La frénésie commémorative
ne semble pas avoir de fin. Tout y passe, avec parfois des accents magiques :
voudrait-on faire advenir à nouveau les événements commémorés, évoquer des
fantômes ou au contraire s’en prémunir ? Peut-être ne se console-t-on pas,
parfois, de n’être plus ce que l’on était un certain temps auparavant ? J’aurais
pu, pour ma part déclarer ouvertes les festivités marquant le cinquième
anniversaire de ce blogue ou donner au présent billet le titre de Numérologie II en souvenir d’un Numérologie écrit il y a cinq ans et de mon
inspiration d’alors. Après tout, il doit se trouver des personnes pour qui on n’est
jamais mieux commémoré que par soi-même.
N’excluons pas toutefois
les commémorations qui semblent exprimer le regret de n’avoir pas connu telle
ou telle époque passée, glorieuse ou décisive, et de n’avoir pu, fatalement y
déployer toutes sortes de qualités ou de vertus…
Cinquantenaire
d’un mois
Si mai 1968 fut un mois
où la France résonna de divers slogans plus ou moins absurdes, c’est d’une célébration
du cinquantenaire de ce mois agité que d’aucuns semblent vouloir la faire
résonner aujourd’hui. On croirait presque entendre, en allumant la radio :
« soixante-huit, huit, huit » ! Observons, sans vouloir
polémiquer, que l’on fait beaucoup moins de bruit pour les soixante ans de mai
1958 ou pour les trente ans de mai 1988.
On fêtera donc ce mois,
on colloquera, on palabrera pour savoir si mai 1968 libéra enfin la société d’un
carcan moral étouffant ou si, au contraire, ce mois est la cause de tous les
malheurs qui frappent la même société, à commencer par son amoralisme et sa
déliquescence. Ces jugements sont probablement exagérés. Comment un mois d’agitation
(dont quelques syndicats eurent l’intelligence de profiter pour obtenir des
augmentations de salaires) pourrait-il être raisonnablement considéré comme la
source de toutes nos joies ou de tous nos malheurs ? Ce ne fut
vraisemblablement qu’un signe parmi d’autres d’un changement d’époque, de la
naissance du flasque et narcissique esprit contemporain.
D’autant que les
agitateurs d’alors, pour la plupart, ne virent guère triompher les idées pour
lesquelles ils s’imaginaient lutter. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de s’en
plaindre, parce que, bon, le maoïsme, le trotskysme, tout ça… Ces agitateurs
ont aujourd’hui vieilli, les uns s’aigrissant, les autres engraissant, d’autres
encore ayant consenti à un certain prestige d’ordre folklorique, tous ou
presque disposés à se féliciter de leur héroïque passé révolutionnaire. Pendant
que le monde changeait (et pas qu’en bien), ils feignaient d’être les
organisateurs de ce changement en mimant la révolution : une resucée de
plus d’une situation sur laquelle peut être porté un jugement attribué à Karl
Marx[i] sur
la répétition de l’histoire : en tragédie, puis en farce.
Nos soixante-huitards,
nourris jusqu’à l’indigestion de diverses lectures, jouèrent donc aux
révolutionnaires comme don Quichotte jouait au chevalier errant. Le ridicule,
globalement, l’emporta sur le tragique. Un de leurs aînés (et partisans),
Jean-Luc Godard, l’avait involontairement prophétisé un an avant dans La
Chinoise[ii].
Il en alla autrement
ailleurs chez les révolutionnaires de cette époque, en Allemagne et en Italie,
par exemple. Là, le ridicule bascula plus qu’à son tour dans le sanglant :
on était plus chez Dostoïevski, celui des Démons, que chez Cervantès. Mais
ces possédés-là, bien que gavés plus ou moins des mêmes délires que nos
soixante-huitards, n’étaient pas allés s’exercer au lancer de pavé à Paris, que
l’on sache…
Qu’est-il resté chez nous
de cette poussée de fièvre ? Une vague intoxication, sans doute, qui
incite de temps à autre quelques jeunes gauchistes à jouer à mai 1968. En
d’autres termes, à mimer le mime d’une révolution. La brève et récente
occupation de quelques universités a encore fait la preuve de la vacuité de ces
postures.
