dimanche 2 décembre 2018

De toutes les couleurs

A qui a des yeux pour voir (et veut bien les ouvrir), le monde est empli de couleurs dont la signification n’est pas toujours claire au premier regard. Il y a, bien sûr, celles du pur plaisir, les couleurs de l’automne, les plus belles de l’année lorsque le temps n’est pas des plus gris. D’autres relèvent d’une symbolique franche : ainsi de l’éclairage en rouge des façades de quelques édifices religieux à Paris notamment, à l’initiative de l’Aide à l’Eglise en Détresse, jeudi 22 novembre ; quoi de mieux, en effet, pour promouvoir la liberté religieuse, que de rappeler la couleur du sang de ceux qui souffrent de ne mouvoir la vivre ? Du reste, dans l’Eglise catholique au moins, le rouge est la couleur des jours où l’on célèbre la mémoire d’un martyr. Et nous venons de vivre une période où, de dimanche en dimanche, les couleurs de l’Eglise ont varié, du vert du temps ordinaire au violet de l’Avent en passant par le blanc du Christ Roi, avant le blanc de Noël. Entre temps, il y aura eu aussi le rose du Gaudete et, pourquoi pas (mais ce n’est pas un dimanche cette année), du bleu pour l’Immaculée Conception…
Dans les ornements liturgiques, le blanc est souvent paré d’or. Mais je ne me suis pas cru autorisé, le dimanche 25 novembre, solennité du Christ Roi de l’univers, de demander à un diacre, en sortant de la messe, si sa dalmatique n’était pas en fait un gilet jaune.
Car, à parler de couleurs, comment éviter ce jaune-là[i] ? Tout aura été dit sur cet étrange mouvement, du plus intelligent au plus stupide. Pour le plus stupide, ne nous attardons pas sur les bruits qu’ont pu faire avec leurs bouches quelques ministricules : faisons preuve de charité envers eux.
On aura naturellement beaucoup glosé sur le prétexte écologique d’une hausse des taxes sur le carburant qui n’est probablement que le facteur déclenchant de cette révolte. Pourquoi nos gouvernements ne taxent-ils pas les transports aériens ou maritimes, réputés polluer l’atmosphère bien plus que les pots d’échappement des voitures particulières ? Cela pourrait entrer dans une réflexion ambitieuse sur le commerce international et la part inutile, voire nuisible, de ses flux.
Quant à ces « gilets jaunes », leurs contempteurs ne semblent plus guère agiter ce prétexte écologique, ni les traiter de fossiles adorateurs des énergies du même nom. Car il semble de plus en plus évident que bon nombre des « gilets jaunes » sont tributaires de leurs voitures pour la moindre emplette, la moindre démarche administrative, le trajet jusqu’à l’usine, à l’école ou le cabinet médical le plus proche… Ils sont en fait les victimes d’un modèle qui leur a été vendu voici cinquante ans environ (et auquel – personne n’étant tout à fait innocent – ils ont parfois consenti). Peut-être la goutte de gas-oil versée négligemment par le gouvernement a-t-elle été jetée sur un brasier qui sommeillait, celui d’une lassitude vague et sourde qui s’est transformée en une rage plus ou moins confuse, voire inarticulée. Voilà des gens qui crient, comme un homme las, « j’en ai marre », sans trop savoir dire de quoi. Un gouvernement ambitieux[ii] tâcherait de mettre là-dessus les mots qui conviennent et de réfléchir à une manière sérieuse de remplacer un modèle, une organisation dont on sent encore confusément peut-être qu’il est épuisé : celui qui parque toute une population moyenne dans des lotissements sans âme ou qui les laisse à leur triste sort dans des bourgades de province vidées de tout ce qui fait un lien social[iii].
Au lieu de cela MM. Macron et associés s’y sont pris d’une manière méprisante, brouillonne et brutale. Ils ne s’y prendraient pas mieux s’ils cherchaient à se faire haïr de ces gens.
Un mot, pour finir, sur les violences du 1er décembre : elles sont regrettables, odieuses par certains aspects. Mais nous ne saurons probablement jamais quelle est la part des manifestants et celle de casseurs de pelage divers[iv] dans les dégâts infligés à l’Arc de triomphe de l’Etoile. Et comment un régime politique qui prétend tirer ses origines d’émeutes (certes vieilles de plus de deux cents ans) et qui les célèbre volontiers peut-il condamner des manifestations violentes ?


[i] Aux dépens, il est vrai, du violet porté par des femmes manifestant le 24 novembre contre les violences dont certaines d’entre elles souffrent trop souvent… Je ne dirai pas un mot, en revanche, du black Friday, pas même une diatribe contre le paganisme mercantile de ce non-événement importé laborieusement des Etats-Unis. D’ailleurs, le noir n’est pas une couleur, contrairement au blanc, qui est la synthèse de toutes.
[ii] Une opposition ambitieuse aussi.
[iii] Ce monde moderne, qui a eu ses séductions et abandonne maintenant ceux qu’il a séduits, me fait penser à une définition du diable que l’on peut trouver dans Monsieur Ouine, de Bernanos : « Le diable, voyez-vous, c’est l’ami qui ne reste jamais jusqu’au bout… »
[iv] Ni, comme toujours dans des manifestations, surtout si elles sont plus ou moins spontanées et confuses, dans quelle mesure l’infiltration de la manifestation du 1er décembre par ces casseurs a été facilitée par les autorités.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).