L’ignorance n’est pas
tout. Encore faut-il l’étaler avec aplomb. Ou alors avec bonhomie.
Ainsi, le jeudi de l’Ascension,
après la messe, profitant du caractère férié de ce jour et du temps point trop
chaud, j’étais parti errer dans Paris, où mes pas me guideraient. A l’angle de
la rue Racine et de la place de l’Odéon, je m’arrêtai devant la vitrine d’une
librairie. Sur la porte était apposé un carton sur lequel on pouvait lire
quelque chose comme :
« Notre librairie sera fermée
le mardi 8 mai
en raison de la
victoire sur le nazisme
et le jeudi 10 mai
en raison de l’ascension
de la Vierge. »
Va pour la victoire sur
le nazisme. Mais l’ascension de la Vierge ??? La louable intention
de rappeler pourquoi nous ne travaillons pas certains jours me parut gâchée par
cette grossière erreur. Que diront ces libraires s’ils ferment le 15 août ?
De telles bourdes ne
prêtent guère à conséquence, m’objectera-t-on. Le passant point trop ignare
aura corrigé de lui-même. Certes, mais il est un peu regrettable de les voir
commettre par des libraires, qui sont censés, justement, ne pas être trop
ignares.
Il en va autrement
lorsque les politiciens en commettent de pires. Après tout, ces gens exercent
des responsabilités. Les propos récents d’un M. Fauvergue, député « La
République En Marche » et ancien chef du RAID sur les « prêches
en latin » prononcés dans « certaines églises catholiques » ont
provoqué de vives réactions dans des milieux divers, qui vont de la plus
franche hialrité à l’indignation. Naturellement, les homélies – que M.
Fauvergue nomme « prêches » – ne sont pas prononcés en latin, au
moins depuis des siècles, étant dans la célébration d’une messe la partie que
même le moins lettré – souvent non latinisant – est censé comprendre. Apparemment,
cela doit faire un certain nombre de siècles que M. Fauvergue ne s’est pas
rendu à la messe. Et il ignore tout, semble-t-il, de Bossuet.
Ceci a déjà été dit ou
écrit ailleurs : en évoquant ces « prêches », ce député a voulu
faire un parallèle avec ceux prononcés, paraît-il, en arabe dans certaines
mosquées sises en France et dont il faudrait surveiller la teneur. Ce parallèle,
outre qu’il est faux, est nuisible. Il ne permet pas de comprendre ce qu’ont de
spécifiquement dangereux certaines interprétations d’une religion bien
particulière. Au lieu de chercher à le comprendre – et à le faire comprendre –,
M. Fauvergue, en bon républicain de base, le noie dans une méfiance généralisée
envers « les religions », autrement dit envers une notion vague et
insaisissable. Rien de neuf là-dedans : nous avions déjà eu droit il y a
quelques semaines au coup du « voile catholique » que M. Castaner,
lequel est, paraît-il, ministre, disait avoir vu sa mère porter il y a quarante
ans environ.
Il est tout à fait
loisible de hausser les épaules, de sourire, voire de rire à s’en étouffer,
devant de telles imbécillités. Et même, pourquoi pas, d’attendre avec
gourmandise la prochaine pitrerie de M. Castaner, dont la mission au sein du
gouvernement semble être d’y apporter une petite note de comique pagnolesque. Peut-être
faut-il aussi gratter un peu le vernis républicain pour découvrir en-dessous
quelques noirceurs gênantes. J’y reviendrai.
Encore mieux, pourquoi ne
pas chercher à évangéliser tous ces gens, du sympathique libraire au
pittoresque ministricule ? Si jamais ils rechignent à se laisser entraîner
dans une église pour y entendre la messe, indiquons-leur toujours l’entrée de musées
où l’on expose quelques merveilles de peinture religieuse exécutées par des
artistes que l’on qualifie avec une injuste condescendance de primitifs.
Italiens, flamands ou allemands, même lorsqu’ils ne sont plus exposés que pour
la beauté de leurs œuvres, leur éloquence et leur inspiration demeurent souvent
intactes.
Par exemple, je garde
encore l’éblouissement que j’éprouvai, il y a déjà plus de six ans, devant le Couronnement
de la Vierge de Fra Angelico. Comment ne pas nous sentir touchés par l’invitation
que semblent nous adresser quelques-uns des saints réunis en cette vision
à nous joindre à leur contemplation ? L’exposition était, il est vrai,
temporaire, et ce merveilleux tableau s’en est retourné depuis à la galerie des
Offices, à Florence.
Pour ce qui est des « primitifs »
allemands, nous avons la chance, en France, d’avoir le musée d’Unterlinden, à
Colmar. Un visiteur, même distrait, en sortira en retenant pour toujours les
noms de Schongauer et de Grünewald. Il ne pourra pas oublier, surtout, certains
de leurs chefs-d’œuvre. Huysmans, dans Trois primitifs, a longuement
décrit le retable d’Issenheim, peint par Grünewald, notamment le sourire du
Christ ressuscité… Schongauer est peut-être plus « accessible », avec
des retables fort narratifs et expressifs, dont on pourrait dire qu’ils ont été
peints secundum Scripturas. Invitons donc libraires, députés et
ministres à s’en émerveiller !
Observons aussi que le
musée d’Unterlinden fut installé au milieu du XIXe siècle dans un ancien
couvent, fermé pendant la Révolution. Et que certaines des merveilleuses peintures
qui y sont exposées furent saisies dans des églises pendant la même Révolution.
L’extraordinaire retable d’Issenheim fut, quant à lui, caché pour échapper à de
telles saisies et à une possible destruction. Huysmans observait déjà, dans ses
Trois primitifs, que malgré toutes ces tribulations, dans la grande nef
d’Unterlinden, « les fêtes de l’Annonciation, de la Nativité, de la
Semaine sainte, de la Pâque, s’y célèbrent, dans dates de jours, ensemble,
au-dessus des siècles et au-delà des temps ». Ajoutons que la
compétence des muséographes contribue à rendre intelligibles au visiteur les œuvres
exposées, qu’il faut prendre le temps de parcourir. Voilà la seule, la
douce revanche sur les violences de la Révolution.
Mais j’avais promis de
revenir sur ce qui semble gêner nos bons républicains dans l’évocation de
certaines boursouflures monstrueuses de l’islamisme contemporain. Eh bien, la
rage de détruire, de « purifier » et souvent de tuer, voire de
massacrer art et hommes, voilà qui n’est pas étranger à certains moments de la
Révolution française, tant glorifiée chez nous. Il y a des pages fort
intéressantes à ce sujet au chapitre III (« La terreur en question »)
des Aveuglements de Jean-François Colosimo.
J'ai eu l'occasion de visiter Colmar et le musée Unterlinden au moment de l'exposition « Otto Dix et le retable d'Issenheim » fin 2016 ; Dix fut une redécouverte, je ne connaissais de lui que les tableaux illustrant l'immédiat après-guerre en Allemagne, mais j'ignorais tout de sa peinture religieuse (son Annonciation, par exemple). Malheureusement, c'était une exposition temporaire...
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