mardi 19 décembre 2017

Apothéoses contemporaines

Considérons deux hommes à qui leur activité aura conféré un certain statut et ayant atteint récemment les limites de leur séjour ici-bas.
Le premier était un de ces écrivains que d’aucuns trouverons comme il faut, voire dans la bonne moyenne : académicien, bien né, longtemps titulaire d’un rond de serviette dans un magazine des plus convenables, auteur couronné de succès… C’était aussi un « bon client » pour la radio et la télévision : peut-être beaucoup retiendront-ils de lui, plutôt que ses talents d’écrivain, ses charmes de causeur, son humour, une certaine lucidité quant à sa position dans l’histoire des lettres ; le plaisir aussi qu’il semblait prendre à la conversation, goûtant les mots, les retenant un temps en bouche comme on le fait d’un bon vin… Ajoutons, pour ses apparitions télévisées, une tenue élégante et un regard bleu et vif qui, auprès des dames, compensait peut-être une taille un peu courte. Mais ne nous attardons pas sur le physique ni sur la vie privée de Jean d’Ormesson.
A peine la presse lancée dans un niagara d’éloges funèbres, le second décédait. Celui-là était d’un autre genre : comme un vieux petit garçon d’après-guerre ayant du mal à se situer et s’étant trouvé – peut-être – une identité dans le culte d’une Amérique rêvée : motos, Los Angeles, grosses voitures, route 66, rock n’roll… Au point de prendre, au seuil d’une longue carrière de chanteur, un nom de scène qui faisait « américain ». Ce qui étonnait chez Jean-Philippe Smet, dit Johnny Hallyday, c’est la capacité de durer, en une permanente mue, de celui qui eût pu n’être qu’un chanteur yéyé de plus, ainsi que le mélange de mégalomanie et de simplicité dont il donnait l’impression. Au fond, ce qu’il fit durer – et ce qui le fit durer – est peut-être l’énergie, l’engagement, la sincérité avec laquelle il perpétua l’esprit yéyé. L’esprit yéyé ???? Mais oui, un culte du toc, d’une Amérique de carton-pâte, dont Johnny Hallyday fut en quelque sort le grand prêtre, voire l’archevêque[i].
Naturellement, il ne sied pas d’ironiser sur ces deux défunts. Ces deux hommes sont pleurés par leurs proches et aussi par leurs admirateurs. Et il ne m’appartient pas – pas plus qu’à quiconque – d’évaluer les profondeurs des âmes de ces deux hommes. La moindre des choses est de souhaiter la paix à ces deux âmes. C’est d’ailleurs au moins en partie le sens des obsèques religieuses qui ont été célébrées pour chacun d’eux.
Ce qui m’a surpris en revanche, voire amusé, c’est l’espèce de deuil national qui a été presque décrété pour ces deux hommes. Il faut bien parler d’espèce de deuil et de presque décrété. Il a été question, outre les obsèques religieuses, d’hommage national pour Jean d’Ormesson et d’hommage populaire pour Johnny Hallyday, les deux étant présidés, en quelque sorte, par l’auguste et jupitérien M. Macron. Hommages d’une forme d’ailleurs inédite, semble-t-il. Comme si Jupiter, enfin parvenu à sa place, pouvait décider de qui avait droit à une apothéose.
(Les mauvais plaisants auront pu redouter un instant que M. Macron, dans sa frénésie du simultané, dans son et en même temps permanent, n’admît sur les flancs de son Olympe Johnny d’Ormesson[ii]. Mais il n’en fut rien. Laissons là les mauvais plaisants.)


[i] Les photos de lui dans ses vieux jours le montrent souvent dans des tenues sombres, avec une espèce de croix pectorale…
[ii] Jamais à court de révélations essentielles, les journalistes ont déniché un arbre généalogique révélant la parenté – lointaine – entre Jean Bruno Wladimir François de Paule Lefèvre d'Ormesson et Jean-Philippe Smet. Ils eussent pu se contenter d’observer que Smet, c’est Lefèvre en flamand.

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