Considérons deux hommes à
qui leur activité aura conféré un certain statut et ayant atteint récemment les
limites de leur séjour ici-bas.
Le premier était un de
ces écrivains que d’aucuns trouverons comme il faut, voire dans la bonne moyenne :
académicien, bien né, longtemps titulaire d’un rond de serviette dans un
magazine des plus convenables, auteur couronné de succès… C’était aussi un « bon
client » pour la radio et la télévision : peut-être beaucoup
retiendront-ils de lui, plutôt que ses talents d’écrivain, ses charmes de
causeur, son humour, une certaine lucidité quant à sa position dans l’histoire
des lettres ; le plaisir aussi qu’il semblait prendre à la conversation,
goûtant les mots, les retenant un temps en bouche comme on le fait d’un bon vin…
Ajoutons, pour ses apparitions télévisées, une tenue élégante et un regard bleu
et vif qui, auprès des dames, compensait peut-être une taille un peu courte. Mais
ne nous attardons pas sur le physique ni sur la vie privée de Jean d’Ormesson.
A peine la presse lancée
dans un niagara d’éloges funèbres, le second décédait. Celui-là était d’un
autre genre : comme un vieux petit garçon d’après-guerre ayant du mal à se
situer et s’étant trouvé – peut-être – une identité dans le culte d’une
Amérique rêvée : motos, Los Angeles, grosses voitures, route 66, rock n’roll…
Au point de prendre, au seuil d’une longue carrière de chanteur, un nom de
scène qui faisait « américain ». Ce qui étonnait chez Jean-Philippe
Smet, dit Johnny Hallyday, c’est la capacité de durer, en une permanente mue,
de celui qui eût pu n’être qu’un chanteur yéyé de plus, ainsi que le mélange de
mégalomanie et de simplicité dont il donnait l’impression. Au fond, ce qu’il
fit durer – et ce qui le fit durer – est peut-être l’énergie, l’engagement, la
sincérité avec laquelle il perpétua l’esprit yéyé. L’esprit yéyé ????
Mais oui, un culte du toc, d’une Amérique de carton-pâte, dont Johnny Hallyday
fut en quelque sort le grand prêtre, voire l’archevêque[i].
Naturellement, il ne sied
pas d’ironiser sur ces deux défunts. Ces deux hommes sont pleurés par leurs
proches et aussi par leurs admirateurs. Et il ne m’appartient pas – pas plus qu’à
quiconque – d’évaluer les profondeurs des âmes de ces deux hommes. La moindre
des choses est de souhaiter la paix à ces deux âmes. C’est d’ailleurs au moins
en partie le sens des obsèques religieuses qui ont été célébrées pour chacun d’eux.
Ce qui m’a surpris en
revanche, voire amusé, c’est l’espèce de deuil national qui a été presque
décrété pour ces deux hommes. Il faut bien parler d’espèce de deuil et
de presque décrété. Il a été question, outre les obsèques religieuses, d’hommage
national pour Jean d’Ormesson et d’hommage populaire pour Johnny
Hallyday, les deux étant présidés, en quelque sorte, par l’auguste et
jupitérien M. Macron. Hommages d’une forme d’ailleurs inédite, semble-t-il. Comme
si Jupiter, enfin parvenu à sa place, pouvait décider de qui avait droit à une apothéose.
(Les mauvais plaisants
auront pu redouter un instant que M. Macron, dans sa frénésie du simultané,
dans son et en même temps permanent, n’admît sur les flancs de son
Olympe Johnny d’Ormesson[ii]. Mais
il n’en fut rien. Laissons là les mauvais plaisants.)
[i] Les photos de lui dans ses
vieux jours le montrent souvent dans des tenues sombres, avec une espèce de
croix pectorale…
[ii] Jamais à court de
révélations essentielles, les journalistes ont déniché un arbre généalogique
révélant la parenté – lointaine – entre Jean Bruno Wladimir François de Paule
Lefèvre d'Ormesson et Jean-Philippe Smet. Ils eussent pu se contenter d’observer
que Smet, c’est Lefèvre en flamand.
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