mercredi 30 décembre 2020

Dans la brume

 Les myopes, dont votre serviteur, sont exposés depuis quelques mois à un dilemme dès qu’ils sortent : voir le monde à travers un voile de buée résultant du port du masque, ou ôter leurs lunettes pour ne plus en avoir qu’une vague impression. Pour ma part, j’ai choisi la buée. Dans les rues de Paris, aux heures sombres, les réverbères et les feux des voitures s’irisent dans le brouillard de mes lunettes. Un des rares charmes de l’année 2020.

Cette buée ne voile pas que notre vue. Il semble que le brouillard ait envahi les esprits, des peuples aussi bien que des gouvernements. Et cela, évidemment, a moins de charme.

J’en veux pour exemple les prétendues méthodes ou stratégies utilisées ici et là pour lutter contre l’épidémie qui a envahi nos vies voici bientôt un an. L’hiver dernier, nos gouvernants rejetaient avec mépris l’idée de contrôler les frontières et de placer en quarantaine quiconque viendrait de l’étranger : « les virus n’ont pas de passeport », psalmodiaient-ils, heureux de cette trouvaille. Cette contrainte nous eût peut-être évité bien des déboires et bien d’autres contraintes, plus pesantes. À vouloir user d’arguments (ou plutôt d’incantations) d’ordre idéologique contre une mesure d’hygiène connue depuis longtemps, ils se sont par la suite improvisés hygiénistes, ayant recours à des méthodes franchement archaïques, quoique d’une certaine efficacité. Ajoutons l’apparition d’applications à télécharger sur son téléphone portable (à condition de disposer d’un modèle adéquat), et nous avions sous les yeux ce mélange d’archaïsme et de foi aveugle en la technique qui caractérise la modernité tardive.

Voici qu’apparaissent peu à peu des vaccins qui pourraient finir par nous débarrasser de cette insistante pandémie. On le souhaite, évidemment, et nous gouvernants le claironnent. La vitesse à laquelle ces vaccins sont apparus et l’habitude d’avoir entendu nos responsables politiques dire tout et le contraire de tout sont probablement les raisons pour lesquelles tant de Français s’en méfient. Après tout, nous ne savons pas trop ce qu’on nous inoculera. De même, d’ailleurs, que nous ne savons pas trop de quoi sont faits les médicaments que nous ingérons volontiers quand nos médecins nous les prescrivent. Peut-être est-ce là un argument qui pourrait apaiser nos craintes ?

Mais assez parlé de ce maudit virus. Il est d’autres exemples de confusion, aussi intéressants que drôles car la confusion ne réside pas où l’on pourrait croire. Ainsi, il y a quelques semaines, les journalistes et les lecteurs de Marianne se sont étonnés – pour ne pas dire étranglés – de ce que Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie ait déclaré que le libéralisme était « la meilleure façon d’être de gauche ». N’étant personnellement ni de gauche ni libéral, je ne me prononcerai pas quant à la pertinence de l’épithète utilisée par Mme Pannier-Runacher. Il n’est en revanche pas interdit de penser qu’être libéral peut être une manière d’être de gauche, voire d’être socialiste. Le saint-simonisme et ses évolutions peuvent être cités en exemple. C’est ce qu’a fait Frédéric Rouvillois dans un essai intitulé Liquidation, paru cette année aux éditions du Cerf. Le sous-titre en étant « Emmanuel macron et le saint-simonisme », on comprendra aisément que Rouvillois entend ici donner une cohérence aux choix politiques de M. Macron, que l’on résume un peu trop facilement par son fameux en même temps. Cet essai consiste largement, en les classant selon différents thèmes, à confronter d’amples citations d’écrits saint-simoniens à des discours ou des propos de M. Macron et des plus lettrés de ses conseillers, parrains, suiveurs ou thuriféraires. Le rapprochement est pertinent, et certains desdits conseillers (etc.) l’assument et même le revendiquent depuis un bon moment. La différence avec Liquidation réside dans le fait que son propos n’est guère favorable à la politique de M. Macron (« l’utopie des très riches »). Cet essai relativement bref (et, dirait-on, édité d’une manière quelque peu expéditive) vient apporter un éclairage au point aveugle du XIXe siècle à travers les âges, de Philippe Muray : la parenté entre le socialisme et le libéralisme, issus du même bouillonnement de pensée magique vieux d’environ deux cents ans (et dont il faudrait sérieusement songer un jour à nous défaire), voire l’hybridation entre les deux.

Après tout, concevoir ce à quoi l’on entend s’opposer est toujours plus fécond que marmonner ou éructer – selon son tempérament – des slogans hostiles, voire haineux. Je recommande donc la lecture de Liquidation aux journalistes et aux lecteurs de Marianne.

Et je souhaite à mes lecteurs une joyeuse et sainte fête de Noël. En espérant que 2021 sera un meilleur millésime que 2020.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).