lundi 21 janvier 2019

Le prix du monde moderne

Certes, le 21 janvier est, chaque année, l’occasion de faire mémoire de Louis XVI et de rappeler les crimes dont s’est rendue coupable une révolution dont bien des gens se réclament ou reprennent les symboles, des « gilets jaunes » aux défenseurs de « l’ordre républicain ». Observons que parmi ces derniers il s’en trouve pour estimer qu’il suffit de tirer dans le tas pour régler les questions posées par le mouvement des « gilets jaunes ». La caution philosophique de ce nouveau genre de bourgeois louis-philippards a récemment été fournie par M. Luc Ferry, dit-on. Grand bien lui fasse. Louis-philippard est bien le mot qui sied : Louis-Philippe Ier, « roi des Français », n’avait-il pas acquis, aux côtés de son père, une bonne connaissance des milieux montagnards[i] ?
Peut-être cette date est-elle aussi l’occasion de s’interroger sur ce dont l’agitation qui effraie en ce moment les assis[ii] est le signe. De beaucoup de choses, certainement, des plus matérielles aux plus profondes, et je me garderai bien d’en proposer une liste exhaustive. Posons-nous cependant une première question : ne serions-nous pas à un de ces moments où la politique révèle tout ce qu’elle a de vide ? Il me vient à l’esprit une citation : « La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif. Le roi n’est plus là ! » Elle est de M. Emmanuel Macron (en 2015, certes). Chacun peut connaître un instant de lucidité.
Ce vide n’est pas seulement politique. Il est aussi moral et spirituel. D’où certaines expressions de désespoir ou l’irruption du n’importe quoi dans ce vide. Hors de chez nous, M. Trump en fournit un bon exemple.
Pour se défendre, les tenants de la bonne grosse démocratie libérale ont de pauvres armes à leur disposition : la cuisine politicienne (en Suède ces derniers jours), la raideur punitive (quoi que l’on pense du Brexit, le comportement des plus hautes instances de l’Union européenne à l’égard du Royaume-Uni évoque le désir de faire un exemple, au cas où d’autres pays seraient tentés), voire le complotisme qu’ils reprochent – pas toujours à tort – à leurs adversaires : si un événement politique leur déplaît, ce ne peut être que le fruit d’une conspiration ourdie dans quelque officine moscovite.
Ce monde-là paraît aux abois, avec ses réactions parfois dignes des démocraties populaires finissantes. Il semble que tout un monde bâti sur la philosophie des lumières et certains de ses prémices remontant – pour faire vite – à la Renaissance ou à la Réforme, en passant par Descartes, vacille. Certes, il a encore quelques sursauts. On les voit dans toutes les absurdités « sociétales » qu’il promeut, souvent associées à un mépris de la vie, de la nature, du donné, mais aussi des liens qui font une société. Ces absurdités, il les défend avec acharnement : il n’est besoin que de voir avec quelle hargne les petits automates que l’on nomme « députés LREM » ont attaqué l’une d’entre eux, Mme Thill, qui a osé exprimer quelques doutes sur les évolutions prévues dans la prochaine révision de la loi bioéthique ; il est aussi probable que ces prochains jours, à des fins électorales, certes, la bonne grosse presse instruise un procès en sorcellerie contre M. Bellamy.
A côté de ces absurdités, derniers signes de vie de ce monde-là, des pans entiers du décor tombent, dévoilant des perspectives peu enthousiasmantes, en matière d’écologie par exemple : dégradation du climat, extinction d’espèces, maladies liées à diverses substances chimiques…
C’est naturellement une fois qu’il a causé des désastres que le mal est plus facile à constater. Et ce n’est pas réjouissant. Il semble que le démon qui a fait bâtir aux hommes le monde moderne (industriel et libéral, en gros) vienne aujourd’hui lui présenter la note, avec de désespérants ricanements. Le moment n’est certes pas des plus agréables.
Pour en revenir à des domaines plus étroits, ceux de la situation actuelle en France par exemple, l’espérance peut venir de diverses initiatives, comme ici un appel pour un nouveau catholicisme social. C’est au moins digne d’intérêt.


[i] Curieusement, on apprenait, ce 21 janvier 2019, le décès de monseigneur le comte de Paris, descendant direct de ce lieutenant général du royaume qui chipa le trône à Henri V en juillet 1830. Qu’il repose en paix.
[ii] Le FMI aurait même, dit-on, réévalué à la baisse ses prévisions de croissance pour la France. Pour les âmes bourgeoises, cela équivaut à peu près à… oh, imaginez tout ce que vous voudrez de plus sacrilège.

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