Depuis environ un mois qu’il
dure, le mouvement des « gilets jaunes » ne cesse d’intriguer, d’émouvoir,
de passionner. Comme désormais il faut faire vite, c’est à qui en fera le plus
d’interprétations possibles. Nos politiciens de tous bords – peu réputés, il
est vrai, pour la finesse de leurs analyses – semblent s’y être brûlé les
doigts à force d’expressions de mépris, de menaces ou de tentatives de
récupération. Leur talent d’artistes de cirque ou de cabaret semble s’y être
usé.
Ajoutons à cela le goût
du sensationnel, du sang, de la chique et du mollard (comme on disait dans les
cours de récréation de mon enfance) des chaînes dites d’information continue,
auquel répond certes le voyeurisme du public, et le spectacle est presque complet.
Presque, parce que certains meneurs des « gilets jaunes » s’y sont
aussi prêtés : chacune de leurs manifestations parisiennes du samedi n’est-elle
pas nommée « acte » ? De sorte que l’on a l’impression d’assister
à une pièce de théâtre. Or le théâtre n’est qu’un simulacre.
Tout cela risque de finir
en pagaille généralisée. Des rumeurs, signes de panique, circulent. Comme celle
du complot international, qui veut que ce mouvement soit discrètement manipulé par
la Russie et les sbires numériques (ou trolls) de M. Poutine. Ce dernier n’est
certes pas un petit saint, mais il serait raisonnable de ne pas voir sa main
partout : cette obsession risque d’empêcher ceux qu’elle saisit de
réfléchir. Dans le même registre, notons l’interpellation, samedi 8 décembre,
de M. Julien Coupat, abscons pamphlétaire anarchisant, qui se trouvait à Paris à
bord d’une voiture où l’on aurait trouvé
des gilets jaunes. Voilà que l’on tente de nous refaire le coup de Tarnac !
Il était donc légitime d’attendre
quelques paroles, quelques engagements aussi, de la part de celui qui occupe
les plus hautes fonctions dans notre pays, que cela nous plaise ou non. M.
Macron a parlé, lundi 10 décembre. Il a semblé vouloir manifester quelque
contrition[i] quant
au caractère hautain de certains de ses propos, avant d’annoncer quelques
mesures censées apaiser la colère des « gilets jaunes ». On en a
retenu surtout des mesures comptables : cet homme et son gouvernement ne
verraient-ils le monde qu’à travers ce prisme ? Observons que c’est une
mesure comptable maladroitement parée d’oripeaux d’une urgence écologique
réelle (pour laquelle il y aurait tant à faire dans d’autres domaines que la
seule fiscalité, et d’une manière qui bénéficierait probablement à ces « gilets
jaunes ») qui a tout déclenché… Bref, M. Macron, pensant apaiser le
courroux[ii] de gens
à qui il demandait trop, a paru se contenter un peu vite de leur donner la
pièce, comme on dit dans la bonne bourgeoisie. Cela risque d’être perçu comme
un mélange de finasserie et de condescendance. Ah, maudits penchants ! M.
Macron serait bien avisé de maudire certains des siens, tout au moins de s’en
garder.
Du reste, la méfiance de
tous envers tous semble avoir atteint des niveaux pénibles : ainsi,
certaines grandes gueules ou cerveaux tordus parmi les « gilets jaunes »
(tout mouvement, surtout aussi peu structuré, en compte sa part) ont cru bon d’imaginer
que l’attentat qui a eu lieu le 11 décembre à Strasbourg[iii]
pourrait être un coup monté par le gouvernement pour les empêcher de manifester
à Paris le 15. Cela est au moins aussi ridicule que les rumeurs de complots
poutinoïdes.
En considérant qu’en même
temps quelques lycéens chahutent à leur tour et que d’autres protestations ont
lieu, il semble que l’on n’assiste plus à la République en marche, mais
à la République en rade[iv],
compte tenu de la médiocrité dont font montre aussi bien la majorité que l’opposition.
De là à imaginer d’autres formes de gouvernement, séduisantes ou effrayantes…
Peut-être est-ce le
constat fait par le duc d’Anjou, que les légitimistes nomment Louis XX :
il lui a paru opportun d’affirmer son soutien aux revendications des « gilets
jaunes » tout en réprouvant la violence qui en émane parfois. Dans son message,
daté du 8 décembre, solennité de l’Immaculée Conception, il confie la France à
la prière de la sainte Vierge, qui est la « vraie Reine de France ».
Sage humilité. Un roi, pourquoi pas ? Et les propos du duc d’Anjou sont
admirables. Sont-ils autre chose que des mots ? Souhaitons-le, ne
serait-ce que pour l’homme.
Les rêveries politiques,
malgré leur charme, sont souvent chimériques. Place, donc, au réel. Quelques évêques
français se sont exprimés sur cette révolte. Avec des mots justes et des
propositions. On a même vu l’évêque de Montauban visiter un piquet de « gilets
jaunes », au bord d’un rond-point. Il y a même rencontré un homme touchant
une mince pension d’invalidité après un accident du travail, à qui il avait été
conseillé de divorcer pour optimiser ses gains. La société en est là, à
conseiller à des hommes blessés de se détruire encore un peu plus, pour
ramasser quelques sous… Mgr Ginoux a été bien inspiré de visiter cette
périphérie : un rond-point de nulle part, avec pour tout paysage des
hypermarchés et leurs enseignes criardes, où des hommes témoignent du monde tel
qu’il se défait.
[i] Qu’il faut espérer
sincère.
[ii] Voyez comme notre langue
est riche et belle. Pourquoi nos amis les journalistes utilisent-il toujours « grogne » ?
Cela fait un peu bestial, quand même, non ?
[iii] Pensée amicale et prière
pour cette ville et ses habitants.
[iv] Quand je vous disais qu’il
y a quelque chose chez M. Macron qui fait penser à Huysmans…
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