La France, nous dit-on,
est en guerre. C’est fort possible et, dans ce cas, cette guerre a lieu depuis
plus longtemps que ce que nous nous imaginons : en tout cas, elle a
certainement commencé avant ce très sombre 13 novembre.
S’il importe alors de
savoir contre qui nous sommes en guerre, laissons pour l’instant cette question
aux stratèges et à ceux qui ont de quoi les éclairer. Contentons-nous d’acquiescer
à un propos entendu je ne sais plus où il y a quelques jours : ce n’est
pas contre « le terrorisme », qui n’est qu’une façon (particulièrement
odieuse, du reste) de faire la guerre ; on pourrait aussi bien dire dans d’autres
circonstances que c’est une guerre contre l’artillerie.
Il importe en revanche que
nous, simples citoyens, ayons une idée de ce pour quoi notre pays est en
guerre. Je ne parle pas ici des buts de guerre, qu’il nous faut aussi
laisser aux stratèges. La pauvreté des réponses souvent véhiculées par la
grosse presse nous y oblige : que ce soit la prétendue laïcité promue par
l’association des maires de France en relançant une dérisoire querelle sur la
présence ou non de crèches dans les mairies à Noël, ou une certaine douceur de
vivre bien française (voire gauloise), c’est un peu court, me semble-t-il,
voire à côté de la plaque.
Art de vivre
Il nous a été dit que les
massacres du 13 novembre avaient pour cible un certain art de vivre à la française,
voire à la parisienne. En gros, la liberté de baguenauder, de s’asseoir
à la terrasse d’un café pour boire quelques canons avec ses amis… La mode des « je
suis… », lancée après d’autres sinistres jours de cette année, a cette
fois accouché d’un « je suis en terrasse », et il se raconte
qu’un livre d’Ernest Hemingway, Paris est une fête, est devenu l’emblème
de ceux qui se veulent les défenseurs de ces plaisirs.
La fête ou une virée
entre amis au café, ce sont des choses fort agréables. Mais sont-elles
essentielles ? Nous voyons-nous, jeunes ou vieux, mourir pour le seul
droit de nous divertir ? D’autant que, provisoirement, pour des raisons de
sécurité, nous pourrions devoir éviter de trop nous y étaler…
Et puis, la fête, on s’en
lasse parfois : après tout, la gueule de bois peut venir. Un contemporain
de Hemingway (et bien meilleur écrivain à mon goût), Francis Scott Fitzgerald,
donna dès 1931 un Retour à Babylone (Babylon Revisited), où Paris est
plutôt un lendemain de fête, assez las et pâteux.
Alors, lutter pour des
plaisirs éphémères et parfois lassants ? Cela me paraît insuffisant. Cherchons
autre chose.
Art (tout court)
Curieusement, c’est le
comportement de nos ennemis déclarés dans les contrées dont ils se croient les
maîtres qui peut nous fournir une piste. Pour être plus précis, leur
comportement à l’égard d’œuvres d’art souvent antiques, qui avaient traversé
les siècles, entières ou à l’état de grandioses vestiges : ils les
pulvérisent ou, quand ils le peuvent, les vendent à quelques receleurs peu
scrupuleux. Anéantir ou occulter toute forme de beauté semble être semble être
une de leurs passions. On peut supposer qu’il en va de même pour la musique, la
littérature ou la poésie. Toute création artistique semble exciter leur rage.
Or quelle civilisation,
même primitive, même grossière, n’a pas exprimé quelque chose par une
quelconque forme d’art ? A côté du nécessaire labeur quotidien, l’art est
peut-être ce qui nous rend humains : la part de la Création qui nous est
donnée pour être enrichie ou plutôt encore embellie. On pourrait aussi citer le
rire en tant que manifestation plaisante de la conscience que nous avons de nos
imperfections. Dans une forme plus savante, le constat de nos faiblesses et de
nos travers est le déséquilibre qui donne son élan au roman.
C’est donc une part
essentielle de notre humanité qu’il nous faut défendre (et si possible
illustrer !).
Spiritualité
L’art en soi est donc
déjà vital. Mais il peut être aussi un chemin spirituel, lorsqu’il rend compte
d’une méditation, d’une prière ou d’une louange, ou encore lorsqu’il invite à
la contemplation. Là encore, quelle civilisation n’en a pas eu sa part, dans ce
qu’elle a de plus élevé, cette part fût-elle parfois remplie d’erreurs ou de
boursouflures ?
Sans spiritualité, sans
recherche de la vérité, nous ne serions au fond que des animaux d’une habileté
peut-être au-dessus de la moyenne.
L’expression
contemporaine du deuil collectif (j’en ai déjà parlé ici il y a quelques mois,
à un tout autre sujet) manifeste d’ailleurs cette nécessité : la pauvreté
symbolique des mémoriaux improvisés dans de telles circonstances me paraît être
un signe de pauvreté spirituelle et du désarroi qui en découle : les gens
font ce qu’ils peuvent, après tout, et c’est même parfois émouvant.
Or voici que parmi les
mots à la mode précédés d’un dièse est apparu le désormais fameux « Pray
for Paris ». Certains grincheux ont tiqué : ils préfèrent le
champagne ; en somme, ils voudraient continuer de danser en rond et de
sautiller comme avant, habillant en résistance leur refus de voir les choses en
face. C’est dommage. Pourquoi refuser ces prières ?
Du reste, nos ennemis
nous ont qualifiés d’adorateurs de la croix. Et comme, pour citer Barbey
d’Aurevilly, « les plus beaux noms portés parmi les hommes sont les
noms donnés par les ennemis », pourquoi ne serait-on pas libre d’endosser
celui-là ? Essayez donc, il ne peut en venir que des grâces.
Bien entendu, chacun est
libre de l’endosser ou non. Que l’on sache en tout cas que le porter n’interdit
pas, bien au contraire, d’admirer les beautés de ce monde ni de les enrichir.
Puis, lorsque ces menaces
seront écartées, nous aurons tout loisir d’aller boire un demi à quelque
terrasse.
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