lundi 2 janvier 2023

« Le Président se tait » (Pauline Dreyfus)

 Pourquoi ne pas continuer – après un long silence de ma part – de célébrer les candidats au grand prix du roman de l’Académie française – même les candidats malheureux, comme Le Président se tait, de Pauline Dreyfus ? Il est impossible, avec un pareil titre, de ne pas penser à Tais-toi, roman tardif de Paul Morand, écrivain dont l’univers est familier à Paulin Dreyfus, comme on le sait[i]. On pourrait s’attendre dans ces conditions à quelque lourd et sombre secret, ou encore à un mutisme ironique ou facétieux d’un « président » quelque part entre 1930 et un trouble après-guerre. Il n’en est rien : nous sommes à l’automne 1979, le président se nomme Valéry Giscard d’Estaing et, s’il se tait, c’est à propos de la fâcheuse affaire des « diamants de Bokassa », qui fit quelque bruit à l’époque.

Puisque le président se tait, c’est l’occasion pour quelques personnages de nous livrer à son sujet ou au leur leurs sentiments : une immigrée portugaise toujours respectueuse des autorités et sûre de la bonne foi de chacun, un châtelain au patrimoine ruineux, des dissidents passés à l’Ouest, une journaliste, une maîtresse de maison désireuse jusqu’à l’inquiétude d’inviter qui compte, et même une petite fille nommée Pauline.

L’époque, déjà lointaine, ne l’est pas pour tous. Aussi Pauline Dreyfus a-t-elle eu la prudence de ne pas nous encombrer de trop de ces détails qui alourdissent le roman « en costumes » : quelques touches suffiront, comme le fait qu’on fume un peu partout et que la petite fille possède Le petit manuel de l’agent secret, trait d’époque pour initiés[ii]. Grâces soient donc rendues à Pauline Dreyfus de nous avoir évité quelque passage de couleur local, qui pourrait donner ceci :

Claquant la porte de sa CX Pallas, il mit le contact et alluma l’autoradio, duquel se déversèrent aussitôt les accents de Ashes to Ashes, de David Bowie. À peine avait-il démarré sur les chapeaux de roues qu’il dût freiner violemment, car une Simca Horizon cala devant lui. Il se rappellerait longtemps ensuite, on ne sait pourquoi, la peluche qui pendait au rétroviseur intérieur de la Simca : « Kiki, le kiki de tous les kikis », grinçait-il toujours à ce souvenir…

Ouf, merci encore !

Ce Petit manuel de l’agent secret que lit notre petite fille donne à penser que ce n’est pas l’âge qui fait l’innocence, mais peut-être une vocation portée par le nom : l’innocente, au sens noble comme au sens méprisant du terme (du moins selon le monde, c’est-à-dire son entourage direct), c’est Infancia, l’immigrée portugaise qui ne pense jamais à mal. Il y a quelque chose de rafraîchissant dans ce personnage.

Il m’est arrivé de m’interroger quant à l’usage systématique du présent dans les romans de Pauline Dreyfus[iii] et au succès varié de cette contrainte qu’elle semblait s’imposer. Rien de cela ici, et c’est tant mieux ! Pauline Dreyfus s’est donc libérée ? Pas si vite ! Une nouvelle contrainte apparaît, et elle est redoutable pour le lecteur, qui ne sait où interrompre sa lecture : la dernière phrase de chaque chapitre s’interrompt pour reprendre à l’ouverture su suivant, lequel nous est conté d’un point de vue différent. Ce genre d’enjambement crée comme un passage de relais entre les personnages, ce qui donne aux transitions une certaine fluidité, et à l’ensemble une cohérence qui n’eût pas été évidente sinon. Et qu’importe si le lecteur ne sait où s’arrêter, qu’il continue, il ne le regrettera pas !

Observons enfin un détail historique : le petit garçon que j’étais en 1979 se souvient fort mal de cette fameuse affaire de diamants, tandis qu’il se rappelle bien mieux la mort de Robert Boulin, laquelle surviendra quelques jours après les événements évoqués dans Le Président se tait, et dont on parle fort peu de nos jours. Et le petit garçon d’alors de se demander si, avec ces personnages s’agitant et bavardant à un rythme soutenu autour de cette histoire somme toute anecdotique de diamants, Pauline Dreyfus n’a pas réalisé le rêve de Flaubert : écrire un roman sur rien. Si c’est le cas, c’est fort réussi. Sinon, reconnaissons qu’il est plus drôle de considérer avec ironie cette agitation que la mort d’un ministre.

(À propos de Flaubert, comment ne pas songer au pastiche qu’en fit Proust, bien avant de compter Paul Morand parmi ses fréquentations, pastiche dont le prétexte tourne autour d’une affaire de faux diamants…)



[i] Voir ici.

[ii] Facile pour votre serviteur, dont la sœur possédait un exemplaire de ce livre.

[iii] Une vieille affaire ! Voir ici.

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