Alors qu’en 2012 quelques
publications[i]
avaient salué Roger Nimier cinquante ans après sa mort, on eût pu espérer un
volume de la Pléiade au moins pour 2015, année où Nimier eût atteint
quatre-vingt-dix ans. Il n’en est rien, apparemment, et la maison Gallimard se
contente de publier une Correspondance (1950-1962) de Paul Morand et
Roger Nimier, présentée, établie et annotée par Marc Dambre[ii].
Autant le dire d’emblée, ce n’est pas par cette correspondance que l’on conseillera
à un néophyte d’entrer dans l’œuvre de Morand, ni dans celle de Nimier :
il s’agirait plutôt de petits morceaux pour inconditionnels avides de la
moindre miette[iii].
Amitié
Cependant, par quelques
signes plutôt que par de longs épanchements (ce qui est très bien), nous
parvenons à déceler la naissance et la croissance d’une amitié, voire d’une
affection entre ces deux-là. La première lettre est de Morand et commence par
« Cher confrère », ce qui vaut adoubement, ainsi qu’un peu
plus loin un « je mise sur vous et ne veux pas perdre ». Pour
commencer, le jeune Nimier répondra avec une certaine humilité (réelle ou de
pure forme, il ne nous est pas permis de trancher).
Avec le temps, les
échanges se font de plus en plus fréquents (mot plus adéquat ici que denses).
On se donnera bientôt du « Cher ami », puis du « Cher
Nimier », « Cher Roger » ou « Cher Paul ».
L’affection est suggérée dans quelques lettres où Morand appelle Nimier « mon
fils ».
Nous ne saurons jamais ce
que ces deux amis se disaient. Il ne nous reste que ce qu’ils
s’écrivirent : des mots brefs, où il est question de potins un rien datés,
de rugby, de vin et bien sûr de voitures rapides. D’hospitalité aussi, puisque
Nimier avait les clefs de la maison des Hayes, près de Rambouillet, dont Morand
était le propriétaire. Là, il pouvait s’isoler pour écrire ou simplement dormir.
De cette retraite naîtra (ce dont seuls quelques minces indices apparaissent) D’Artagnan
amoureux.
Travail
Il se trouve donc
quelques considérations sur la littérature dans cette correspondance ?
Fort peu, en fait. Il y est plutôt question d’édition, voire de cuisine
éditoriale, à une époque où Nimier était éditeur chez Gallimard. Nous voyons
dans quelques-unes de ces lettres le souci chez Nimier de mettre en valeur
l’œuvre d’écrivains qu’il admire, à commencer par Morand. Celui, aussi, de leur
faire exprimer leur talent et leur intelligence au sujet d’autres écrivains,
notamment en leur commandant des préfaces pour « le livre de poche
classique ». Paul Morand sera évidemment requis. Ce dernier souci n’est du
reste pas complètement désintéressé : c’est aussi un moyen de lancer une
collection et d’arrondir les revenus de quelques écrivains (cuisine éditoriale,
disions-nous…), encore que l’argent ne soit pas un besoin pressant chez Morand.
Ce qui le pressait plutôt, c’était de se refaire une réputation après avoir été
plutôt mal vu après la Libération.
Fantaisie
Tout cela est bel et bon,
mais un peu maigre. Le plus grand plaisir qui naît de cette correspondance est
celui de la fantaisie : fantaisie nimiesque (par quelques échos de son
style, quelques grilles de mots croisés en quatre cases pour Hélène Morand ou
quelques signatures farfelues comme « Roger Joyce ») et fantaisie
morandienne, notamment aux dépens du Solitaire, autrement dit Jacques
Chardonne. Ces fantaisies finiront, hélas, en queue de poisson, un soir de
septembre 1962 sur l’autoroute de l’Ouest et, comme chacun sait, D’Artagnan
amoureux, tout juste achevé, prendra le statut peu enviable de roman
posthume.
Une bande accompagne le
livre : « Le guide du parfait hussard », peut-on y lire.
Publicité abusive : un tel guide ne saurait exister, Nimier ayant brisé le
moule si jamais il y en eut un.
Des plaisirs aussi
légers, comme un rafraîchissement pris en passant au bord de la route (le temps
de laisser refroidir un peu le moteur) pourront nous sembler coupables. Auquel
cas une pénitence s’impose. La maison Gallimard, qui fait parfois bien les
choses, y a pourvu : concomitamment à cette correspondance-ci paraît un deuxième
volume de celle de Paul Morand et Jacques Chardonne[iv], qui
s’étend sur plus de mille pages entre 1961 et 1963. Toutefois, pénitence n’est pas
punition : nous aurons des cailloux dans les chaussures, mais aussi
peut-être quelques pierres précieuses entre les mains. Nous verrons.
En attendant un volume de
Nimier dans la Pléiade[v] ?
Les inconditionnels, dont je suis, en seraient enchantés, et les esprits
curieux de littérature auraient tout Nimier dans une main…
[i] Parmi lesquelles un riche Cahier de l’Herne.
[ii] A qui l’on doit un
travail analogue sur la correspondance de Nimier avec Jacques Chardonne, parue
en 1984, mais surtout un beau travail de réédition de nouvelles ou d’articles
de critique de Nimier, ainsi qu’une biographie parue en 1989. Marc Dambre est
maintenant professeur émérite… Tempus fugit.
[iii] Mais j’affirme sur
l’honneur ne rechercher aucune note de teinturier de Nimier ni de Morand ;
d’ailleurs, je redoute les faux.
[iv] Le premier (1949-1960)
remonte à il y a un an et demi (voir ici).
[v] Que faut-il faire ?
Une pétition en ligne ? Des manifestations de rue ? En criant NIMIER
POUR TOUS ?
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