On a récemment prêté à
Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, une velléité de bannir le tabac du
cinéma français, ou tout au moins de prendre « des mesures fermes ».
L’intéressée a démenti, mais le soupçon demeure. Il existe paraît-il des ligues
pour s’indigner de voir des personnages fumer dans les films. Cela inciterait
les spectateurs à fumer.
Or fumer nuit à la santé,
ce que nous savons à peu près tous, que nous fumions ou non. Si les noms de
Virginie, Maryland, Havane, Saint Domingue, voire caporal ou scaferlati, en
font rêver certains, ils font aussi tousser tout le monde. Observons que ceux
qui reprochent à l’idée prêtée à Mme Buzyn d’être une intrusion de la morale
dans l’art se trompent : il s’agit bien plutôt d’hygiène. Dans la même
logique, la crasse, la poussière, les voitures à moteur thermique et les
mauvaises habitudes alimentaires devraient disparaître de nos écrans. Sans parler
des tenues trop légères, qui risquent de donner aux spectateurs des désirs d’attraper
froid.
Où je rejoins ceux dont
je prétendais dénoncer plus haut l’erreur, c’est que de l’hygiène à la morale,
il n’y a qu’un pas : si montrer au cinéma des personnages au comportement
peu hygiénique nuit à la santé, alors montrer des personnages au comportement
répréhensible pourrait aussi bien être répréhensible. On ne saurait, du reste,
se limiter à la morale : après tout, le moral compte aussi ;
pourquoi ne pas interdire tout film où se produirait un malheur ? Où
paraîtrait l’imperfection qui frappe le monde et les hommes qui l’habitent ?
C’est parfois un peu déprimant, et il n’est pas gentil de montrer des choses
déprimantes.
Il siérait d’ailleurs d’étendre
cette interdiction au théâtre et à la littérature. Qu’en résulterait-il ? Vraisemblablement,
l’impossibilité de toute intrigue, même la plus simplette, de toute drôlerie,
de tout drame et de toute tragédie. Tout cela ne repose en fait que sur l’imperfection
ou l’adversité, ne serait-ce que momentanée. En résumé, tout récit, même
édifiant, serait impossible. Il ne resterait plus qu’à filmer, représenter ou
raconter l’histoire d’un caillou posé sur un rocher assez stable pour lui
éviter une malencontreuse chute, laquelle pourrait avoir des conséquences
désagréables. Cela aurait peut-être le charme minimaliste que l’on prête au zen,
du moins tel que l’on se l’imagine en Occident. Trois minutes de la vie d’un
écureuil seraient déjà trop violentes (les écureuils amassent des noisettes et
font subir de terribles supplices aux pommes de pin pour en extraire les
pignons, supplices que je préfère ne pas détailler, de peur d’incommoder les
natures délicates).
Sinon, il est permis de
faire remarquer aux censeurs hygiénistes qu’il importe de distinguer le récit
ou la mise en scène d’une part et la réalité de l’autre. Tout ne peut pas être
montré ni même raconté, bien entendu, mais la question reste celle du goût, du
style ou encore de l’intention. En général, une œuvre intéressante ne se perd
pas dans la complaisance.
Pour rassurer nos
nouveaux censeurs, précisons que Le Caporal épinglé n’est pas le récit d’une
interminable tabagie. Caporal est aussi un grade dans l’armée. Cependant,
reconnaissons que Jacques Perret fut par ailleurs l’auteur d’un Rapport sur
le paquet de gris…
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