Bien souvent, en lisant la presse ou en écoutant la
radio, je tombe sur des expressions comme :
Je sais, je
vais briser un tabou, mais…
Ou :
Vous savez,
je n’ai pas de tabou, moi…
Ou encore :
Parlons
sans tabou, voulez-vous bien…
C’est curieux, mais dès que j’entends le mot tabou, il me vient un soupçon : la
personne qui parle ainsi va ou bien enfoncer une porte ouverte ou bien faire
allégeance à l’esprit du temps, en professant, ce qui est de bon ton, une
horreur pour tout ce qui pourrait ressembler à un dogme ou au respect d’un
caractère sacré – un genre très bien porté de subversion, en somme.
Définition
Cherchez dans un dictionnaire : un bon gros Petit Robert bien élimé, ou sur le site
du Trésor de la langue française (ici, et laissez-vous guider), par
exemple. Le nom tabou vous renverra
en gros à un sacré à la fois primitif, exotique et païen, transposé à des
usages d’ici et maintenant.
Gradation et nivellement
Celui qui proclame n’avoir pas de tabou nous dit
deux choses : premièrement, que ce qu’il désigne comme un tabou relève d’une croyance dépassée,
arriérée, indigne d’être prise au sérieux par l’homme moderne ;
secondement, que ceux qui tiendraient à l’usage ainsi désigné sont en somme un
genre de primitif qui ne méritent qu’un regard vaguement attendri, dans la
vitrine d’un musée ethnographique.
Tout peut y passer, du tabou des 35 heures au tabou
de la fin de vie, en passant par le tabou
du travail du dimanche ou les tabous
de l’identité sexuelle. Curieusement, on peut observer simultanément une
gradation et un nivellement dans ces « tabous » : peu à peu, on
range au musée des notions plus ou moins anodines (entre nous, travailler 35 ou
37 heures par semaine, eh bien, peu me chaut), puis des notions plus sensibles
sans être moralement insupportables (le travail du dimanche), avant de toucher
à des équilibres symboliques (comme l’identité sexuelle) et, enfin, à la vie
même (comme des questions sur la fin de vie), sans trop savoir, dans ces
conditions, où il est prescrit de s’arrêter ; toutes ces notions seront
rangées dans la même catégorie, afin de s’éviter toute question morale : tabous, vieilleries, quoi. Des superstitions
auxquelles ne peuvent s’agripper que quelques fossiles, sans trop savoir
pourquoi ils y tiennent tant. Autant balayer tout cela, les tabous aussi bien que les fossiles qui s’y
agrippent, pareils à de vieux bigorneaux, ce dont conviendront tous les esprits
rationnels et éclairés.
Objection
C’est drôle, mais pour ma part, je ne crois pas
avoir beaucoup de tabous. Certaines choses
me sont sacrées, mais j’ai l’impression de savoir pourquoi, dans la plupart des
cas. Disons que mes raisons, fondamentalement, sont religieuses, avec leurs
logiques conséquences morales. Je ne pense pas que qui viole ce que je tiens
pour sacré mérite d’être tué, ni qu’il sera nécessairement foudroyé dans les
quinze jours. Mais cette personne m’offensera (ce qui n’est pas insurmontable)
et surtout, de mon point de vue, risquera fort d’offenser Dieu (Qui sera
triste). En gros, il me semble plutôt qu’un ennemi mérite la pitié et une
certaine sollicitude plutôt que la fureur.
Réciproquement, du reste, j’évite en général,
disons, d’allumer un cigare si je suis dans le sanctuaire des autres.
Et, du point de vue moral, j’inviterais volontiers
les briseurs de tabous à y regarder à deux fois avant de traiter de sauvages
ceux qui ne sont pas de leur avis et de balayer leurs objections avec mépris. Connaissent-ils
toutes les conséquences de leurs actes ou de leurs projets ?
Pour prendre une image, j’ai envie de leur dire de
ne pas retourner toutes les pierres qu’ils peuvent trouver sur leur chemin :
ce n’est pas que cela porte malheur, mais qui sait quelle vermine peut se
cacher en-dessous ?
Alors, de grâce, employons un peu moins le mot tabou. Lequel, d'ailleurs, est devenu un lieu
commun dont la banalité est propice à l’ennui.
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