Il y a bientôt deux
semaines s’écrasait dans les Alpes un avion de ligne allemand, causant la mort
de ses cent cinquante occupants. Il est inutile de citer quelque détail que ce
soit de cette catastrophe, tant la presse nous en a fourni, souvent à tort et à
travers. Mais, outre l’évidente compassion pour les victimes et pour leurs
proches, cet événement appelle quelques réflexions.
Deuils
modernes
De manière générale,
lorsque se produit dans le monde un triste événement qui a quelque
retentissement, avez-vous remarqué les petits monuments éphémères qui
fleurissent ici et là ? Veilleuses, fleurs, messages de
« solidarité » et divers objets attendrissants font leur apparition
en quelques points donnés.
Loin de moi l’idée de
ricaner de telles manifestations de deuil – elles ont leur côté touchant et les
gens expriment leur sympathie comme ils le peuvent – mais leur caractère
souvent pauvre et parfois mièvre finit par être crispant[i]. Oui,
les braves gens, touchés par un malheur, semblent devenus incapables d’exprimer
leur sympathie d’une manière simple, digne et profonde. Le monde moderne semble
les avoir amputés de toute spiritualité, ne leur laissant comme expression
possible que celle d’une sentimentalité vague accrochée à des objets fabriqués
en série ou à des techniques (je pense aux touits) qui la datent
affreusement[ii].
Qu’ils puissent guérir de cette infirmité, en ce temps pascal !
Régression
par les machines
Dans tous les récits qui
nous ont été faits de l’accident que j’évoquais plus haut, un élément est
apparu : une porte, automatiquement verrouillée, que le commandant de bord
n’a pu ouvrir, faire ouvrir, ni défoncer pour regagner le poste de pilotage
dont il s’était absenté un instant. Et voilà qu’un dispositif automatique, une
machine imparable, a fait d’un moment dangereux une tragédie : rien à
faire pour éviter la catastrophe.
Ce genre de dispositif a
été imposé à bord des avions de ligne, nous dit-on, après le 11 septembre 2001,
pour protéger les pilotes contre d’éventuels terroristes en interdisant à ces
derniers l’accès au poste de pilotage. Louable intention, certes, mais dont on
a pu hélas mesurer les dangers en cas de mauvais usage ou de déclenchement
intempestif : vous pouvez toujours essayer de raisonner, de maîtriser, voire
d’empêcher de nuire un homme devenu fou ou se mélangeant les pinceaux dans une
manœuvre. Mais quid d’une machine conçue, développée et réalisée pour résister
à toute intervention humaine ?
Ce genre de dispositif
rappelle la « doomsday machine » de Docteur Folamour :
un formidable dispositif de représailles se déclenchant automatiquement pour
dévaster la Terre en cas d’attaque nucléaire contre l’URSS : aucune
hésitation morale possible. Ni aucune correction en cas d’erreur. Où les hommes
se rendent esclaves de leurs inventions.
Tous
experts !
En m’attardant sur ce
détail (qui aurait eu malheureusement son importance, autant que l’on sache),
j’ai bien l’impression d’entrer dans l’horrible cirque qui s’est emballé sous
nos yeux : informations en direct, interprétations hâtives, hypothèses
hasardeuses considérations psychologiques et morales sur un copilote dépressif
et sur les compagnies aériennes… Rien ne nous aura été épargné d’un accident
dont ni les quidams comme vous et moi ni les journalistes ne sauront le fin
mot.
Nous en serons réduits à
de vaines discussions de comptoir, jeu dans lequel nous entrons trop souvent.
Nous devrions y penser et nous taire un peu, ne serait-ce que par égard pour la
dignité des morts.
Toutes ces considérations ne me dispensent pas de vous souhaiter de joyeuses et saintes fêtes de Pâques !
[i] Il est des cas où, lorsque
des enfants sont morts, ces petits monuments peuvent s’orner d’ours en peluche,
par exemple.
[ii] La pauvreté et l’invasion
des artefacts modernes dans le deuil sont bien illustrées dans un sévère
article de Nunzio Casalaspro paru dans Causeur
il y a quelques jours, ici.
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