Les récents avis rendus
par le Comité Consultatif National d’Ethique[i] quant
à la prochaine révision de la « loi bioéthique » appellent quelques
observations. Nous passerons rapidement sur la composition de ce comité,
largement renouvelée sous le mandat de M. Hollande, ce qui en soi était déjà
tout un programme, étant donné les positions (ou les convictions ?)
affichées par celui-ci dans ce domaine. Tout aussi rapidement, passons sur l’écart
manifeste entre les résultats de la consultation menée par le CCNE et les avis
qu’elle a rendus : nous sommes désormais habitués à de tels écarts, dans
des domaines fort variés, les « autorités » pouvant toujours invoquer
une surreprésentation de telle ou telle opinion[ii] sur
les sujets concernés pour s’asseoir sur les résultats (à quoi bon mener de
telles consultations, alors ?). Passons enfin sur la notion bizarre de « révision
de la loi bioéthique » : apparemment, une nation est tenue de revoir
périodiquement certains principes que d’aucuns considèrent – et ils n’ont pas
tort – comme essentiels, en fonction de techniques nouvelles ou de pratiques
que quelques-uns veulent voir autoriser[iii].
Ces avis n’ont évidemment
pas force de loi. Mais il est question de propositions et de délibérations au
parlement pour cet hiver. Le gouvernement, à ce sujet, dit souhaiter « un
débat apaisé ». Interrogeons-nous donc de manière paisible sur quelques
aspects de ces choses.
Il importe pour commencer
de rappeler sur quoi portent ces avis. Il y est notamment question – en termes
favorables – de la procréation médicalement assistée (dite PMA) pour les
femmes seules et les couples de femmes, ainsi que de la possibilité pour une
femme de congeler ces ovocytes en vue de se réserver la possibilité de les
utiliser plus tard pour faire des enfants. Ne nous plaignons pas trop :
pour cette fois, les « sages » de circonstance ont rendu des avis
défavorables à la location de ventres de femmes (dite GPA), ainsi qu’à l’euthanasie
ou au suicide assisté. Les partisans de ces fascinants progrès « sociétaux »
en seront pour leur patience.
Ne soyons pas dupe
cependant : cette « PMA » pour femmes seules ou pour couples de
femmes, les « autorités » nous avaient juré leurs grands dieux que
cela n’était pas, mais pas du tout, envisagé dans le sillage du « mariage
pour tous ». Il y a donc fort à parier que pour la prochaine « révision »
un avis plus favorable sera émis quant à la « GPA »…
Nous connaissons, bien
sûr, par cœur les arguments de nos amis les « sociétalistes », qui
vont d’une contrefaçon de la bienveillance ou de la compassion à une conception
tout libérale de la vie : puisque nous n’avons de toute façon aucune
intention d’avoir recours à de telles méthodes, quelles qu’elles soient, elles
ne nous regarderaient pas et il ne nous serait donc pas permis d’en priver les
autres ni de nous mêler de leur vie.
Mais qu’est-ce qui nous
révolte donc tant dans ces procédés ?
En ce qui concerne la « PMA »
et dans quelques années probablement la « GPA », il y a bien sûr l’argument
de la filiation et du refus de voir concevoir à dessein des enfants privés de
père ou de mère, selon le procédé. Cela est juste et il me semble inutile d’en
dire plus ici, ces arguments ayant déjà été énoncés, répétés, martelés aux
oreilles de gens qui, semble-t-il, n’en ont cure. Il y a donc d’autres raisons
à invoquer que le seul intérêt de l’enfant – lequel n’est déjà pas rien.
Il y a bien sûr le refus
de considérer un enfant – et une personne donc – comme un genre de produit obtenu à l’issue
d’un projet planifié, organisé, financé… Il vaut mieux voir en la venue de
chaque personne un don, parfois inattendu, imparfait, certes, mais bien un don.
Mais au-delà, il semble
pertinent de se demander quelle est l’idée des hommes que se font des femmes
seules ou des couples de femmes projetant d’avoir un enfant : y
voient-elles seulement des réservoirs de semence que l’on pourra sélectionner
selon divers critères, financiers notamment ? Et comment deux hommes (ou
un homme et une femme) louant les services d’une « mère porteuse »
considèrent-ils celle-ci ? Comme une matrice, un moule, un centre de
production ? Certes, tous les partisans de ces prodigieuses et réjouissantes
méthodes n’ont probablement pas ces vues. Mais le danger, ou la tentation,
existe.
Ces vues s’appliquent
tout autant à cette histoire de congélation d’ovocytes : ne voudrait-on
pas pousser certaines femmes à considérer leurs corps comme des magasins d’accessoires
ou de pièces détachées, qu’il serait possible de gérer comme on le fait d’un
stock ?
Cette réification des corps
– et, à travers les corps, des personnes – est assez terrifiante ; elle
opère déjà en partie dans ce sens avec l’avortement : combien d’enfants à
naître qui ne naîtront jamais, éliminés en route[iv]
parce qu’une tare leur avait été diagnostiquée ? En somme, ils ont été mis
au rebut. Ce même genre de conception se retrouve dans l’euthanasie ou le
suicide assisté : êtes-vous vieux, moche, malade, malheureux ? Vous
êtes invité à disparaître. Et certains osent appeler cela « mourir dans la
dignité ».
Dans un monde
passablement marchand, il est donc un risque[v] de ne
plus voir en autrui, voire en soi-même, qu’un centre de profit, un gisement, ou
alors un centre de coût. Dans ce dernier cas, il sera toujours possible de
chercher l’aide de quelque cost-killer…
Que restera-t-il, dans
ces conditions, des relations gratuites qui font le ciment d’une société ?
Peu de chose, sans doute.
En attendant de tomber
aussi bas, faudra-t-il encore aller manifester contre de telles réformes ?
Nous verrons. Mais autant prévenir les autres manifestants : demandez-vous
si l’économie libérale ne porte pas quelques germes de cette décadence. Et exigez
d’abord qu’une société soit possible[vi].
[i] Que, par paresse, je
nommerai CCNE.
[ii] En l’occurrence d’opinions
défavorables à diverses « avancées » envisagées.
[iii] En usant du truc libéral
habituel : on commet d’abord un acte illégal, puis on exige qu’il soit
légalisé puisqu’on l’a commis et qu’on est quelqu’un de bien.
[iv] A ce propos, de récentes
paroles du pape, qui ont horripilé quelques esprits délicats (ou hypocrites),
ne sont en rien exagérées. Elles sont posées franchement, voilà tout.
[v] Outre celui de voir dans
toutes ces activités de nouveaux marchés à conquérir !
[vi] Celui qui avait vendu la
mèche était le défunt Pierre Bergé : « louer son ventre pour faire un
enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? »,
avait-il déclaré en 2013. Eh bien, éventuels futurs manifestants, chers
camarades, il n’avait pas entièrement tort dans cette déclaration par ailleurs
odieuse : pas plus que le ventre d’une
femme, les bras d’un ouvrier ne sont des biens à louer.
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