A qui a des yeux pour
voir (et veut bien les ouvrir), le monde est empli de couleurs dont la
signification n’est pas toujours claire au premier regard. Il y a, bien sûr,
celles du pur plaisir, les couleurs de l’automne, les plus belles de l’année
lorsque le temps n’est pas des plus gris. D’autres relèvent d’une symbolique
franche : ainsi de l’éclairage en rouge des façades de quelques édifices
religieux à Paris notamment, à l’initiative de l’Aide à l’Eglise en Détresse,
jeudi 22 novembre ; quoi de mieux, en effet, pour promouvoir la liberté
religieuse, que de rappeler la couleur du sang de ceux qui souffrent de ne
mouvoir la vivre ? Du reste, dans l’Eglise catholique au moins, le rouge
est la couleur des jours où l’on célèbre la mémoire d’un martyr. Et nous venons
de vivre une période où, de dimanche en dimanche, les couleurs de l’Eglise ont
varié, du vert du temps ordinaire au violet de l’Avent en passant par le blanc
du Christ Roi, avant le blanc de Noël. Entre temps, il y aura eu aussi le rose
du Gaudete et, pourquoi pas (mais ce n’est pas un dimanche cette année),
du bleu pour l’Immaculée Conception…
Dans les ornements
liturgiques, le blanc est souvent paré d’or. Mais je ne me suis pas cru
autorisé, le dimanche 25 novembre, solennité du Christ Roi de l’univers, de
demander à un diacre, en sortant de la messe, si sa dalmatique n’était pas en
fait un gilet jaune.
Car, à parler de
couleurs, comment éviter ce jaune-là[i] ?
Tout aura été dit sur cet étrange mouvement, du plus intelligent au plus
stupide. Pour le plus stupide, ne nous attardons pas sur les bruits qu’ont pu
faire avec leurs bouches quelques ministricules : faisons preuve de
charité envers eux.
On aura naturellement
beaucoup glosé sur le prétexte écologique d’une hausse des taxes sur le
carburant qui n’est probablement que le facteur déclenchant de cette révolte. Pourquoi
nos gouvernements ne taxent-ils pas les transports aériens ou maritimes,
réputés polluer l’atmosphère bien plus que les pots d’échappement des voitures
particulières ? Cela pourrait entrer dans une réflexion ambitieuse sur le
commerce international et la part inutile, voire nuisible, de ses flux.
Quant à ces « gilets
jaunes », leurs contempteurs ne semblent plus guère agiter ce prétexte
écologique, ni les traiter de fossiles adorateurs des énergies du même nom. Car
il semble de plus en plus évident que bon nombre des « gilets jaunes »
sont tributaires de leurs voitures pour la moindre emplette, la moindre
démarche administrative, le trajet jusqu’à l’usine, à l’école ou le cabinet
médical le plus proche… Ils sont en fait les victimes d’un modèle qui leur a
été vendu voici cinquante ans environ (et auquel – personne n’étant tout à fait
innocent – ils ont parfois consenti). Peut-être la goutte de gas-oil versée
négligemment par le gouvernement a-t-elle été jetée sur un brasier qui
sommeillait, celui d’une lassitude vague et sourde qui s’est transformée en une
rage plus ou moins confuse, voire inarticulée. Voilà des gens qui crient, comme
un homme las, « j’en ai marre », sans trop savoir dire de quoi. Un gouvernement
ambitieux[ii]
tâcherait de mettre là-dessus les mots qui conviennent et de réfléchir à une
manière sérieuse de remplacer un modèle, une organisation dont on sent encore
confusément peut-être qu’il est épuisé : celui qui parque toute une
population moyenne dans des lotissements sans âme ou qui les laisse à leur
triste sort dans des bourgades de province vidées de tout ce qui fait un lien
social[iii].
Au lieu de cela MM.
Macron et associés s’y sont pris d’une manière méprisante, brouillonne et
brutale. Ils ne s’y prendraient pas mieux s’ils cherchaient à se faire haïr de
ces gens.
Un mot, pour finir, sur
les violences du 1er décembre : elles sont regrettables, odieuses
par certains aspects. Mais nous ne saurons probablement jamais quelle est la
part des manifestants et celle de casseurs de pelage divers[iv] dans
les dégâts infligés à l’Arc de triomphe de l’Etoile. Et comment un régime
politique qui prétend tirer ses origines d’émeutes (certes vieilles de plus de
deux cents ans) et qui les célèbre volontiers peut-il condamner des
manifestations violentes ?
[i] Aux dépens, il est vrai,
du violet porté par des femmes manifestant le 24 novembre contre les violences
dont certaines d’entre elles souffrent trop souvent… Je ne dirai pas un mot, en
revanche, du black Friday, pas même une diatribe contre le paganisme mercantile
de ce non-événement importé laborieusement des Etats-Unis. D’ailleurs, le noir
n’est pas une couleur, contrairement au blanc, qui est la synthèse de toutes.
[ii] Une opposition ambitieuse
aussi.
[iii] Ce monde moderne, qui a
eu ses séductions et abandonne maintenant ceux qu’il a séduits, me fait penser
à une définition du diable que l’on peut trouver dans Monsieur Ouine, de Bernanos : « Le diable, voyez-vous, c’est l’ami qui ne reste jamais jusqu’au bout… »
[iv] Ni, comme toujours dans
des manifestations, surtout si elles sont plus ou moins spontanées et confuses,
dans quelle mesure l’infiltration de la manifestation du 1er décembre
par ces casseurs a été facilitée par les autorités.
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