Observons cependant que
le ridicule ne tue pas – ou peu – tant qu’il se cantonne à des poses.
Maurras,
encore
La peur de l’homme au
couteau entre les dents ou l’admiration indue du génie n’ont pas toujours pour
objet des idées, des mouvements ou des hommes d’extrême-gauche. Il y en a aussi
pour Charles Maurras, né en 1868, dont il a déjà été question ici. Après l’affaire
du livre des commémorations, voici celle que d’aucune voudraient voir naître au
sujet de la parution dans la collection « Bouquins » d’un recueil de
l’intéressé. Le Monde a par exemple fait paraître tout un article sur « le
spectre de Charles Maurras », tandis que, paraît-il, de jeunes esprits de
droite, en dehors du strict milieu Action française, s’intéresseraient à
sa pensée.
Etant peu connaisseur,
voir ignorant, de l’œuvre de Maurras, je me contenterai de renvoyer mes
lecteurs à quelques notes intéressantes de Patrice de Plunkett (ici et là).
Mais j’avoue être assez amusé – ou consterné – par les poses que prennent les
uns ou les autres pour dénoncer les dangers que ferait peser sur la
Rrrrrépublique la « redécouverte » de Charles Maurras ou pour en
faire un penseur d’avenir, un maître en lucidité.
Charles Maurras, aurait,
dit-on, vu en sa condamnation après la Libération la revanche de Dreyfus. Personnellement,
j’ai du mal à partager en 2018 l’enthousiasme des uns ou l’effroi des autres devant
la pensée d’un homme qui, en 1945, en était resté à 1894. Cela dit, pourquoi ne
pas aller jeter un œil dans ce volume paru chez « Bouquins », ne
serait-ce que par intérêt historique ?
Le spectre
de M. Hollande
Parmi d’autres
publications récentes, on trouve, paraît-il, un livre où M. Hollande entend partager
les édifiantes leçons qu’il aurait tirées de son oubliable quinquennat. Comme il
faut bien vendre du papier dès lors qu’un texte est imprimé dessus, M. Hollande
se répand à la radio et à la télévision.
Le naturel qu’on lui
prête reprenant le dessus, le voilà qui se dispose à partager ses dernières plaisanteries
sur M. Macron, qui ne serait pas le « président des riches », mais
plutôt celui des « très riches » et qui lui paraît « passif dans
le couple » qu’il formerait avec M. Trump. Je trouve M. Hollande un peu
sévère avec le digne successeur qu’il a probablement encouragé, voire désigné à
un moment ou un autre. Après tout, on prête à M. Hollande des mots peu amènes
sur les « sans-dents » : pourquoi ferait-il donc la fine bouche
devant celui pour qui certains « ne sont rien » ? Quant aux
relations supposées entre MM. Macron et Trump, disons simplement que M. Macron
n’a pas eu comme M. Hollande la chance de pouvoir aller cirer les bottes de M.
Obama, lequel présentait mieux que M. Trump.
Mais que se
rappellera-t-on du quinquennat de M. Hollande ? Le « mariage pour
tous », peut-être ? Nous verrons bien un jour à ce sujet si les
raisons pour lesquelles nous autres, opposants à cette réforme, étions traités
de menteurs et de zinzins il y a cinq ans tiennent toujours[iii].
[i] Né en 1818.
[ii] Et, dès 1965, Pierrot le fou est truffé de citations
des Pieds nickelés.
[iii] Apparemment, non (voir
ici ce qu'écrit assez cyniquement un journaliste de Libération, par exemple).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).