La postérité est un
tribunal volage. De certains écrivains, hormis à l’occasion de quelques
anniversaires ou commémorations propices à les faire momentanément redécouvrir,
elle ne retient que quelques bribes de légende. Surnageront quelques anecdotes
pittoresques, quelques citations approximatives, quelques soupirs d’admiration
ou quelques engouements suscités pour des raisons hasardeuses – politiques
notamment. Tous ces éléments inciteront à la paresse : on croira tout
savoir d’un écrivain sur ces bases, ou du moins suffisamment pour se contenter
de le vénérer formellement ou de le mépriser, voire de le détester. Si
l’écrivain est mort prématurément (morceau supplémentaire de légende), son souvenir
même risquera de s’effacer lorsque ses derniers contemporains auront fini de
disparaître.
Dans bien des cas, ce
n’est pas grave. Mais dans celui d’un écrivain de la taille de Roger Nimier, ce
serait plus que regrettable. Les clans amicaux se clairsemant sous l’effet du
temps, restent la critique et l’histoire littéraires.
Dans ce dernier domaine,
l’université est bien silencieuse. Comme ses confrères « hussards »,
Nimier n’est guère un objet d’étude. Trop classique ? Trop « de
droite » ? Trop farceur ?
Il serait cependant
injuste de ne pas citer le nom de Marc Dambre, lequel depuis une trentaine
d’années, outre le biographe de Nimier[i] ,
s’est fait l’éditeur de nombreux recueils posthumes de ses textes et le maître
d’œuvre d’un « cahier de l’Herne » paru pour le cinquantenaire de sa
mort. Au point, diront certains, de s’être institué gardien du temple.
Alain Cresciucci, qui
vient lui aussi du monde universitaire, a décidé d’ouvrir les fenêtres dudit
temple. Avec Roger Nimier – masculin, singulier, pluriel[ii],
il nous invite à redécouvrir Nimier : l’homme, certes, mais surtout
l’œuvre, sans oublier le personnage ou plutôt les personnages, avant de
s’interroger sur sa postérité. On pourrait dire de cet essai qu’il vient
compléter un cycle entamé en 2011 dans Les désenchantés et poursuivi en
2014 dans Jacques Laurent à l’œuvre puis en 2016 dans Le monde (imaginaire)d’Antoine Blondin. Ledit cycle avait d’ailleurs été précédé d’une biographie
d’Antoine Blondin[iii],
parue en 2004.
L’essai dont il est
question ici n’est pas à proprement parler biographique. Il propose une lecture
thématique de l’œuvre aux multiples facettes d’un écrivain dont « on eût
dit qu’il passait en foule », comme l’écrivit de lui Alexandre Vialatte.
Ce sont tour à tour l’œuvre romanesque et critique de Nimier, mais aussi son
travail cinématographique et éditorial qui nous sont exposés ici, sans oublier
ses incursions dans le domaine de la politique et de la morale (dans Le
grand d’Espagne, par exemple) ou même de la philosophie (les moins concluantes,
semble-t-il). On regrettera toutefois l’absence d’une étude spécifique du style
de Nimier.
Il en ressort, hormis les
quelques facilités, provocations ou travaux alimentaires auxquelles Nimier put
de temps à autre se livrer, un point commun entre tous ces domaines :
l’exigence, à commencer par celle envers soi-même. Ce trait, moins tragique,
moins romantique qu’on ne sait quelle lassitude courant vers la mort aux
couleurs de « l’écurie fatalité » (pour paraphraser un Antoine
Blondin déjà révolté en 1962 contre ce genre de billevesées), pourrait
expliquer bien des choses, à commencer par le fameux « silence
romanesque » qui frappa Nimier pendant neuf ans.
Ni hymne à l’extravagance
pourfendant l’ennui sartrien ni dénigrement d’un écrivain trop
« léger » pour retenir l’attention, ni non plus méditation – tout
aussi facile – sur le désespoir habillé de fantaisie et traqué au volant d’une
voiture de sport[iv],
l’essai d’Alain Cresciucci paraît un guide à conseiller à qui voudrait
découvrir Nimier plus de cinquante ans après sa mort.
Et la postérité ?
« Nous en reparlerons dans un siècle ou deux », conclut Alain
Cresciucci. Volontiers, mais autant (re)commencer dès maintenant.
[i] Son Roger Nimier, hussard du demi-siècle était à l’origine une thèse.
[ii] Paru aux éditions
Pierre-Guillaume de Roux.
[iii] Etant donné le
sous-titre des Désenchantés
(« Blondin, Déon, Laurent, Nimier »), verrons-nous paraître pour
réellement clore ce cycle un Déon par
Alain Cresciucci ? Ce serait sans doute intéressant.
[iv] Avec si possible une
belle passagère pour mourir à cent cinquante à l’heure une nuit…
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