Soyons frivole ou sérieux
– c’est selon – et penchons-nous sur la coupe des pantalons. Le propos ne sera
point d’en faire l’étude détaillée ni l’histoire, mais d’en tirer – par les
cheveux, si besoin est – quelques réflexions.
Chacun aura entendu
parler de la notion d’obsolescence programmée et y aura tôt ou tard été
confronté de manière pratique. Ne faudrait-il pas compter parmi les pionniers
de cette pratique les industriels de l’habillement ? Dans ce domaine
apparemment futile, cela se nomme depuis longtemps la mode (laquelle a pour
principale caractéristique de se démoder, pour paraphraser, me semble-t-il,
Cocteau). D’une saison à l’autre, la largeur d’un revers, la coupe ample ou
près du corps d’un vêtement, le nombre et l’emplacement de ses boutons, ses
couleurs et quelques autres aspects varieront de manière à donner du souci à
ceux (et celles) qui s’en préoccupent, et à renouveler leur garde-robe. Avec de
telles variations, l’industriel gagne sur tous les tableaux : la clientèle
sera régulière et il ne sera point nécessaire de fabriquer des articles solides
donc potentiellement onéreux.
Naturellement, il
existera toujours en nombre important des indifférents, voire des réfractaires.
Pour peu que ces derniers se piquent d’élégance, il leur importera de disposer
d’une garde-robe qui leur sied : couleurs, matières et formes les
habilleront comme il sied à leurs goûts et à leur confort, d’une manière de
préférence durable. Comme me l’a dit un jour un ami sur qui tout tombe à
merveille, l’idéal en la matière serait d’avoir un nombre restreint de costumes
pouvant décemment tenir dix ans, quitte à passer voir son tailleur pour
demander au bout de ce temps la même chose en neuf – aux variations de
corpulence près.
Chez ceux qui n’osent ou
ne peuvent s’offrir du sur-mesure, quelques noms de faiseurs de qualité
circuleront, réputés pour leurs articles solides et intemporels. Par exemple,
l’amateur de pantalons à taille relativement haute, d’une coupe à l’amplitude
suffisante en position debout comme en position assise, taillés dans de souples
et solides tissus, dotés d’amples pinces et de vastes poches, ira chez X. Il
sait en outre qu’après l’essayage permettant de déterminer les ajustements
nécessaires, on lui proposera de pratiquer de généreux revers (les revers,
outre leur aspect agréable, présentent l’avantage d’assurer aux bas de
pantalons une cinématique prévisible).
Puis X se rendra compte
que de tels amateurs ne l’honorent pas très souvent de leurs visites. Que
faire ? Eh bien, il risque fort de lésiner sur le tissu : les
amateurs se verront bientôt proposer des pantalons un peu justes au bassin et aux
cuisses, voire aux mollets, aux pinces étriquées et auxquels il consentira à
ajouter des revers comme si c’était une grande faveur. De tels pantalons
irriteront les amateurs (qui auront oublié de s’asseoir pendant l’essayage) et
risqueront de s’user vite : frottements trop fréquents des étoffes,
craquement des coutures…
L’amateur laissera encore
une chance à X et reviendra y voir une fois ou deux. Peut-être entendra-t-il le
vendeur de chez X lui dire : « vous comprenez, monsieur, cela se
porte ainsi cette année ». Il comprendra alors que X a choisi son
camp : celui de l’économie moderne, dont les agents croient pouvoir s’enrichir
en écoulant plus massivement leurs produits sans plus se soucier de leur
qualité et en misant sur leur usure prématurée.
Vous m’objecterez que je
fais peut-être un cas universel de l’achat malheureux d’un pantalon. C’est
possible. Mais cela ne dispense pas de réfléchir.
Allons, Sven, encore un peu de patience... La mode est une aveugle en marche dans une cellule étroite : elle vient tôt buter contre les limites de son réduit, et repart dans la direction opposée. Autrement dit, après des années étriquées, des années de bassins et de cuisses contraints, de fesses moulées à la louche, les pinces et le confort ne devraient plus tarder à faire leur retour dans le vocabulaire des marchands de pantalons.
RépondreSupprimerCertes, certes, et ta définition de la mode est juste, en plus d'être jolie. Mais je crois qu'il y a aussi quelques faiseurs qui, tout en feignant d'ignorer la mode (pratiquant toujours la pince, notamment), lésinent en douce sur le tissu : une façon plus subtile, en somme, de faire de la marge... D'où mon soupçon quant à un alignement sur des méthodes douteuses de la part de maisons jusque là honorables ou réputées telles.
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