mercredi 11 novembre 2020

« La grande épreuve » (Étienne de Montety)

 Les récents assassinats commis en France par des islamistes[i], outre ajouter à la tristesse des épreuves que nous traversons tant bien que mal en ce moment, nous obligent à nous souvenir du martyre, en 2016, du père Jacques Hamel. C’est évidemment ce martyre qui a inspiré à Étienne de Montety son dernier roman, La grande épreuve, paru il y a quelques mois aux éditions Stock. La trame en est donc aussi simple qu’effroyable : à la fin d’une messe qu’il célébrait, un vieux prêtre est égorgé par deux islamistes, lesquels se laisseront ensuite abattre par les policiers venus libérer leurs otages.

Ce que nous dépeint La grande épreuve, c’est le chemin qui va mener cinq personnages à leur rencontre tragique un matin d’août dans une église : le prêtre et ses deux assassins, bien entendu, mais aussi une religieuse qui assistera à l’assassinat, et l’officier de police qui dirigera l’assaut.

Commençons – de manière à nous en débarrasser – par adresser un reproche à Étienne de Montety : La grande épreuve est-il vraiment un roman ? Nous y verrions bien plutôt le récit romancé – par la transposition des lieux, des noms et des détails concernant les personnages – de l’assassinat du père Hamel, mêlé à la synthèse de quelques « cas » de parcours de djihadistes. L’ensemble « fonctionne », si j’ose dire, par une construction intelligente qui tisse la toile tragique dans laquelle vont se prendre les personnages. Mais cela semble écrit dans un style d’enquête journalistique fait pour que quelques critiques paresseux le qualifient de haletant[ii].

Une fois énoncé ce reproche, venons-en à ce qui fait l’intérêt de La grande épreuve.

Cet intérêt réside dans la description des personnages : le père Georges Tellier, la petite sœur Agnès de Jésus, Daoud et Hicham (les deux assassins), et enfin le capitaine Frédéric Nguyen. Ces personnages ont entre eux des relations de ressemblance et d’opposition.

Il y a bien entendu l’opposition entre le martyr chrétien – le père Tellier – et ses assassins, « martyrs » selon une conception radicalement fausse. Le père Tellier nous est décrit comme un prêtre apparemment sans charisme exceptionnel, assailli parfois de doutes quant à sa vocation, sympathique assurément, mais, semble-t-il, un peu fatigué. Or voici que survient l’épreuve, celle du martyre : il lui faut l’accepter sans fléchir ; d’abord en essayant de raisonner les tueurs afin de les empêcher de commettre leur crime, puis, voyant à qui il a à faire en fait, à travers deux jeunes imbéciles, en luttant avec les pouvoirs qui lui sont conférés :

« Une certitude soudain, fulgurante, le saisit : cette violence qui vient d’éclater a un nom, celui que l’Église donne au Mal depuis toujours. Le responsable c’est celui qui prend possession, celui qui divise, celui qui perd : Satan. Les voilà maintenant face à face.

Georges se débat avec une vigueur inattendue. Dans ses yeux, on lit une incompréhension mêlée de compassion : ils ne savent pas ce qu’ils font. Hicham est surpris de rencontrer une résistance et brandit son couteau pour l’intimider.

-          Au nom de Jésus-Christ, ne fais pas ça ! Au nom de Jésus !

À ce nom, Hicham sent une force le traverser, une rage, une furie intérieure qui lui ordonne : "Tue ! tue !" »

Une autre relation intéressante à relever est celle qui oppose la petite sœur Agnès de Jésus à un des assassins : tous deux ont grandi dans un milieu aisé et ont connu, chacun à sa manière, une « conversion » allant jusqu’à changer de nom ; Agnès Mauconduit est devenue la petite sœur Agnès de Jésus, et David Berteau est devenu Daoud. L’une se sent appelée par Dieu à faire rayonner le bien, l’autre se croit un devoir de tuer des « infidèles », c’est-à-dire de faire le mal.

Ce Daoud – ou David – est d’ailleurs un enfant adopté, d’origine étrangère. Élevé par un couple de braves gens pour qui toute satisfaction réside dans l’aisance matérielle, il se lance dans une quête identitaire semée de pièges dans lesquels il tombe tous. On peut l’opposer en cela au capitaine Nguyen, fils d’une réfugiée vietnamienne, qui n’a pas connu son père. Issu d’un milieu modeste, épris d’action, il trouvera sa voie dans la police (ce en quoi on pourrait aussi l’opposer à Hicham). Indifférent à toute préoccupation spirituelle, on le découvre, au moment de l’assaut, à la fois ébranlé et perplexe devant ce qu’avait bien compris le père Tellier :

« Le capitaine Nguyen n’a jamais rien observé de pareil. Il en a vu, pourtant, des yeux de forcenés, de criminels, de pédophiles. Des yeux cruels, des yeux perdus, des yeux fixes de tueurs, de vengeurs, de fous, de pervers, d’enragés, de trompe-la-mort. […]

Des regards de possédés… Mais possédés par quoi ? »

Cette interrogation vient après le combat du père Tellier, ce qui ajoute une nouvelle relation de ressemblance-dissemblance entre les personnages.

Quant au diable, le triste exemple des deux assassins, en particulier celui de Daoud, nous suggère que l’ennemi doit aimer à s’installer dans les âmes vides.



[i] Il convient de nommer les trois martyrs de Nice : Nadine Devillers, Simone Barreto Silva, Vincent Loquès.

[ii] Quelques extraits cités en donneront un exemple.

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