Les commentaires que deux
de mes lecteurs ont eu l’obligeance de laisser à propos de mon billet précédent
sont intéressants par leur apparente opposition, que je qualifierais plus
volontiers de complémentarité. On pourrait les résumer comme suit :
(1) Les Gaulois nous sont étrangers et ne signifient plus grand-chose pour
nous, à part quelques clichés peu vérifiables pour nous autres, commun des
mortels.
(2) Les Gaulois ont laissé plus de traces dans notre pays que nous ne le
soupçonnons, ce dont témoigne notre toponymie.
Pourquoi ces arguments
sont-ils plutôt complémentaires qu’opposés ? Eh bien, parce que si la proposition
(2) est incontestable, elle ne permet de rien relever de plus dans notre
éventuel héritage gaulois que la présence de traces, certes nombreuses, mais
qui se limitent à des noms dont la plupart d’entre nous ignorent la
signification et que nous prononçons sans y penser : où l’on retourne à la
proposition (1).
De là le peu de
pertinence à se réclamer de « nos ancêtres les Gaulois » pour
célébrer le génie français. Il est bien des aspects de l’histoire, parfois
assez anciens, que nous pouvons dire nôtres de manière plus sûre et plus
éloquente.
Mais, à propos d’héritage,
cette expression, nos ancêtres les Gaulois, peut susciter d’autres
réflexions. Celles-ci sont également provoquées par un problème aigu de ce que
certains nomment la modernité tardive : celui de la transmission
et, pourquoi pas, des traditions.
L’autre jour, en
entendant une émission de radio, j’appris que, désormais, pour garantir la
conservation d’œuvres cinématographiques récentes (tournées sur des supports
numériques), on en fait des copies sur pellicules, tant la durée de vie des
supports numérique est brève comparée à celle d’une pellicule. Nous n’en sommes
pas toujours conscients : ainsi, nous croyons souvent que numériser des
documents contribue à leur conservation. Cela est vrai tant que les fichiers
ainsi créés sont lisibles : que leurs supports périssent (relativement
vite, semble-t-il) ou que de nouveaux systèmes d’information apparaissent jusqu’à
supplanter leurs prédécesseurs…
Naturellement, il pourra
m’être objecté que les supports sur lesquels on recopie les documents ont
toujours varié. Mais, pour ne prendre que les livres, on ne numérise ceux-ci
que depuis peu, tandis qu’on les imprime depuis cinq cents ans, après les avoir
copiés et recopiés à la main pendant… Observons en outre que, pour lire un
livre, point n’est besoin d’équipements particuliers autres que ses propres
yeux et ses propres mains ; en somme, pour lire un livre, il suffit de
savoir lire (et de connaître la langue dans laquelle il est écrit).
La photographie et l’enregistrement
sonore étant des inventions plus récentes, elles sont plus intimement liées aux
solutions techniques censées les servir. De sorte qu’il m’est par exemple
difficile d’écouter mes cassettes, tandis que je suis équipé pour mes disques
78 tours : la cassette remonte aux années 1960 et a mis environ quarante
ans à devenir parfaitement illisible, alors qu’avec quelque patience et
quelques efforts, on trouve encore des tourne-disques disposant de la bonne
vitesse pour lire des disques gravés disons entre 1905 et 1955.
L’obsolescence accélère,
en somme : c’est toujours un moyen pour les industriels de perpétuer leurs
ventes. Cela dit, ce procédé (de bonne guerre économique ?) fait toujours
courir un risque de perte massive de documents et partant de mémoire, voire de
compréhension.
Cette accélération,
parallèlement, opère aussi dans les mentalités : l’Europe, ces deux cents
dernières années (en gros), a souvent rompu de manière tout à fait consciente
avec son passé, mue la plupart du temps par des volontés politiques. L’affaissement
des humanités ces derniers lustres témoigne d’une certaine accélération, tout-à-fait
voulue, dans le processus.
Du reste, gauche et
droite, révolutionnaires et capitalistes, aucun n’y trouve à redire : il
vaut mieux disposer de cerveaux privés de toute référence pour les emplir de
propagande d’Etat ou de publicité commerciale.
De sorte que bientôt, si
cela continue, nous n’aurons plus loisir de nous demander si les Gaulois étaient
nos ancêtres, mais il nous faudra nous demander si nos ancêtres (et même
parfois nos proches ancêtres) ne seront pas comme des Gaulois pour nous. Et nous
serons peut-être aussi des Gaulois pour nos enfants. Il restera bien quelques
traces pour le plaisir des érudits…
Il est tout de même un peu paradoxal de dire que l'expression "nos ancêtres les Gaulois" n'est pas pertinente et d'affirmer en même temps que "nous sommes tous des Africains" (titre d'un livre du paléontologue Michel Brunet, le co-découvreur de Toumaï). Le discours sur les racines a été de tout temps très marqué par l'idéologie. Pour moi, si la seconde proposition est vraie, je ne vois pas pourquoi la première serait fausse.
RépondreSupprimerOui, c'est juste. Et notons au passage que nous dire Africains, même si cela est probable, a encore moins de sens que nous dire Gaulois car, comme vous l'indiquiez dans votre commentaire à mon billet précédent, les Gaulois ont laissé d'incontestables traces.
SupprimerS.L.