Si le confinement qui nous fut imposé entre mars et mai de cette année avait comme un caractère de douleur mêlée d’angoisse et d’attente, celui que nous subissons depuis fin octobre donne un sentiment de perplexité teintée d’amertume. Comme si « on ne la faisait plus » aux redoublants. Beaucoup d’entre nous renâclent quant au caractère essentiel ou non essentiel de tel ou tel motif de sortir de chez nous, motif que nous cochons sagement sur nos attestations.
Faut-il voir dans la
distinction officiellement faite entre nos diverses activités un manifeste,
voire un programme, du macronisme ? Ce serait donc : bosser et
bouffer, le reste comptant pour du beurre ? Le reste ? Citons :
aller s’acheter un (bon) livre, rendre une brève et prudente visite à ses vieux
parents, ou encore pratiquer sa religion. Ce tri a quelque chose d’offensant.
On pourrait y voir un
problème de vocabulaire : notre gouvernement n’aurait-il pas plutôt dû
nous dire que c’était justement de l’essentiel qu’il nous serait demandé de
nous priver un temps, afin de pouvoir mieux le retrouver ensuite[i] ?
Non que travailler ou se nourrir, encore moins travailler pour se nourrir,
soient des occupations méprisables. Elles sont même nécessaires. Après tout,
personne ne souhaite mourir de faim ou de misère, ni en faire souffrir d’autres.
Mais, à travers ce problème de vocabulaire, notre gouvernement semble avoir un
problème de communication ou plutôt de point de vue.
Pour s’en rendre compte,
il suffit d’entendre nos ministres dire « les Français » plutôt que « nous ».
Ils paraissent ainsi s’exclure de la nation au gouvernement de laquelle ils
participent. Si l’on ajoute à cela les attestations à remplir pour sortir faire
trois pas dans la rue, on pourra comprendre que certains esprits fatigués
finissent par se sentir administrés par quelque autorité d’occupation. Il n’est
pas étonnant dans ces conditions que certains finissent par gober la première
faribole complotiste qui leur passe sous les yeux.
Il faudrait aussi – avis aux
amateurs ou, mieux, aux universitaires – prendre le temps de se pencher sur la
manière qu’ont certains ministres ou hauts fonctionnaires de s’adresser à nous
(ou aux Français, comme on voudra), manière souvent relayée dans la
presse : nous serions au mieux de petits enfants (que l’on encouragera par
des métaphores guerrières ou par des injonctions comme « Papi et Mamie
vont à la cuisine manger leur part de bûche »[ii]), ou
alors des benêts (la ridicule affaire des masques, ce printemps, en a été une
des premières et plus mémorables illustrations), ou bien, au pire, des suspects
qu’il importe de tenir en respect (combien de fois aurons-nous entendu parler
de « tour de vis » ou de « durcissement » à propos des
règles sanitaires que nous avons à appliquer ?)[iii].
Le sommet du ridicule a
été atteint avec une des annonces faites mardi 24 novembre par M. Macron,
annonce confirmée le 26 par M. Castex. Il s’agit bien entendu de l’autorisation
des célébrations religieuses limitées à trente personnes. Cette limite n’ayant
à peu près aucun sens, mieux eût encore valu prolonger de deux semaines l’interdiction
des célébrations en public, ce que nous eussions pu endurer avec tristesse mais
aussi avec patience[iv].
Il est malheureusement possible de supposer que le protocole proposé par nos
évêques pour un bon déroulement – du point de vue sanitaire – des messes n’aura
pas même eu l’heur d’être étudié par le gouvernement. Plus que de la malveillance,
il faut y voir une probable marque de paresse intellectuelle et de mépris. Nous
en avons hélas l’habitude.
Il n’en demeure pas moins
que cette inepte décision gouvernementale – outre favoriser assez dangereusement
un sentiment de défiance et des désirs de désobéissance civile – a été l’occasion
d’un grand nombre de plaisanteries, ce qui fait toujours du bien par ces temps
sombres et confus[v].
Comment ? entends-je déjà protester. Des plaisanteries alors qu’un
terrible fléau nous frappe ? Oui, des plaisanteries, du rire, dans la
mesure où rire des choses sérieuses est parfois une chose sérieuse.
Il reste à dire de ces
temps, une fois qu’ils seront derrière nous, qu’ils devraient constituer un
matériau romanesque fécond, pour peu que quelques écrivains se laissent aller à
une veine à la fois profonde et narquoise. Pour les inspirer, on leur donnera à
méditer ce qu’écrivit Flannery O’Connor sur son premier roman, La Sagesse
dans le sang : « C’est un roman comique sur un chrétien malgré
lui, et en tant que tel, très sérieux, car tous les romans comiques de quelque
valeur doivent porter sur des questions de vie ou de mort. »
Le programme est
ambitieux. Les candidats sont autorisés à prendre le temps nécessaire pour se
préparer.
[i] Le roi de Suède, qui n’a
pas une réputation d’orateur enflammé, en a été capable, le dimanche des
Rameaux, en disant à son peuple que, malgré l’importance des fêtes de Pâques,
il allait peut-être falloir s’abstenir cette année de célébrations religieuses
et retrouvailles familiales.
[ii] Celle-ci est
intéressante, outre l’appellation familière de « Papi et Mamie », par
l’emploi du présent de l’indicatif, le futur simple étant probablement un temps
que nous ne sommes pas censés encore maîtriser, pauvres petits enfants que nous
sommes.
[iii] Serait-ce là un mal
typiquement français ? J’ai comme l’intuition qu’aucun gouvernement ou
aucun régime dans notre pays ne se sent à l’aise avec la notion de légitimité depuis
1792 environ (!), d’où une méfiance a priori envers la population de la part du
pouvoir, quel qu’il soit.
[iv] Enfin… divers génies n’ont
pas réussi à imposer un report de Noël, contrairement au Black Friday : tout n’est pas perdu !
[v] Un florilège – incomplet et
d’une valeur inégale quoique comprenant quelques excellentes trouvailles – a été
proposé il y a peu dans La Vie.
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