La France, la chose est
entendue de par le monde, est le pays de la frivolité et de la grande
littérature. La position d’un ourlet peut déchirer le pays en d’incessantes
querelles. Quant à la littérature, il suffit de voir à quel point quelques
personnages bien français finissent par accéder à une certaine universalité.
Fashion Week à Charleville-Mézières
Ainsi donc, fin avril,
notre pays bruissait d’une dispute au sujet de la longueur d’une jupe. Cette jupe,
c’est celle portée par une collégienne de Charleville-Mézières, jugée provocante
par le principal de l’établissement : trop longue ! Il
s’agirait, la jeune fille concernée étant musulmane, d’un de ces signes
religieux ostentatoires dont tout chef d’établissement de l’Education
nationale doit impérativement proscrire le port à ses élèves.
Comme nous ne savons pas
tout de cette affaire apparemment ridicule, gardons-nous d’en tirer des
conclusions hâtives et même d’ironiser à l’excès. Nous nous contenterons donc
d’hypothèses :
a) Le principal du collège
(ou faut-il écrire : la principale ? allez savoir, avec la féminisation
des titres…) pourrait être une laïcarde enragée – intégriste, pourrait-on dire
– qui s’est donné pour mission de traquer dans les moindres détails des
attitudes et des vêtements de ses élèves des signes de prosélytisme. Les
religions, comme disent de pareilles personnes, doivent être éradiquées, extirpées
des jeunes esprits, à tout prix, y compris celui du ridicule.
b) La jeune fille dont la jupe
trop longue a été jugée provocante pourrait aussi bien ne pas être tout à fait
innocente : peut-être a-t-elle tenu divers propos, ou eu quelques
attitudes avant de tenter ce coup qui expliqueraient que cette jupe n’est pas
qu’une jupe aux yeux de la principale. Mais nous n’en savons rien.
c) En écartant les deux
hypothèses précédentes, peut-être existe-t-il dans ce collège d’autres élèves
au comportement « islamique » bien plus encombrant ? Nous
l’ignorons, mais dans ce cas la principale de ce collège, excédée, aura fini
par tout confondre…
Quoi qu’il en soit, c’est
beaucoup de bruit pour un peu de tissu. Et de grain à moudre pour les
islamistes, les indigènes de la République, les idiots utiles et toute la
séquelle des professionnels de la victimisation : « regardez comme
on persécute les pauvres musulmans en France », hurleront-ils en
chœur.
En tout cas, nous sommes
bien au pays de Christian Dior, lequel fut mêlé à une querelle de chiffons vers
1947, époque du new-look.
(Ajoutons, par souci de
justice, que Charleville, outre être la ville natale d’Arthur Rimbaud, vaut un
bref détour pour sa magnifique place ducale, où en revanche les troquets
laissent un souvenir quelconque ; pour goûter à de bonnes bières
ardennaises, il vaut mieux passer après Givet la frontière belge en longeant la
Meuse, et poursuivre jusqu’à Dinant.)
Inquiétante
universalité de M. Homais
Flaubert n’est pas le
moindre de nos écrivains à jouir de la réputation de notre littérature. On
rencontre parfois en des lieux inattendus des incarnations de types
immortalisés par l’auteur de Madame Bovary. A Kalmar, dans l’aimable
province suédoise de Småland, par exemple.
Qu’on en juge plutôt à la
lecture de quelques brèves parues dans le quotidien régional Barometern[i] :
on y apprend que le chef du service d’orthopédie de l’hôpital de Kalmar a
vivement réagi à des propos tenus par Mme Ebba Busch-Toor, responsable
nationale du parti chrétien-démocrate. Cette dernière avait défendu l’idée
d’objection de conscience pour les personnels médicaux en matière d’avortement.
Quelle fut la réaction de
ce chef de service ? Il entra dans une rage qu’il répandit bientôt sur les
réseaux sociaux, comme on dit, proclamant qu’il ne devrait pas être permis à
quiconque a des convictions religieuses de se mêler de politique, qu’il était
prêt à s’opposer à toute objection de conscience y compris avec une batte de
base-ball, et que désormais il refuserait de soigner des patients chrétiens,
lesquels auraient selon lui « un démon intérieur qui [le] blesse
et [l]’insulte ». Dieu merci, ce médecin a dû démissionner de
son poste, tout en reconnaissant l’incongruité de ses propos.
Cela appelle quelques
réflexions.
Premièrement, on l’aura
compris, M. Homais n’est pas mort. Le bourgeois voltairien respire encore,
magnifique de boursouflure imbécile.
Deuxièmement, cette rage
devant l’idée d’objection de conscience, l’évocation de la « batte de
base-ball » (qui n’est certes pas un pistolet) et la proclamation du refus
de soigner certaines personnes du fait de leur religion, voilà qui rappelle de
sinistres circonstances auxquelles, grâce à Dieu, la Suède put échapper[ii].
Troisièmement, un détail
curieux : ce sémillant orthopédiste semble être sourcilleux quant aux
spécialités ; si vous avez une religion, vous êtes prié de ne pas avoir
d’opinions ou de positions politiques. Je veux bien, mais que vient faire alors
un orthopédiste dans une discussion qui porte sur l’avortement ? (Et, du
reste, l’athéisme peut être vu comme une opinion religieuse.)
Quatrièmement, ces
hululements du Homais de Kalmar quant au « démon intérieur » des
chrétiens évoquent la réaction d’un diable qui viendrait de recevoir une bonne
giclée d’eau bénite. Et, comme chacun sait, on peut lire vers la fin de Madame
Bovary que Homais « fait une clientèle d’enfer »[iii].
Eh…
On s’emmêle
les fiches
A Béziers, les dernières
rodomontades du matamore Ménard ont fait quelque bruit. L’élu biterrois s’est
en effet vanté de pouvoir faire des statistiques sur la religion des enfants de
sa ville à partir des prénoms des élèves des écoles publiques[iv].
La réaction des
« partis de gouvernement » fur immédiate : c’est hideux, c’est
affreux, Vichy est de retour, ce n’est pas républicain, etc. « Honte à
Robert Ménard », a même touitté M. Valls, le jour même où il faisait
voter une loi de surveillance d’internet… Quant au caractère non républicain du
fait de relever la religion de personnes, je suggère aux vertueux indignés de
remonter encore plus loin que 1940. A l’affaire des fiches, par exemple.
Mais il est vrai que nous ne sommes plus en 1904…
[i] Soit : le Baromètre… Enfoncé, le Fanal de Rouen !
[ii] Pendant ce temps, on
s’inquiète des succès des Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna),
que certains vont jusqu’à comparer à des nazis, ce qui est toujours moins
fatigant que de leur opposer des arguments. Nous connaissons bien ce phénomène
en France, quand il est question du Front National (maison Le Pen, père et
fille, encore que quelques conflits de générations agitent en ce moment cette
boutique).
[iii] Précisons que ce
rapprochement entre Homais et le diable n’est pas de moi. Il me semble bien
l’avoir entendu il y a un an et demi environ, dans une émission de
France-Culture, de la bouche de Raphaël Enthoven. On prend son miel où il
coule.
[iv] Procédé hasardeux :
s’il s’agit de prénoms arabes, il en existe qui sont portés aussi bien par des
chrétiens (libanais, par exemple) que par des musulmans ; tous les enfants
ne fréquentent pas les écoles publiques ; enfin, un prénom peut plutôt révéler –
parfois – la religion des parents de celui qui le porte.
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