Il y a toujours un peu de
place dans les journaux français pour nous donner des nouvelles de la famille
royale britannique. Au point que parfois on finit par lire (et penser ?)
« la famille royale » sans qu’il soit nécessaire de préciser la
nationalité de celle-ci. Cela n’a pas manqué récemment avec le
quatre-vingt-dixième anniversaire de la reine Elisabeth II. Eu égard à la
proportion de sang suédois qui coule dans mes veines, un vague chauvinisme me
fait regretter qu’il n’en ait pas été fait autant pour le soixante-dixième
anniversaire du roi Charles XVI Gustave. Mais passons : force est
d’admettre qu’il est des pays plus influents que d’autres – et que la France
n’a pas avec la Suède la relation trouble qu’elle entretient depuis des siècles
avec le Royaume-Uni.
De manière évidente (et
cela se dit un peu partout depuis longtemps), nous avons, nous autres Français,
un problème avec les rois : sentiment de culpabilité né en 1793, ou
malaise quant à la légitimité de nos institutions ?
Potiches
Ne nous faisons pas
d’illusion : dans leur configuration contemporaine, des monarchies telles
que le Royaume-Uni ou la Suède n’ont de monarchies que le nom : rois,
reines et princes divers y tiennent un rôle surtout décoratif, laissant tout
pouvoir à un parlement qui fait et défait les gouvernements, selon des humeurs
et des équilibres qui lui sont propres.
Cela est particulièrement
le cas en Suède, où le parlement n’a qu’une chambre et où le gouvernement ne
peut que refléter les combinaisons internes au parti vainqueur des dernières
élections ou à une coalition de rencontre. Une telle situation peut avoir des
résultats lamentables, comme la nomination d’un ministre du logement parce
qu’il est membre d’un parti dit écologiste[i] et
qu’il est issu de la diversité, ce qui fait toujours bien. Il a fallu
précipitamment congédier ce monsieur il y a quelques semaines, quand il s’est
avéré qu’il ne détestait pas la compagnie d’extrémistes de droite turcs dans
des dîners où il a tenu des propos fort peu diplomatiques et ne relevant pas de
ses compétences. Je me demande si un roi doté de quelque autorité eût admis la
nomination d’un tel individu dans son gouvernement.
De même, je me demande si
un tel roi eût laissé ses gouvernements successifs quasiment démanteler ses
armées pendant vingt-cinq ans avant de se répandre en imprécations contre la
Russie, voisin certes encombrant, avant d’envisager de se réfugier sous les
jupes de l’OTAN – abri peu sûr à mon humble avis de non-expert.
L’exemple de la Suède[ii] nous
montre bien une royauté affaiblie (au point que certains doutent de son utilité
et songent à la supprimer), rendue inopérante par le patient travail de sape
mené par des libéraux puis des sociaux-démocrates depuis environ un siècle et
demi.
Pourquoi, dans de telles
conditions, vouloir un roi (ou une reine) ?
Politique durable
Il arrive cependant que
(pour tromper leur ennui ?) des rois ou des princes se livrent à des
activités – ou à des pensées – fort louables. C’est le cas, au Royaume-Uni, du
prince de Galles, cité en exemple vers la fin d’un récent livre de Frédéric
Rouvillois, La Clameur de la Terre[iii],
décidément fort mal préfacé par Chantal Delsol : là où Mme Delsol voit des
« hobbies écologiques », Frédéric Rouvillois voit une pensée
intéressante mise en pratique avec les minces pouvoirs laissés à ce prince. Nul
doute que pour les responsables sérieux, comme pour Mme Delsol, ce genre
d’activité relève de l’aimable lubie, de la bergerie de Marie-Antoinette :
il faut bien laisser s’amuser ces grands enfants pendant que les grandes
personnes font des affaires.
Mais revenons à
Rouvillois et à son intéressant ouvrage, sous-titré « Les leçons
politiques du pape François ». Il s’agit d’une lecture – aussi
enthousiaste que politique – de l’encyclique Laudato Si’ publiée l’an
dernier. Rouvillois, en bon monarchiste, en tire des conclusions qui lui sont
propres : les rois ont un rôle à jouer dans une véritable politique
écologique telle que celle à laquelle appelle le pape.
Ce rôle n’est ni
décoratif ni absolu : la position du roi s’inscrit dans une échelle qui va
de la démocratie directe à l’échelon local à une véritable entente entre Etats
pour enfin cesser de saccager la création. Quels seraient les avantages de ces
possibles monarchies selon Rouvillois ?
Premièrement, « la
monarchie se situe dans le temps long, le chef de l’Etat n’étant au fond que le
fils du précédent, et le père du suivant » : c’est à la famille
royale, « laquelle n’a ni le moyen de se défausser sur d’autres, ni
celui de déguerpir et de s’installer à l’autre bout du monde »,
d’assumer ses éventuelles erreurs, y compris « les dommages infligés à
la nature à un moment donné ».
Deuxièmement, la
monarchie a le temps « de concevoir des projets à long terme, les seuls
qui soient pertinents en matière écologique » : qu’un roi passe,
son successeur prendra le relais.
Enfin, le roi « ne
tient pas sa couronne de la décision d’individus donnés, mais de son
appartenance à une famille, à une lignée ». C’est peut-être là
l’argument le plus faible, dont la faiblesse déborde sur le précédent : il
est nécessaire pour cela d’exiger de tous la fidélité à leur roi et de chaque
roi le souci de l’éducation de son successeur (mais après tout, en particulier
en matière d’écologie, l’éducation de chacun d’entre nous, à un échelon populaire
et individuel, donc, est aussi un souci : l’encyclique dont Rouvillois
fait le commentaire insiste d’ailleurs à ce sujet).
Il est à noter que
Frédéric Rouvillois développe ses arguments en faveur de la monarchie sans
prétendre qu’ils sont ceux du pape : disons qu’il tire ses
conclusions de ce qui est dit dans l’encyclique Laudato Si’. Le chapitre
où ils sont exposés a d’ailleurs pour titre (signe de prudence et
d’humilité ?) : « La démocratie (et l’Encyclique)
prolongée(s) ? ».
On peut toujours, comme
le fait Mme Delsol dans sa (décidément) désastreuse préface, trouver cela
« chimérique » : chacun est libre de ses opinions ou de ses
préjugés. Le seul reproche que l’on puisse faire à Frédéric Rouvillois dans son
interprétation monarchiste de l’encyclique Laudato Si’ réside dans le
fait que la réalisation de l’intéressante piste qu’il propose est hélas
improbable pour l’instant. En tout cas, elle n’est en rien – et de loin – aussi
ridicule qu’un cirque électoral à la française ou à l’américaine, où quelques
propos démagogiques suffisent pour abolir ou reporter aux calendes grecques des
années d’efforts.
[i] Miljöpartiet, soit « le parti de l’environnement » ;
l’équivalent suédois d’EELV, ce qui est tout dire.
[ii] Soit dit en passant, la
Suède n’est pas peuplée de pasteurs luthériens hypertendus, contrairement à ce
que semble croire le franc-maçon helvético-catalan qui nous tient lieu de
premier ministre. Du reste, les pasteurs luthériens sont certainement pour la
plupart bien plus posés que lui.
[iii] Paru aux éditions
Jean-Cyrille Godefroy.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).