Impitoyables, les saisons
se succèdent. Selon notre humeur, nous éprouvons de ce fait de l’impatience, de
la nostalgie ou de l’ennui. Ainsi, après la rentrée littéraire, voici
revenir la saison des prix littéraires. Cela passera. En attendant, on
serait tenté de croire que les éditeurs (annonçant désormais la couleur sur les
bandes qui ornent leurs nouveautés d’automne : « rentrée littéraire »)
et les jurys considèrent les écrivains comme des écoliers. Quant aux écrivains,
se prennent-ils au jeu ? Quelques-uns, entre la rentrée et la remise des
prix, trompent peut-être leur anxiété en songeant avec regret à l’été et à la
saison des mirabelles, qui annonce l’approche de cette fameuse rentrée.
L’élève Duteurtre a remis
une copie cette année : Livre pour adultes. L’auteur de Ballets
roses ferait-il dans l’égrillard ? Point : il nous emmène plutôt
du côté des regrets et, pourquoi pas, des mirabelles, puisqu’il est parfois
question dans ce livre d’un petit village des Vosges.
La nostalgie d’un monde
passé, imparfait mais où l’homme avait sa place, avant d’être écrasé et
desséché par la modernité, n’est pas une nouveauté chez Benoît Duteurtre. Elle rôde
toujours au détour de ses romans, quand elle n’en est pas l’argument même, ce
qui est aussi le cas de certains de ses essais. Ajoutons à cela que Benoît
Duteurtre produit depuis longtemps sur France-Musique une émission où sont
célébrées de vieilles gloires de la musique légère[i].
Comment, dans ces
conditions, se renouveler ? Comment éviter à l’heure de la remise des prix
une appréciation mêlant l’estime et la lassitude, comme : « l’élève
Duteurtre a comme toujours de belles qualités, ses copies sont agréables et
bien présentées, mais il traite toujours le même sujet. » ? En
battant les cartes, par exemple, ou en feignant de les battre pour les
juxtaposer : ainsi semblent se mêler souvenirs, évocations d’êtres aimés
ou rencontrés, brèves fictions, essais… Tout réside alors dans l’art d’y mettre
de l’ordre.
A bien y réfléchir, l’ordre
n’a pas dû être difficile à établir pour Benoît Duteurtre ; chaque morceau
trouve sa place dans un chapitre reflétant un de ses thèmes de prédilection (ou
faut-il dire : une de ses obsessions ?) : la fuite du temps (et
son effet sur nous), la mise à mort du voyage par le tourisme de masse (sous le
titre astucieux de « Voyage au bout du voyage »), la transformation
des villes en panneaux publicitaires, la désertification des campagnes, les
articulations paradoxales (où personne n’est innocent) entre la modernité, la
post-modernité et l’anti-modernité…
Ces articulations sont le
prétexte de jolies et cruelles nouvelles (« Fou de musique », « La
tribu » et « Le monastère ») qui sont peut-être les meilleurs
morceaux de ce livre, avec l’évocation (« Mon village ») des effets
dévastateurs de la modernité sur un patelin des Vosges et sur la vie de ses
habitants – ou ce qu’il en reste.
L’ensemble est
agréablement écrit, comme toujours chez Duteurtre, qui cherche probablement
plus à provoquer la réflexion (et ce de manière plaisante) que l’éblouissement.
La disparition, et avant elle la décrépitude, des êtres aimés et d’un monde
familier ou attisant la curiosité, donnent à l’ensemble une tonalité triste,
sinon sombre, qui justifie son titre : c’est bien un livre pour adultes[ii]. En revanche,
la mention « roman » apposée sur la couverture par les éditions
Gallimard laisse perplexe.
[i] « Etonnez-moi, Benoît »,
titre qui est aussi celui d’une chanson créée par Françoise Hardy, sur des
paroles d’un jeune inconnu nommé Patrick Modiano, spécialisé depuis dans le
roman où l’on rumine doucement – mais sans grande nostalgie – le passé.
[ii] Dans un tout autre
registre, je songe aux Fraises sauvages,
d’Ingmar Bergman, où la bru du héros cloue sèchement le bec à un couple en
train de se disputer, afin de ne pas ôter trop tôt leurs illusions à trois
jeunes gens qui assistent à la scène…
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