Il est un phénomène
saisonnier qui, selon nos sensibilités, nous amusera, nous irritera, nous
emplira d’espérance ou nous laissera perplexes. C’est l’intérêt que portent
subitement les gros journaux à l’Eglise catholique au moment des grandes fêtes
chrétiennes que sont Pâques et Noël. En général, nos amis les journalistes trouvent
toujours quelqu’un à interroger, de préférence quelqu’un qui soit réputé
compétent en ce domaine. Sage précaution, a priori, s’ils veulent s’assurer d’avoir
quelque chose de pertinent à écrire. Cette année, le jour de Pâques, le site du
Point faisait paraître un entretien avec M. Henri Tincq, qui fut jadis chroniqueur
religieux au Monde[i].
N’allons pas imaginer que
ce choix ait été motivé par le fait que cette année le dimanche de Pâques
tombait un 1er avril. Ce serait manquer de charité envers M. Tincq. Tout
simplement, l’intéressé vient de faire paraître un essai intitulé La Grande
Peur des catholiques de France. Or, sans avoir lu cet ouvrage, le moins que
je puisse dire après la lecture de cet entretien (où l’on apprend que M. Tincq « s’inquiète
d’une dérive identitaire et réactionnaire au sein des fidèles ») est qu’il
m’a quelque peu dérouté.
Passons sur ce que cet
entretien a de décousu, répétitif et incohérent : il n’est pas à exclure
que les journalistes du Point aient procédé à un montage des propos de
M. Tincq de manière à le rendre plus « percutant » Ce qui frappe de
manière plus significative en est la tonalité générale, qui semble mêler
amertume et nostalgie. Amertume devant quoi, nostalgie de quoi ?
Pour ce qui est de la
nostalgie, c’est celle d’un certain « catholicisme de gauche », que
M. Tincq qualifie de « missionnaire, social, progressiste et œcuménique ».
Il regrette, par exemple, l’absence de grandes figures de catholiques engagés
comme l’est, paraît-il, M. Jacques Delors. Et il constate que « les "cathos
de gauche" ont presque disparu ». M. Tincq devrait, au-delà de ce
constat, se demander pourquoi ils ont ainsi disparu : étaient-ils donc si
missionnaires que cela ? Pourtant, apparemment sans le vouloir, M. Tincq
livre un élément de réponse : « dans ma jeunesse, on passait de l’Eglise
au monde. Aujourd’hui, on vient d’un monde sécularisé et on entre dans l’Eglise. »
Il semble le regretter. Or, qu’est-ce que « passer de l’Eglise au monde » ?
A la lettre, cela pourrait être : quitter l’Eglise pour le monde. Est-ce
bien cela être « missionnaire » ? Ne serait-ce pas plutôt aller
en Eglise dans le monde ? A force de « passer de l’Eglise au
monde », les « cathos de gauche » pourraient bien s’y être égarés,
devenant plus « de gauche » que « cathos » ou, autrement
dit, plus du monde que dans le monde.
L’amertume, quant à elle,
a pour objet une Eglise contemporaine où, en France du moins, M. Tincq croit
détecter une « dérive identitaire et réactionnaire ». Entendons-nous :
cette dérive existe, chez un certain nombre de personnes, et prend plusieurs
formes. Un aperçu en a été donné l’an dernier par Erwan Le Morhedec dans son Identitaire,
le mauvais génie du christianisme. D’autres dérives analogues ont été
évoquées par Patrice de Plunkett dans Cathos, ne devenons pas une secte
et par François Huguenin dans Le pari chrétien, bien que n’étant pas à
proprement parler l’objet de ces deux essais, en particulier de celui de
François Huguenin. Ce dernier, par exemple, étrille au passage certaines
critiques de Laurent Dandrieu contre l’attitude prônée par le pape envers les
migrants. Ces trois essais ont l’avantage, en dénonçant certaines postures d’une
droite catholique ou prétendue telle, de ne pas être écrits par des auteurs
partisans : MM. Le Morhedec, de Plunkett et Huguenin peuvent difficilement
être classés « à gauche ». Aussi s’efforcent-ils d’être précis et
factuels lorsqu’ils dénoncent certaines dérives. Avec M. Tincq, c’est différent,
du moins dans l’entretien qu’il a accordé aux journalistes du Point. En quoi
résident les dérives que voit M. Tincq ? Apparemment, dans l’opposition
affirmée par bon nombre de catholiques français aux lois et projets de lois « sociétaux »
sur le mariage homosexuel, l’avortement, la bioéthique… ou dans le « retour
à des pratiques anciennes » (lesquelles, on l’ignore). En somme, ce que M.
Tincq considère comme une « dérive identitaire et réactionnaire » dans
l’Eglise en France pourrait se nommer « fidélité ». Ce genre de
propos me semble assez malhonnête, M. Tincq assimilant à de réelles dérives, qu’il
évoque fort peu (si ce n’est les dandriesques andouilleries déjà évoquées plus
haut) la simple permanence de quelques principes ou rites.
M. Tincq poursuit d’ailleurs
dans le brouillard, quand il s’agit d’articuler Eglise et politique : il
affirme par exemple son incompréhension devant l’absence assumée de consigne de
vote de la Conférence des évêques de France au second tour de l’élection
présidentielle de 2017, considérant que ladite Conférence n’aurait « pas
été capable d’appeler à faire barrage à la candidature Le Pen, alors même que
François Fillon avait dit qu’il fallait tout faire pour éliminer la
représentante du Front national. » Admirons la condescendance du ton (« pas
été capable ») et la confusion des genres exprimée dans le « alors
même que » : la Conférence des évêques de Frances est-elle censée se
ranger aux avis de M. Fillon ? Ce serait là, à mon humble avis, une
regrettable dérive.
Peut-être ces propos
cachent-ils un désir plus ou moins conscient de contredire le clergé et une
bonne partie des fidèles pour simplement s’offrir le plaisir de manifester sa
liberté. Quitte à être incohérent. Un exemple ? Au début de l’entretien,
M. Tincq donne son avis sur la conduite proprement héroïque du colonel
Beltrame, sur l’effet de cette conduite sur les consciences catholiques et sur
l’expression de cet effet. S’il finit par trouver « bon que des hommes et
des femmes courageux, comme le colonel Beltrame, rappellent par leur exemple
jusqu’où peuvent aller l’homme de foi et le lecteur des Evangiles »
(propos fort juste), c’est après avoir qualifié d’absurde la comparaison
souvent faite entre le colonel Beltrame et saint Maximilien Kolbe. Pourquoi ?
Parce que selon lui cela encouragerait l’idée d’un « affrontement
planétaire » entre christianisme et islam. Apparemment, M. Tincq s’interdit
de voir plus large, et de considérer ce que peuvent avoir en commun deux
instances d’une réponse éternelle et permanente au mal, réponse qui peut aller
jusqu’au don total de soi.
« Je ne reconnais
plus mon Eglise », affirme M. Tincq. En est-il donc propriétaire ? On
croirait entendre (avec, certes, d’autres arguments) un lefebvriste d’il y a quarante
ans ou un de ces « droitards » en dérive aujourd’hui… Voilà où mène
le désir d’être de son temps : à n’être plus, un jour, qu’un
fantôme. M. Tincq, et avec lui bon nombre de « cathos de gauche »,
vaut certainement mieux que cela.
Et, comme je suppose sans
vouloir en faire un dangereux réac que M. Tincq croit en la résurrection du
Christ, joyeuses Pâques !
[i] C’est à lire ici.
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