Il y a quelques jours,
comme je passais sur le boulevard Saint-Germain, je remarquai une bande de
jeunes gens aux trognes somme toute présentables qui vendaient à la criée L’Action
française[i].
Ayant poliment décliné leur offre, je ne leur fis pas la méchanceté de dire que
je ne lis plus ce journal depuis la mort de Léon Daudet.
Maison
Daudet, père et fils
Il est plus courant
d’entendre célébrer Alphonse Daudet que son fils aîné Léon. Tout le monde
connaît – sans toujours les avoir lus ? – Tartarin de Tarascon, les
Lettres de mon moulin, parfois Le Petit chose, voire L’Arlésienne[ii].
Pour ce qui est de Léon
Daudet, la connaissance que nous en avons se résume le plus souvent à quelques
clichés, dont certains ne sont pas faux : romancier oubliable, critique
littéraire et artistique (ainsi que membre de l’académie Goncourt) curieux et
généreux, pamphlétaire politique des plus violents, mêlant une vive
intelligence à une partialité frisant la bêtise, voire l’odieux. Ajoutons à
cela un mémorialiste où se mêlent toutes ces qualités et tous ces défauts, et
l’esquisse est complète[iii].
Pour ne pas se limiter à
cette esquisse, les curieux pourront ouvrir les Souvenirs et polémiques,
recueil réédité cette année chez Bouquins, la première édition remontant à
1992. Ou, pour ne garder que le meilleur, les Souvenirs littéraires,
choix de textes établi par Kléber Haedens en 1968, réédité aux Cahiers rouges
chez Grasset en 2009.
Un vin
lourd mais fruité
Léon Daudet prétendait
présenter à ses lecteurs toute une époque, à travers les volumes successifs de
ses souvenirs[iv].
Est-ce vraiment cela que nous en retenons aujourd’hui ? Un peu, ici et là[v], mais
il est vrai que la galerie de personnages illustres ou oubliés est telle que
l’on ne pourrait tout en retenir. On y pêche en revanche, et on les savoure,
une collection d’images incongrues servant à décrire quelques pantins ou
célébrités de la IIIème république, qui sont du meilleur effet, par des
rapprochements qui annonceraient presque du Vialatte, en plus méchant : « Je
n’ai pas connu Casimir-Périer. Je n’ai fait que l’apercevoir, triste et grave
comme un étui à lorgnette ». Ces trésors font partie de ce qu’il y a
de meilleur dans le talent de Léon Daudet.
Un autre trésor est
l’évocation de Victor Hugo, que Léon Daudet rencontra souvent dans son enfance
et sa jeunesse. On y saisit, dans Fantômes et vivants, le génie, la
fatuité et le ridicule qui cohabitent chez ce maître tout occupé à entretenir
un monument à sa propre gloire, entouré par une cour mi-béate mi-intéressée.
Attention
au bouchon !
D’autres passages sont
moins plaisants. Certains propos de Daudet sont parfois tellement excessifs,
tellement forcés, nous semble-t-il, qu’il est légitime de se demander à
quel point il en était convaincu. L’antisémitisme, notamment, y apparaît dans
des blagues et des allusions où la lourdeur rivalise avec la bêtise. Etait-ce
pour se persuader de son admiration soudain inconditionnelle pour Edouard
Drumont, admiration qui va jusqu’à lui faire écrire, dans Au Temps de Judas :
« Cet outrancier de Léon Bloy exagérait tout de même quand, dans le
dessein de contredire et d’embêter Drumont, il écrivait Le Salut par les
Juifs », ce qui est une baroque andouillerie. Visiblement, Daudet n’a rien
voulu comprendre à Bloy, qu’il juge d’ailleurs assez sommairement dans Le
Stupide XIXe siècle.
Grâce à Dieu, Léon Daudet
finira, après 1918, par revenir de cette encombrante obsession (ou pose),
faisant dans Député de Paris l’éloge de Georges Mandel et reniant au
passage, sans la cacher, sa haine passée dans Paris vécu. Cela au moment
où l’antisémitisme allait prendre l’atroce tournure que l’on sait, en
Allemagne, autre objet de la détestation, permanente celle-là, de Daudet.
Cependant, la
condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926 allait lui fournir une
autre occasion de se battre les flancs pour s’échauffer sottement, cette fois
contre l’Eglise catholique.
Ces défauts sont d’autant
plus déplorables qu’ils viennent perturber la lecture d’ouvrages riches,
savoureux, drôles et même parfois rafraîchissants intellectuellement, comme Le
Stupide XIXe siècle, qui vient clore le recueil paru chez Bouquins. La dose
en est moindre dans le volume publié par Grasset – en présence de ce goût de
bouchon, l’habile sommelier Haedens avait eu l’intelligence de le filtrer, de
le carafer et de le laisser s’aérer avant de le servir.
[i] « Contre la
république des voyous ! » clamaient-ils : un tel pléonasme ne
peut que me faire déplorer un certain relâchement du style chez les royalistes
militants.
[ii] Peut-être surtout en
chantonnant l’air de Bizet :
De bon matin
J’ai rencontré le train…
[iii] Notons aussi que Léon
Daudet fut fils et père. Notamment d’un jeune Philippe, mort en 1923 dans des
circonstances jamais élucidées – suicide d’un adolescent aux nerfs malades ou
assassinat politique couvert en haut lieu, tout est possible…
[iv] Notamment dans les premiers : Fantômes et vivants, Devant
la douleur, L’Entre-deux-guerres, Salons et journaux, Au
Temps de Judas, Vers le roi.
[v] Par exemple quant à
l’éternelle médiocrité du microcosme politicien, qui peut aller jusqu’à se
faire menaçante – qu’on pense à l’affaire Syveton ou à l’assassinat de Marius
Plateau, événements évoqués par Daudet, qui les connut de près.
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