L’été vient de commencer, paraît-il, mais je lui
trouve déjà un goût de soupe du 15 août :
l’envie de manger chaud et de mettre un tricot. Comme l’ennui
qui précède la rentrée ?
Douceurs totalitaires
Le caractère totalitaire du régime où nous vivons,
que le gouvernement se dise de gauche ou de droite, m’apparaissait jusqu’ici de
manière confuse. Je le soupçonnais bien un peu, mais je n’en voyais pas de
signe tangible. Seulement une vague
sensation.
Hier, par exemple, c’était la fête de la musique. Entendons-nous : je n’ai rien contre la
musique, et j’en chéris certaines formes, disons entre Guillaume Dufay et Lars
Gullin. Mais je ne prétends imposer mes goûts à personne : j’écoute, chez
moi ou dans ma voiture, des disques passés à un volume raisonnable ; ou
alors je vais à des concerts donnés dans des locaux appropriés. Et je n’ai nul
besoin que le gouvernement décrète qu’un jour particulier de l’année je doive
me réjouir parce qu’une bande de mariachis se tortille avec une basse trop
amplifiée sous mes fenêtres, que je dois maintenir fermée pour ne pas souffrir
de vertiges.
Mes amis me reconnaîtront à ce trait et me
féliciteront de demeurer le mauvais coucheur qu’ils aiment tant. Mais assez
parlé de moi et des obligatoires festivités jacklangaises.
D’autres signes apparaissent.
Eté pourri pour l’arrière-garde
J’ai déjà évoqué cette semaine la triste affaire de
cet étudiant, Nicolas Bernard-Busse, condamné à deux mois de prison ferme et à
une lourde amende pour le simple fait d’avoir quelque peu prolongé une
manifestation dimanche soir, sans commettre aucune violence que ce soit. Comme je
l’ai fait après une série de plaisanteries, je tiens à préciser que ce n’en est
pas une et que je n’ai pas, mais alors pas du tout, envie d’en rire. Les récits
que l’on peut lire ou entendre de son arrestation, de son jugement et de son
incarcération montrent avec quelle précipitation tout cela s’est passé. Il semble
qu’un traitement particulier soit réservé à tout ce qui touche à la Manif pour tous (eh oui, encore). Le
gouvernement a sans doute tenu à faire un « exemple » de ce cas. Une façon
de dire : maintenant, taisez-vous.
Je dis bien : le gouvernement. On ne me fera
pas croire que c’est une justice indépendante qui a envoyé en prison un jeune
homme dont le seul tort est d’avoir participé à un mouvement qui aura fait
défiler dans les rues, des mois durant, des centaines de milliers de personnes
pacifiques, malgré les campagnes de dénigrement, les insultes, les provocations,
les mensonges et les intimidations. C’est après tout la même justice qui se
montre passablement indulgente pour les émeutiers du Trocadéro ou les voyous
qui ont attaqué en bande une rame de RER il y a peu. Pardon si l’argument est
éculé, mais il me semble juste. Maintenant que les manifestations se font plus
sporadiques, moins massives et que la loi contre laquelle elles étaient dirigées
est appliquée, il est plus facile de faire passer ce que l’on pourrait
considérer comme l’arrière-garde pour un ramassis de délinquants. Le Derrick
catalan[i]
ne pouvait quand même pas faire emprisonner un million de personnes…
Des pétitions circulent pour la libération de ce
jeune homme, qu’il faut bien considérer comme un prisonnier politique[ii]. J’en ai
signé, j’en signerai autant qu’on voudra, sans me faire trop d’illusions, du
reste. Nos chers gouvernants, s’ils y répondent, le feront sans doute par
quelques coups de menton en invoquant je ne sais quelle fadaise comme la
légitimité démocratique, l’indépendance de la justice ou la tradition
républicaine. C’est à peu près ainsi qu’ils ont déjà fait passer leur loi
Taubira. En s’offrant en prime le luxe d’exciter tout le monde contre tout le
monde. Sans doute une spécialité de l’ectoplasme bredouillant, qui doit s’imaginer
que gouverner un pays et neutraliser ses concurrents au parti socialiste, c’est
la même chose.
Sommes-nous pour autant en dictature ? Je ne le
crois pas. Il y a toujours des élections, la majorité peut changer, mais on
nous somme désormais d’aimer tout ce que décide le gouvernement, sous prétexte
que nous aurions choisi celui-ci ; et sous peine d’aller en prison si nous
osons dire d'une manière un peu insistante qu’une loi votée nous déplaît. Peu chaut à un dictateur si on ne l’aime
pas, du moment qu’il se maintient au pouvoir. La marque d’un régime totalitaire
me semble en revanche être un désir d’être aimé, et aimé sincèrement par chacun.
Quitte à nier qu’il existe, hormis bien sûr des fous ou des criminels, des gens
qui ne sont pas enchantés de tout ce qu’il fait. Sans être une dictature :
les prochaines élections remplaceront le personnel et la même chanson reprendra
sur un autre ton.
En attendant, un jeune homme innocent risque fort de
passer l’été en prison pour l’avoir découvert et nous l’avoir rappelé.
Des poids et des mesures
Revenons à nos comparaisons quant à la peine
infligée à ce jeune homme. Ne le comparons pas à des voyous ou à des émeutiers
mais à des manifestantes d’un autre genre.
