Il est souvent d’usage
chez les critiques littéraires de se réserver pour le deuxième opus d’un jeune
écrivain dont le premier aura séduit. On gagne à tous les coups avec une telle
pratique : ou bien le critique fait un éloge du deuxième où il entend
confirmer la sûreté de son jugement, ou bien il l’éreinte du ton offensé d’un
professeur déçu par un élève plein de promesses mais qui n’aura pas suivi les
conseils d’un vieux maître, assurant ainsi son autorité.
Penchons-nous donc avec
humilité sur Lève-toi et charme, deuxième roman de Clément Bénech, dont
nous avions apprécié (quoiqu’avec quelques minimes réserves) L’Eté slovène,
il y a bientôt deux ans.
Rythme
Le ton est donné dès le
titre : Lève-toi et charme est, plus qu’une astucieuse anagramme,
un de ces lapsus qui nous viennent du fond de nos rêves, dans les moments
incertains et pâteux du petit matin. Le charme sera celui d’une marche
incertaine, au rythme irrégulier, marqué par des chapitres d’une longueur
variée : certains se limitent à deux phrases nettes, dépouillées de tout
ornement inutile, pour faire claquer de fausses résolutions : « Je
sais distinguer les conseils des ordres. Une semaine plus tard, j’avais mon
billet d’avion en poche », peut-on lire, par exemple, page 14. Cette
fausse fermeté n’est pas sans rappeler les meilleurs moments de quelque recueil
de L’Autofictif, de Chevillard.
Parfois, une
photographie, un dessin, ou même le plan d’une pièce avant et après le
déplacement de deux fauteuils vient s’insérer dans le texte, la plupart du
temps pour clore un paragraphe ou un chapitre. On pourrait ricaner d’un tel
procédé, tant l’audace qu’il pourrait constituer est éventée ; soyons
cependant charitable : au-delà de l’incongruité ou de l’illustration, nous
avons là d’amusants culs-de-lampe qui, tout en nous permettant de reprendre
notre souffle, viendraient au secours des insuffisances du narrateur – et non
de l’auteur, précisons-le.
Un grand souci formel
anime-t-il ce roman ? Clément Bénech loucherait-il vers des modèles prisés
du côté de chez Minuit ? On pourrait le supposer car, outre une certaine
parenté avec Chevillard quand celui-ci sait se faire léger, on relève le nom
d’un personnage, M. Edmondsson, dont il est permis de se demander s’il n’a pas
une cousine dans La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint. Quoi qu’il
en soit, désir d’imiter et clin d’œil ou non, nous avons affaire à une forme
habile, maîtrisée et drôle.
Un
mythe : Berlin
Cela étant posé, il faut
bien qu’une forme littéraire ait un prétexte, pour ne pas se limiter au statut
d’exercice de style un peu vain quoique réjouissant. Berlin en fournira un
excellent.
Sur le conseil – ou
l’ordre – du professeur Edmondsson, son directeur de thèse, le narrateur s’installe pour quelques mois à Berlin, afin
de préparer plus sérieusement sa thèse de géographie. Il y emmène son chat,
mais laisse à Paris sa petite amie. A Berlin, il rencontrera Dora, une
Allemande aussi charmante qu’irritante et bizarre. Ce qui tombe bien, vu que
Berlin est une des capitales mondiales du bizarre[i].
Après avoir pas mal joué au basket-ball, assisté à un spectacle underground
et pervers et gagné son pain dans une minable et prétentieuse agence de
recouvrement de dettes (dont il aura dû charmer la directrice pour y
être embauché)[ii],
il rentrera à Paris soutenir sa thèse… Tout rentrera dans un ordre aussi
rassurant qu’un peu ennuyeux pour le lecteur autant que pour le narrateur (mais
n’en disons pas plus).
Est-ce
bien sérieux ?
L’éloignement de la
petite amie et la proximité de Dora, voilà qui est évidemment propice à
l’installation d’un certain climat érotique. Il semble que Clément Bénech ait
traité adroitement ce climat, avec pudeur et humour : l’effeuillage des
jeunes amoureux par webcam interposée tourne vite à un réjouissant fiasco,
et un aveu assez « chaud » de Dora mène à une conclusion somme toute
élégante du narrateur, page 116 : « … je quittai Dora un peu
vivement. Pourtant, je ne me sentais pas blessé, ni particulièrement jaloux.
Mais je ne voulais pas être son confesseur, voilà tout. »
Peut-être est-ce un peu
plus sérieux qu’une pirouette… Tout comme la thèse du narrateur, dont nous ne
connaîtrons que la conclusion, aussi juste que banale dans son scepticisme
quant à ce que permettent les moyens de communication modernes.
Ah, si, quand même une
réserve : pages 163 et 164, on apprend qu’un jour Dora et son père (enfin…
surtout son père) burent un jour une bouteille de gewürztraminer avec de la
choucroute. Il existe, certes, des gewürztraminer secs, mais avec de la choucroute,
nous pencherions plutôt pour un riesling. Affaire de goût ? S’il n’y a que
cela, nous sommes peut-être charmés et, en tout cas, nous marchons volontiers.
[i] Même depuis la chute du
mur. O temps brumeux de la guerre froide, échanges furtifs et frileux au petit
matin sur le pont des espions, où êtes-vous ?
[ii] Tout n’est que team-building et corporate dans cette grisâtre agence… Goûteuse satire, d’autant
qu’elle n’est pas insistante, soit dit en passant.
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RépondreSupprimerAch (comme on dit à Berlin), en voilà de la belle et bonne critique ! Merci pour ce billet, cher Sven, auquel je lève un verre de Riesling...
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