jeudi 26 mai 2016

Le mai le joli mai

En barque sur le Rhin, ajoutait Guillaume Apollinaire, dans un poème bien connu du recueil Alcools. Comme ce poème déborde de nostalgie, il est permis de se demander s’il a quelque pertinence en ce qui concerne mai 2016.
Mai 2016 a-t-il eu lieu ?
Assurément non, répondront les utopisants nuitdeboutistes. Si l’on suit leur calendrier, qui marque le début d’une nouvelle ère, nous sommes en ce 26 mai (ancienne manière) le 87 mars. Cela n’est pas sans présenter quelques inconvénients. Premièrement, le printemps tarde à venir – malgré quelques jours chauds vers le 65, si j’ai bon souvenir[i]. Deuxièmement, si ce mouvement continue, nous risquons de ne pas repasser à l’heure d’hiver, si, au moment prévu, nous en sommes encore au 244 mars. Troisièmement, il serait fâcheux de se passer de mai, le beau mois de Marie. Quatrièmement, avec ce maudit calendrier, nous n’avons toujours pas vu venir le 1er avril : preuve d’un manque d’humour chez les utopistes gauchisants ?
Mais sait-on vraiment où en sont les Nuits Debout ? En tout cas, on sait qu’elles sont nées des protestations contre la « loi travail ». Laquelle est passée à coups de « 49-3 » sous un tir plus dispersé que nourri de motions de censure, tir qui ressemble plus à une comédie qu’à autre chose, qu’il soit parti de droite ou de gauche. Ce n’est pas une surprise, puisque le même genre de comédie avait été joué au moment de la « loi Macron ». Je ne m’étendrai pas sur ce genre d’entourloupes, en ayant déjà touché un mot ici.
Naturellement, ce « passage en force » a ravivé l’ardeur des grévistes et des manifestants. La presse a surtout retenu les violences qui en découlent çà et là[ii]. Monsieur Normal s’en est paraît-il ému le 17 mai[iii] sur Europe 1. Ses paroles ont résonné comme un ordre. Faut-il en déduire qu’il souhaite lever le pied en matière de provocations policières[iv] ? Ou que M. Normal et sa clique ne maîtrisent plus rien du tout ?
Le retour des libéraux (paraît-il)
Peut-être ne le souhaitent-ils pas, en fait. C’est tellement fatigant d’avoir quelque chose à maîtriser… Mieux vaut avoir dans ce cas l’anarchie dans les rues, si c’est le prix à payer pour avoir l’anarchie dans le code du travail[v]… Enfin ! Plus rien à faire que de se prélasser dans les dorures de nos vieux palais ! Et avec une escorte policière pour aller se promener ! Que demande le peuple ?
On comprend, à voir les choses ainsi, que des réformes libérales aient fini par séduire les « socialistes » en place actuellement.
C’est d’ailleurs assez ennuyeux pour la plupart des nombreux candidats à la candidature de droite. Comment, dans ces conditions, se distinguer de MM. Normal, Micron et autres[vi] ? Deux solutions sont possibles.
La première n’est, je crois, illustrée que par M. Jean-Frédéric Poisson, qui ne se veut pas libéral : une position assez cohérente, en somme, pour un conservateur.
La seconde consiste, au contraire, à surenchérir dans le libéralisme. Les noms ne manquent pas ici, entre MM. Juppé, Le Maire, Fillon, etc. On se croirait revenu en 1986[vii] ! Nous avons hâte de revoir Catherine Deneuve nous vendre des actions Suez. Ces aspirants candidats se rêvent peut-être en Thatcher ou en Reagan français…
Ces curieux, mais ce genre de revival me fait penser à ces tournées de vieux yéyés ou néoyéyés dont on voit quelquefois les affiches. Cela n’est pas très sérieux. Même Dick Rivers sait qu’Elvis Presley est mort, et il l’a peut-être même dit à Johnny Halliday. Quelqu’un se dévouera-t-il pour apprendre à MM Juppé, Fillon, Le Maire, etc., que Margaret Thatcher et Ronald Reagan sont morts (paix à leurs âmes) ? Même M. Cameron semble le savoir.
Observons, dans le genre yéyé, la tendance qu’ont nos « partis de gouvernement » à imiter la mode américaine des « primaires ». Les choses ont toutefois pris une tournure bien française : depuis 2012, le seul président ainsi désigné a sans doute beaucoup à faire pour se protéger des attaques provenant du parti qui l’a désigné après une campagne « primaire » peu reluisante.
On ne s’amusera pas à Verdun
Contrairement aux jolies dames et aux Tziganes du poème d’Apollinaire, Verdun n’est pas sur le Rhin, mais sur la Meuse. J’ignore quels sentiments éveille le nom de cette ville chez les jeunes d’aujourd’hui. Il me semble que pour les gens de mon âge il est encore associé – sans que les cours d’histoire ou les commémorations y soient pour tout – aux terribles combats qui s’y déroulèrent il y a maintenant cent ans.
Naturellement, au cours du temps et selon les sensibilités, la perception de ces mois où tant de Français et d’Allemands s’entretuèrent varie. Sacrifice héroïque et victorieux pour défendre notre pays contre l’agression allemande pour d’aucuns, carnage insensé pour d’autres, manifestation provisoirement paroxystique de la modernité destructrice pour d’autres encore, il y a sans doute des trois. Et il est assez compréhensible, quel que soit le sens donné à cet épisode de notre histoire que cent ans plus tard on ait quelque velléité de le commémorer.
Vu le nombre de corps de soldats, aussi bien français qu’allemands, qui y reposent, il peut sembler naturel que ces commémorations se déroulent dans un certain recueillement. Or voilà que le maire de Verdun, M. Hazard, apparemment inspiré par M. Todeschini[viii], secrétaire d’Etat aux anciens combattants, avait programmé dans le cadre d’une journée de commémoration devant avoir lieu le 29 mai, un concert du rappeur « Black M »[ix] : vous comprenez, comme il y aura des jeunes, il leur faudra du rap.
L’affaire a fait le bruit que l’on sait, et le concert a dû être annulé, d’où un nouveau scandale : la France serait sous l’emprise d’un fascisme rampant, d’un ‘ordre moral » fatalement « nauséabond ». M. Hazard et « Black M » auraient paraît-il reculé devant les menaces d’une nébuleuse fascistoïde.
Or il se trouve qu’il n’y a pas que des gens d’extrême droite à avoir trouvé inconvenante ou ridicule l’idée d’une telle manifestation[x]. Pour ma part, peu me chaut si l’artiste invité était « Black M ». C’eût pu être aussi bien Mireille Mathieu, Zebda, Serge Lama, Kraftwerk, Nina Hagen, Lady Gaga ou Jean-Pax Méfret que mes dents auraient grincé à l’annonce d’un tel programme. « Venez, on va bien s’amuser », aurait dit le rappeur, paraît-il fort populaire chez les préadolescents.
Eh bien non. Une commémoration de la bataille de Verdun ne saurait être l’occasion de « bien s’amuser ». Et cela, n’importe quel gamin est en mesure de s’en rendre compte. Je crois que dès l’âge de cinq ans un tel mélange des genres m’eût crispé. Transformer ces commémorations en divertissements[xi] relève, de la part des personnes qui en ont eu l’idée, ou bien d’un rare aveuglement ou bien d’une condescendance tout aussi rare envers les jeunes gens conviés, sans compter le mépris pour les morts qui sont encore à Verdun[xii]. Quant à ceux qui s’étonnent, voire s’indignent, des réactions à cette idée tordue, qu’en dire, sinon qu’ils sont contaminés par l’imbécillité de l’esprit festif du temps. Un peu de réflexion leur ferait le plus grand bien.



