient en rien infirmer cette hypothèse. Bien au
contraire.
[v] “I don’t think I
ever wanted magic more”
[vi] M. gaspard Koenig (déjà
évoqué ici) est le jeune « philosophe » chéri des magazines libéraux.
Vu le niveau des propos de ce béjaune prétentieux, s’il est philosophe, alors
je suis champion de natation. Pauvre petit Gaspard !
[viii] M. Steinmeier souhaite
que le Royaume-Uni quitte au plus vite l’Union européenne. Tout comme M.
Juncker, mais M. Juncker ne mérite pas qu’on parle de lui.
En tant que Français résidant au Royaume-Uni (et donc, fatalement, pas désintéressé dans cette querelle...), le pincement au cœur ressenti lors de la publication du résultat s'efface quelque peu devant la perspective de ne plus être sur la même île que Maître Gaspard. Comment diable peut-on vivre à l'étranger et ne pas se figurer que les peuples existent ? Comment peut-on être à ce point aveugle à la différence ?
RépondreSupprimerEn ce qui concerne le pathétique petit Gaspard, deux explications sont envisageables :
Supprimer- la vie hors-sol entre avions, aéroports, rédactions de journaux et mondanités : cela laisse peu d'occasions de rencontrer des "gens" ;
- l'idéologie : on peut se figurer à peu près tout et n'importe quoi lorsque l'on place ses petites idées au-dessus de la réalité.
En tout cas, le pincement au cœur que vous éprouvez ne vous fait pas perdre le sens de l'humour (même pour dire des choses sérieuses). C'est encourageant.
S.L.