Il y a quelques semaines (autant dire une éternité),
les journaux et les radios bruissaient d’une tribune rédigée par M. Sarkozy et
parue dans le Figaro au sujet des
écoutes dont il a fait l’objet. La comparaison qu’il a faite à ce propos entre
les méthodes utilisées à son égard et celles de la Stasi dans la défunte RDA
ont provoqué quelques cris d’indignation et quelques railleries… mais
glissons, glissons…
L’intérêt du texte de M. Sarkozy me semble résider dans
l’allusion qu’il y fait à La vie des
autres, film qu’il qualifie de « magnifique », si j’ai bonne
mémoire. Loin de moi l’idée de le contredire à cet égard.
Les écrits volent, les paroles demeurent
Mais non, c’est le contraire, protesteront certains.
Et pourtant, en songeant à l’importance accordée à la parole donnée dans les
cultures orales (ou dans celles où l’oralité a laissé une trace profonde), je
n’en suis pas sûr ! Mais revenons à La
vie des autres : dans ce film, on peut voir comment la vie d’un couple
est épiée, notamment au travers de l’espionnage de ses conversations, qui sont
écoutées et enregistrées sur bandes magnétiques. Leur intimité sera connue de
la police dans tous ses détails.
Ceux qui ont vu ce film connaissent la suite :
l’officier de la Stasi chargé de mettre en œuvre la mission d’espionnage, pris
de sentiments bienveillants, tentera de protéger ses victimes et sera pour cela
lourdement sanctionné : dégradé, il aura désormais pour tâche d’ouvrir à
la vapeur[i]
des enveloppes contenant les correspondances de milliers de citoyens
est-allemands, assis dans un bureau, au milieu d’autres policiers anonymes.
C’est un travail répétitif, fastidieux, déprimant.
Mais ces temps sont révolus, n’est-ce pas. Je
suppose que, dans de telles officines, il y avait aussi des personnels
spécialisés dans la lecture des lettres, le relevé des adresses des
correspondants suspects, et bien entendu dans la fermeture des enveloppes d’une
manière aussi discrète que possible[ii] !
Bref, cette ouverture massive de lettres devait être
un vrai travail de fourmi. Sans compter le déchiffrage des écritures ! La
lecture de courriers électroniques a dû être, de ce point de vue, accueillie
comme un immense progrès dans les équivalents contemporains des officines déjà
évoquées.
Ce qui m’amène à une réflexion : et si, pour
conserver une certaine discrétion, en ces temps d’écoute généralisée (mais
aussi d’impatience et de paresse, y compris peut-être dans les cabinets noirs), nous ne revenions pas à
un usage plus large de la correspondance écrite,
sur du papier, glissée bien sûr dans des enveloppes[iii] ?
Mais, me rétorquerez-vous, que faire d’éventuelles lettres
compromettantes ? Voyons, vous n’avez jamais entendu parler du feu ?
De quelques charmes de la lettre
Citons, évidemment, ceux de la lettre que l’on est
en train d’écrire, ou que l’on s’apprête à écrire : quel papier, quelle
enveloppe, quelle encre choisir ? Quel ton employer, aussi ? Sur ce
dernier point, reconnaissons que la question se pose aussi pour le courrier
électronique, qui peut donc conserver un certain charme. Ajoutons le choix de
s’appliquer ou non en écrivant, et la possibilité d’ajouter des dessins de son
cru, des annotations ou des monogrammes farfelus aussi bien sur la lettre que
sur l’enveloppe (les monogrammes et dessins sont cependant à déconseiller à qui
n’a pas un minimum de « coup de crayon »).
Ces charmes deviendront, à l’autre bout de la
chaîne, la marque de l’attention portée par l’expéditeur au destinataire.
Songeons à ce dernier, lorsqu’il ouvre sa boîte à lettres : identification
de l’expéditeur par son écriture (bien plus agréable qu’un nom sur une liste de
courriers électroniques avec un titre bourré de re.tr.re.fw.re.re…), attente d’être chez soi, au calme, pour
décacheter l’enveloppe… selon l’expéditeur, cette attente pourra être
haletante… et même trop longue : l’enveloppe, parfois, sera ouverte dès sa
sortie de la boîte.
A tout cela s’ajoute, évidemment, dans certains cas,
l’attente fébrile d’une réponse de la part de la personne à qui l’on vient
d’écrire : deux jours, dans le meilleur des cas ! Et combien de
semaines, parfois : si le correspondant est à l’autre bout du monde,
certes, mais aussi s’il est paresseux, distrait, indifférent ou ennuyé ;
ces délais ont souvent une signification.
Et ils nous enseignent la patience. En même temps
que nos limites – tout ne se fait pas en
un clic. Un premier pas vers la
redécouverte d’une certaine frugalité ?
[i] Il est muni pour cela d’un
petit appareil, une bouilloire électrique percée de trous dont l’ordonnancement
est censé sans doute rendre facile et propre l’ouverture des enveloppes – trait
typiquement allemand, soit dit en passant, que ce besoin de disposer de moyens
exactement adaptés à une tâche donnée.
[ii] Mais, là encore, ayons
confiance dans le génie allemand et dans les plaisirs qu’il sait offrir à
d’innocents ingénieurs.
[iii] Même si je vous invite
toujours à lire Théorie de la carte
postale, de S. Lapaque…
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