On peut tout faire dire à
un texte. Il suffit d’y prélever un mot ou une phrase en l’isolant du reste et
tout – ou n’importe quoi – est dit. Ce peut être par distraction, par
superficialité, par obsession, ou à dessein, histoire de cacher le reste, voire
à des fins malveillantes ou polémiques.
Le procédé peut
fonctionner même s’il est grossier. Par exemple, cet été, on pouvait entendre
sur France Culture des conférences où M. Onfray débitait sur le christianisme
des énormités déjà relevées l’an dernier dans un fort recommandable livre de
Jean-Marie Salamito[i].
Devant un public apparemment conquis d’avance, il a refait un de ses désormais
classiques numéros, celui de la parabole des mines[ii], où
grâce à un seul verset, soigneusement isolé, il décrète la violence intrinsèque
du christianisme. Le numéro est rôdé, archirôdé, même : M. Onfray donne
ses références, pour que son auditoire puisse vérifier : Luc 19, 27. Or,
comme la parabole des mines est, justement, une parabole, la parole prononcée
dans ce verset n’est pas à proprement parler une parole du Christ, mais une
parole prononcée par un personnage de cette parabole, racontée par le Christ. S’il
voulait faire preuve de la plus petite honnêteté intellectuelle, M. Onfray
pourrait suggérer de lire cette parabole en entier, et la référence qu’il
indiquerait serait Luc 19, 11-27. Voilà pour les trucages malveillants.
Dans un autre registre,
de nombreux « commentateurs », professionnels ou amateurs, se sont
jetés sur le mot psychiatrie prononcé par le pape il y a quelques jours
dans l’avion qui le ramenait de Dublin. Il s’agissait pour lui, rappelons-le,
de répondre à la question d’un journaliste sur la conduite à tenir par des
parents à qui l’un de leurs enfants aurait annoncé son homosexualité. L’ensemble
de la réponse pourrait se résumer par la nécessité d’écouter cet enfant, de ne
pas le rejeter et d’essayer de le comprendre, y compris, s’il est très jeune,
en consultant un psychiatre (ou un psychologue). Rien d’étonnant, en somme. Les
esprits conformistes n’ont eu qu’à saisir le mot psychiatrie pour
prétendre avoir compris que le pape assimilait les homosexuels à des dingues. Peut-être
certains l’ont-ils cru et, mus par quelque réflexe, ont touité leur
indignation, comme une certaine Mme Schiappa, qui a la réputation de faire
partie du gouvernement français…
Ironie du sort, répondant
à la question d’un autre journaliste, le pape l’a invité, ainsi que ses
confrères, à lire attentivement un texte dans son intégralité : il s’agissait
bien sûr de la lettre de Mgr Viganò l’invitant à « démissionner ».
Ce texte comporte apparemment assez d’invraisemblances pour que le secrétaire
du pape émérite Benoît XVI ait cru bon de le qualifier de bobard[iii]. Un
réflexe « bergogliophobe » ou « francescophobe » chez
quelques énervés empêche ceux-ci de tenir compte de ce genre de détail, trop
friands de trouver dans la diatribe de Mgr Viganò des « révélations »
défavorables au pape François[iv].
Maintenant qu’après la
malveillance nous avons entrevu le cas des réflexes, voyons ce qu’il peut en
être d’un genre de distraction que l’on pourrait qualifier de frivole, quand
elle n’est pas feinte à des fins fallacieuses. La manière dont il a été rendu
compte d’un discours récemment prononcé par M. Macron au Danemark est à ce
titre édifiante.
Tout le monde aura retenu
de ce discours les propos tenus à l’étranger par un chef d’Etat sur ses
compatriotes, propos certes d’une condescendance déplacée : qualifier les
Français de « Gaulois réfractaires au changement » n’est pas ce que l’on
fait de plus élégant. Passons, nous ne sommes plus à une petite muflerie près
de la part de M. Macron. Nous laisserons donc opposants systématiques et
partisans hypnotiques s’écharper à ce sujet[v]. Contentons-nous de renvoyer le compliment à l’intéressé,
comme l’a en quelque sorte fait M. Hulot, par anticipation, lorsqu’il a annoncé
sa démission[vi]. M. Hulot, en substance,
a reproché à M. Macron et à son gouvernement leur manque évident de volonté de
changer quoi que ce soit à une politique visiblement peu compatible avec des
urgences écologiques qu’il devient de plus en plus difficile de nier : « est-ce
qu’on essaie un peu d’être disruptif[vii],
d’investir dans la transition écologique ? […] Est-ce qu’on
s’est autorisé à essayer de sortir un peu de l’orthodoxie économique et
financière ? Est-ce que la finance de spéculation qui spécule sur les biens
communs on l’a véritablement remise en cause ? » En
résumé, le changement que souhaite M. Macron pourrait consister à passer de business
as usual à business, more than usual.
C’est là qu’il faut en
venir à un passage du discours de M. Macron qui a été fort peu commenté. Notre président
a tenu à célébrer un supposé modèle social danois au travers de la fameuse « flexi-sécurité »,
laquelle consiste en gros à faciliter les licenciements avec pour contrepartie
des facilités d’embauche et plus d’aides aux chômeurs. Ce genre de mesure peut
se défendre ou se discuter, mais M. Macron n’est pas là pour discuter. En l’occurrence,
il préfère user d’un genre de lyrisme que l’on pourrait qualifier de managérial :
« La France n’a pas du tout flexibilisé à hauteur du modèle danois. Il faut
être lucide, vous êtes dans un pays modèle d’équilibre social et de justice
mais dans un pays où l’on licencie par SMS dans la journée. »
Je m’interroge sur ce mais.
S’agit-il de trouver des limites au « modèle d’équilibre social et de
justice » vanté juste avant ? Ou alors s’agit-il de dire que cet
équilibre et cette justice ont nécessairement un prix, celui de la précarité
des emplois ?
Nul doute que, s’il était
interrogé à ce sujet, M. Macron ou un de ses courtisans laisserait son
interlocuteur avec sa perplexité, invoquant sa désormais fameuse pensée
complexe, vulgo : en même temps (marques déposées). Mais
s’il s’agit de la seconde des possibilités évoquées, force m’est de dire que M.
Macron peut garder pour lui sa conception de la justice sociale.
[i] Dont il a déjà été
question ici. Je ne tiens pas à radoter.
[ii] Equivalent dans l’Evangile
selon saint Luc de la parabole des talents.
[iii] Voir ici.
[iv] Cela étant posé, il
importe de ne pas nier la nécessité d’immenses efforts de la part de l’Eglise
catholique pour lutter contre certaines formes particulièrement révoltantes de
corruption.
[v] Tout en relevant dans ce
discours de laborieuses circonvolutions tendant à nier l’existence de peuples pour
aussitôt en exalter ou en dénigrer quelques traits s’apparentant plus à des
clichés qu’à quoi que ce soit d’autre.
[vi] Le caractère décoratif de
son poste ne pouvait plus lui échapper. Même le spectaculaire Daniel Cohn-Bendit
a refusé de lui succéder. Le poste à échu à M. François de Rugy, qui sera
parfait en bibelot.
[vii] Savourons ce mot très « macronien »
dans le discours d’un ministre démissionnaire et un peu fâché (on le serait à
moins).
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