Pourquoi ne pas continuer – après un long silence de ma part – de célébrer les candidats au grand prix du roman de l’Académie française – même les candidats malheureux, comme Le Président se tait, de Pauline Dreyfus ? Il est impossible, avec un pareil titre, de ne pas penser à Tais-toi, roman tardif de Paul Morand, écrivain dont l’univers est familier à Paulin Dreyfus, comme on le sait[i]. On pourrait s’attendre dans ces conditions à quelque lourd et sombre secret, ou encore à un mutisme ironique ou facétieux d’un « président » quelque part entre 1930 et un trouble après-guerre. Il n’en est rien : nous sommes à l’automne 1979, le président se nomme Valéry Giscard d’Estaing et, s’il se tait, c’est à propos de la fâcheuse affaire des « diamants de Bokassa », qui fit quelque bruit à l’époque.
Puisque le président se
tait, c’est l’occasion pour quelques personnages de nous livrer à son sujet ou
au leur leurs sentiments : une immigrée portugaise toujours respectueuse
des autorités et sûre de la bonne foi de chacun, un châtelain au patrimoine
ruineux, des dissidents passés à l’Ouest, une journaliste, une maîtresse de
maison désireuse jusqu’à l’inquiétude d’inviter qui compte, et même une petite
fille nommée Pauline.
L’époque, déjà lointaine,
ne l’est pas pour tous. Aussi Pauline Dreyfus a-t-elle eu la prudence de ne pas
nous encombrer de trop de ces détails qui alourdissent le roman « en
costumes » : quelques touches suffiront, comme le fait qu’on fume un
peu partout et que la petite fille possède Le petit manuel de l’agent secret,
trait d’époque pour initiés[ii]. Grâces
soient donc rendues à Pauline Dreyfus de nous avoir évité quelque passage de
couleur local, qui pourrait donner ceci :
Claquant la porte de sa CX Pallas, il mit le contact
et alluma l’autoradio, duquel se déversèrent aussitôt les accents de Ashes to Ashes, de
David Bowie. À peine avait-il démarré sur les chapeaux de roues qu’il dût freiner
violemment, car une Simca Horizon cala devant lui. Il se rappellerait longtemps
ensuite, on ne sait pourquoi, la peluche qui pendait au rétroviseur intérieur
de la Simca : « Kiki, le kiki de tous les kikis », grinçait-il
toujours à ce souvenir…
Ouf, merci encore !
Ce Petit manuel de l’agent
secret que lit notre petite fille donne à penser que ce n’est pas l’âge qui
fait l’innocence, mais peut-être une vocation portée par le nom : l’innocente,
au sens noble comme au sens méprisant du terme (du moins selon le monde, c’est-à-dire
son entourage direct), c’est Infancia, l’immigrée portugaise qui ne pense
jamais à mal. Il y a quelque chose de rafraîchissant dans ce personnage.
Il m’est arrivé de m’interroger
quant à l’usage systématique du présent dans les romans de Pauline Dreyfus[iii] et
au succès varié de cette contrainte qu’elle semblait s’imposer. Rien de cela
ici, et c’est tant mieux ! Pauline Dreyfus s’est donc libérée ? Pas
si vite ! Une nouvelle contrainte apparaît, et elle est redoutable pour le
lecteur, qui ne sait où interrompre sa lecture : la dernière phrase de
chaque chapitre s’interrompt pour reprendre à l’ouverture su suivant, lequel
nous est conté d’un point de vue différent. Ce genre d’enjambement crée comme
un passage de relais entre les personnages, ce qui donne aux transitions une
certaine fluidité, et à l’ensemble une cohérence qui n’eût pas été évidente
sinon. Et qu’importe si le lecteur ne sait où s’arrêter, qu’il continue, il ne
le regrettera pas !
Observons enfin un détail
historique : le petit garçon que j’étais en 1979 se souvient fort mal de
cette fameuse affaire de diamants, tandis qu’il se rappelle bien mieux
la mort de Robert Boulin, laquelle surviendra quelques jours après les
événements évoqués dans Le Président se tait, et dont on parle fort peu
de nos jours. Et le petit garçon d’alors de se demander si, avec ces
personnages s’agitant et bavardant à un rythme soutenu autour de cette histoire
somme toute anecdotique de diamants, Pauline Dreyfus n’a pas réalisé le rêve de
Flaubert : écrire un roman sur rien. Si c’est le cas, c’est fort réussi. Sinon,
reconnaissons qu’il est plus drôle de considérer avec ironie cette agitation
que la mort d’un ministre.
(À propos de Flaubert,
comment ne pas songer au pastiche qu’en fit Proust, bien avant de compter Paul
Morand parmi ses fréquentations, pastiche dont le prétexte tourne autour d’une
affaire de faux diamants…)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).