Je pense bien sûr aux Femen.
Ces mannequins hystériques, qui semblent avoir des tétons à la place du
cerveau, se sont pas mal fait remarquer ces derniers temps en France. En entrant
à moitié nues dans une cathédrale à deux reprises, notamment. Ou en allant
faire le coup de poing, toujours peu vêtues, contre des manifestants de
Civitas. Pour leur part, elles ont écopé de contrôles d'identité, et c’est tout[iii].
Influencée par cet exemple, une jeune Tunisienne a
barbouillé de graffitis les murs d’une mosquée et a diffusé une photo d’elle
avec les seins nus. Des « militantes » européennes se sont rendues en
Tunisie pour protester contre les ennuis qui ont été faits à cette jeune fille.
Vu leur tenue, elles ont été embarquées et condamnées à quatre mois de prison. Cette
dernière condamnation suscite naturellement des protestations en France, l’une
d’entre elles étant française. Les Tunisiens ne vont quand même pas faire la
loi chez eux, non ? Les auditeurs de France-Culture en sont régulièrement
entretenus[iv].
Gageons qu’ils le seront moins au sujet de Nicolas Bernard-Busse.
Des goûts et des couleurs
Naguère, les politiciens nous faisaient admirer l’étendue
de leur bêtise grâce à leurs petites
phrases, qui faisaient les délices des journalistes. Maintenant, ils ont Twitter ! Les célébrités et les
quidams en usent aussi. De sorte que l’on connait vite l’avis de n’importe qui
sur n’importe quoi. On assiste à une espèce de vidange permanente.
Ainsi, sur Nicolas Bernard-Busse, nous avons pu
savoir quelles sont les pensées profondes de Stéphane Guillon ; JE CITE :
« L’opposant au mariage pour tous incarcéré ce
soir à Fleury Mérogis va peut-être changer d’avis demain matin après sa
première douche. »
(Pause : après avoir recopié ces propos, il
faut que j’aille essuyer mes semelles ; il y a du travail.)
Pour ceux qui ont la chance d’ignorer qui est
Stéphane Guillon, qu’ils sachent que ce… ce… (non, je ne trouve pas) est
considéré comme un humoriste. Je me rappelle l’avoir vu à l’œuvre à la
télévision, à l’époque où je possédais un de ces engins. Il était payé pour se
moquer de l’invité du jour, dans je ne sais plus quelle émission. Cela consistait
à balancer à la figure dudit invité un tombereau de propos plus ou moins
désobligeants, invariablement bêtes et jamais drôles. Guillon rifougnait comme
une fillette de douze ans qui vient de dire « capote » là où l’on
était censé rire. Comme le public et l’animateur se marraient à ce signe, la
victime, ne souhaitant pas passer pour un rabat-joie, devait bien sourire
aussi.
Ce… ce… (aidez moi !) a ensuite gagné sa
gamelle quelque temps sur France-Inter avant d’être débarqué par un directeur
sans doute frappé d’un éclair de lucidité.
La citation de ce… ce… (non, toujours rien) illustre
bien sa conception de ce qu’il nomme humour : rigoler
avec les forts, avec ceux qui ont le pouvoir, ne frapper que ceux qui sont déjà
à terre. Quel courage. Quelle finesse. Quel esprit !
Dommage pour lui que l’URSS ait disparu. Ses mordantes
satires auraient sans doute fait fureur au Krokodil !
Quand je vous parlais de totalitarisme…
[i] Non,
rien à voir avec un restaurant du XVème arrondissement où il se peut
que l’on mange bien et tranquillement. Pardon pour ce jeu de mots !
[ii] Un
des motifs invoqués pour condamner Nicolas Bernard-Busse est son refus de se
faire prélever un peu de salive pour identifier son ADN. Ceux qui s’étonnent de
l’indignation que soulève cette condamnation n’arrêtent pas de répéter que nous
n’avons rien à dire parce que c’est une disposition apparue sous M. Sarkozy. J’ai
voté l’an dernier au second tour pour ce monsieur (choix du moindre mal), mais
je ne me rappelle pas avoir défilé dans les rues ces sept derniers mois en
criant « Sarkozy président ». Et ce genre de disposition me déplaît
tout autant, qu’elle vienne d’un président de gauche ou d'un président de droite.
[iii] J’ignore
cependant comment ont été traitées – ou comment elles le seront – celles qui
ont tenté d’approché notre président chéri au Bourget hier (mais est tenté de
se demander s’il ne s’agit pas de figurantes ; allez savoir). J’ignore
tout autant si de quelconques sanctions ont été prises contre celles qui ont
agressé, en Belgique au mois d’avril, l’archevêque de Malines-Bruxelles.
[iv] Ils ont
aussi eu le trouble plaisir d’entendre le 9 mars Inna Chevtchenko, « chef »
des Femen en France, complaisamment inteviouvée dans l’émission du matin avec
la complicité de l’inévitable Gazoline Chérie. Il en est sorti un amas de
platitudes stalinoïdes sur la nécessité d’interdire les religions, d’emprisonner
tous les fascistes, etc., débitées en mauvais anglais. Seul M. Brice Couturier,
chroniqueur quotidien, a eu le bon sens de mettre par terre tous les arguments
de l'invitée. Sans grande peine, du reste. Qu’il soit salué pour cela.
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