[i] Rappelons-nous qu’il a quand même neigé à Paris le 57 mars, ce qui fait un peu tard.
[ii] Dont l’agression particulièrement terrifiante, survenue le 18 mai, de deux policiers, dont une bande de casseurs a incendié la voiture alors qu’ils s’y trouvaient.
[iii] Ou faut-il dire le 78 mars ?
[iv] Bien sûr, toutes ces violences ne résultent pas de telles provocations. Mais on peut soupçonner qu’il en existe, ne serait-ce que pour laisser pourrir un mouvement de protestation. Laisser des casseurs attaquer le service d’ordre de la CGT pourrait bien en être une. N’allez pas me prendre pour un cégétiste. Ayant usé mes semelles dans quelques « manifs pour tous », elles aussi opposées aux résolutions d’un gouvernement buté, je sais à quoi m’en tenir sur d’étranges manœuvres de la police – l’étrange « ouverture » des Champs-Elysées à la fin de la manifestation du 24 mars 2013, par exemple.
[v] Cela semble se confirmer dans l’inepte combat de coqs que se livrent MM. Valls et Martinez, aux frais des Français.
[vi] D’autant que, lundi 23 mai, Mme El Khomri dénonçait la « prise d’otages » que représente le blocage de raffineries de pétrole par des grévistes : d’habitude, ce sont les méchants gouvernements de drouâte qui disent cela pour flatter des automobilistes tous poujadistes, ben voyons. Et si Mme El Khomri s’interrogeait une seconde sur l’utilité d’une loi rejetée par plusieurs syndicats aussi bien que par le patronat (pour des raisons différentes, évidemment) ?
[vii] Collectionneurs, sortez vos vieilles affiches ! « Vivement demain » ou « Au secours, le droite revient », selon votre sensibilité…
[viii] Nom qui eût pourtant semblé prédestiné à une meilleure inspiration, puisque c’est le nom d’un Français qui, en italien, signifie « allemand »…
[ix] Encore un signe de la persistance de l’esprit yéyé : le rap français est une adaptation plus ou moins bien transposée du rap originaire d’Amérique, avec des artistes prenant des pseudonymes « américains ». Pourquoi Alpha Diallo ne se produit-il pas sous son vrai nom, ou alors sous un nom de scène comme « M le Noir », ce qui aurait plus de gueule ?
[x] Voir par exemple ici, et ou encore et .
[xi] Et pourquoi pas des montagnes russes, pendant qu’on y était ? Ah non, pas de montagnes russes, quand même : pas de complaisance envers l’affreux Poutine !
[xii] L’hypothèse de la condescendance, même publiquement assumée, est à retenir : les propos tenus par Mme Vallaud-Belkacem lundi 23 mai sur France Culture (à propos de tout autre chose) sont édifiants : voir ici.

1 commentaire:

  1. Post-scriptum (1er juillet) : aujourd'hui ont eu lieu les commémorations du début de la bataille de la Somme. Sans rappeur, sans adolescents courant au milieu des tombes : sans chercher la créativité mal placée, en somme. Il est vrai que ces commémorations étaient surtout britanniques (et "impériales"). On dira ce que l'on voudra des Britanniques : par exemple qu'ils sont parfois un peu ternes ; justement, cela permet des commémorations humbles et dignes.

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