jeudi 25 avril 2019

Notre Dame et la forêt des signes

Lundi 15 avril 2019, nous étions entrés depuis la veille, dimanche des Rameaux, dans la Semaine sainte. Comme chaque année, nous nous apprêtions à nous souvenir de la Passion du Christ avant de célébrer Sa résurrection. Avec plus ou moins de foi et de ferveur. Chacun a ses grandes et ses petites années.
Or voilà que ce lundi soir, donc, un rude coup nous était asséné : on annonçait que Notre-Dame de Paris était en feu.
En bon Parisien, je ne pus que pleurer. Mais je savais bien que mes larmes, jointes à celles de tous mes concitoyens pantruchards, ne pourraient rien pour éteindre ce désastreux incendie, qui avait déjà emporté la flèche de notre cathédrale. Donc, en bon (?) catholique, il me restait à prier. Le lendemain, on apprenait que l’incendie avait pu être maîtrisé, puis éteint. Notre-Dame, malgré l’ampleur des dégâts, était sauvée !
A peu près tout a déjà été dit ou écrit sur ces douloureuses heures. Ayant effectué mon service militaire dans le Service de Santé des Armées et non chez les carabiniers d’Offenbach ou dans le génie (comme diraient les tintinophiles), je ne viendrai guère, dix jours après les faits, répéter tout ce qui en a déjà été dit, ni faire part de mes inspirations uniques et fulgurantes. Je me contenterai donc de rappeler quelques signes.
Evidemment, la sidération et la tristesse n’ont pas touché les seuls catholiques, à Paris et dans le monde. Il est pénible d’envisager la disparition d’un monument présent – et vivant, donc plus qu’un monument – depuis plus de huit siècles ; c’est un rappel plutôt violent de ce que rien ici-bas n’est éternel. La peine, l’abattement, furent même plus grands, semble-t-il, pour les non-croyants. Les prières qui réunirent de nombreuses personnes sur les quais entourant l’île de la Cité en témoignent : ces personnes ne priaient pas pour le repos éternel de notre cathédrale, ce qui n’aurait eu aucun sens (et eût même été une forme d’idolâtrie), mais dans l’espérance. Les pompiers firent le reste (et quel reste !), avec dévouement et courage, et avec la compétence qui rend efficaces ce dévouement et ce courage.
Le sauvetage, non seulement des tours, des murs et d’une grande partie des voûtes de la cathédrale, mais aussi de vénérables reliques et surtout du Saint Sacrement prouvèrent que l’espérance des fidèles en prière n’était pas vaine. Et nous avons tous vu les photographies prises le mardi matin : au milieu des décombres, l’autel, intact, surplombé de la croix et, sur le côté, une humble et magnifique statue médiévale de la Sainte Vierge portant l’enfant Jésus, intacte elle aussi.
Certes, nous nous serions volontiers passé de ce désastre. Tout comme l’Eglise se serait bien passé des scandales qui se sont trop souvent produits en son sein, dont il a beaucoup été question ces derniers mois. Mais si ces scandales et ce désastre suffisent à nous faire perdre notre foi et notre espérance, en particulier lors de la Semaine sainte, c’est qu’elles étaient bien légères. Montrons plutôt à ceux qui ne les partagent pas un visage sincèrement joyeux : c’est Pâques, le Christ est ressuscité !
(Observons que c’est ce moment de l’année qu’ont choisi des assassins pour massacrer des centaines de catholiques sri-lankais en train de célébrer cette fête essentielle et joyeuse. Peut-être ont-ils cru pouvoir par leurs crimes nier cette joie essentielle. Certes, la douleur et l’horreur sont immenses devant de tels actes, mais ceux qui les ont commis perdent leur temps à faire tant de mal : à la fin des temps, nous savons bien que c’est Dieu qui triomphera et que le diable n’y pourra rien.)
Pour revenir à Notre-Dame de Paris, quid de la charité, puisqu’il a tant été question de foi et d’espérance ? On s’est offusqué devant l’ampleur des dons promis par quelques milliardaires en vue des travaux de restauration de la cathédrale : quid des pauvres ? La question n’est pas entièrement infondée : c’est bien joli de restaurer une belle cathédrale, mais il faut que cela ait un sens. Puisqu’il s’agit d’une église avant toute chose et que l’Eglise commande l’attention aux plus pauvres… Inversement, il serait plus qu’intéressant de demander à ceux qui ne voient pas de nécessité aux travaux de restauration de cette cathédrale quelle est la raison profonde de l’attention aux pauvres qu’ils revendiquent. C’est souvent dans de tels lieux, des lieux de prière, où l’on célèbre la messe, que naissent des engagements en faveur des pauvres.
J’ai employé à dessein le mot restauration. M. Macron a promis de « rebâtir » la cathédrale de Paris « en cinq ans », et de la rendre « plus belle qu’avant ». Pourquoi ne pas plutôt s’engager à lui rendre sa splendeur en prenant pour cela le temps qu’il faudra ? Ce serait un beau signe de patience et d’humilité. Nous verrions ainsi peu à peu cette belle église reprendre forme et revenir à son usage. Chaque année, à Pâques, par exemple, nous pourrions nous réjouir des progrès accomplis. Ce serait préférable à je ne sais quel geste architectural ou je ne sais quelle prouesse technologique, qui feraient de Notre-Dame de Paris un gros œuf de Pâques, clinquant et vide, disponible à l’exploitation pour les jeux olympiques de 2024[i].
Nous avons tous appris que la charpente de Notre-Dame, partie en fumée ce 15 avril, était surnommée « la forêt ». En brûlant, cette forêt nous en a fait entrevoir une autre : une forêt de signes. Puissions-nous en faire quelque chose de bon.
Joyeuses Pâques !


[i] Soit dit en passant : ceux qui s’offusquent des centaines de millions déjà promis pour restaurer Notre-Dame devraient lever au moins un sourcil en ce qui concerne le coût des jeux olympiques : voilà de l’argent qui n’ira probablement pas aux pauvres…

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