« Mais nous n’avons
pas de costumes de bain ! » s’exclame la jeune fille, avec juste ce
qu’il faut d’accent allemand pour être charmante. Cette réplique, tirée de Frantz,
le nouveau film de François Ozon, a servi d’illustration sonore dans une
récente émission de France-Culture. Je fus surpris d’entendre l’animatrice de
cette émission – où Ozon était invité – répéter avec gourmandise cette réplique
avant de glousser d’un rire qui sembla gagner l’ensemble du studio.
Force m’a été de m’interroger
sur la raison de ce rire. S’agissait-il de se moquer de la pudeur – forcément
surannée – d’une jeune fille de 1920 (époque où se déroule l’action du film)
avec toute la condescendance de mise chez les esprits modernes pour nos
mœurs passées (nous sommes tellement plus éclairés, de nos jours…) ? Ou ce
rire résultait-il seulement d’un télescopage avec l’attention portée ces
dernières semaines aux costumes de bain en France ?
De fait, dans la
lamentable affaire du burkini (nous avons décidément les affaires
Dreyfus que nous méritons), n’avons-nous pas entendu ce que nous pourrions
appeler le parti de l’Autre (avec en tête M. Edwy Plenel, immarcescible
altermoustachiste) faire un hasardeux, voire absurde, parallèle entre le
burkini et les charmants costumes des baigneuses de 1900 ou 1910 ? Cependant,
dans le camp opposé à celui des autristes, certains arguments tout aussi
stupides ont fleuri, laissant entendre que la seule tenue décente pour une
femme qui va à la plage serait la quasi-nudité.
Que penser devant de tels
déballages de bêtise, voire d’hystérie ? Certes, le burkini est évidemment
utilisé par celles qui le portent comme une bannière identitaire pour le moins
mal venue. Ne pas y réagir serait donc une manière de céder du terrain aux islamistes
de tout poil. Mais y réagir en envoyant la police forcer des femmes à se
dévoiler et en donnant pour exemple la libre femme française à peu près à poil,
voilà deux cadeaux faits aux islamistes : leur permettre de prétendre que
les musulmans sont persécutés chez nous et que nos idéaux sont réduits à
l’impudeur (ou au voyeurisme) et à l’avachissement.
Peut-être faudrait-il en
faire un livre entier, accumulant de nombreux et subtils arguments. Ou y
répondre par de vigoureux et ostentatoires haussements d’épaules. Entre les
deux se trouvent mille manières de tomber dans le piège évoqué plus haut.
(Observons au passage une
curieuse symétrie entre la femme quasi-nue et la femme burkinisée : les
deux, sur les théâtres que constituent les plages, imposent aux autres le
spectacle d’une conception, qu’elles croient être la leur, de leur corps ;
l’une se veut libérée de je ne sais quels tabous et tient à le montrer,
tandis que l’autre veut absolument montrer à tout le monde sa modestie et sa
soumission à sa propre loi ; il faudrait longuement expliquer en
quoi, dans ces comportements plus apparentés l’un à l’autre qu’on ne le
penserait à première vue, l’extrême modernité et l’archaïsme se mêlent, comme
souvent.)
Le mot burkini et
son étymologie – mêlant burqa et bikini[i] – se
prêtent par ailleurs à de nombreux jeux de mots que je vous épargnerai[ii].
Cependant, je trouve regrettable que l’on n’ait pas pensé par exemple à birka,
qui est aussi le nom d’une ancienne ville suédoise. Cela nous aurait rappelé un
bon morceau de quelque saga, ici résumé :
Un chef viking, nommé
Ragnar, faisant escale sur un rivage paisible après quelque expédition, envoya
un de ses hommes chercher de l’eau. Celui-ci, à son retour, rendit compte à son
chef d’une rencontre qu’il avait faite en chemin : celle d’une bergère à
la beauté ineffable. Le chef voulut évidemment se faire son idée d’une pareille
beauté, sans s’en contenter toutefois : il voulait savoir si cette bergère
avait quelque jugeote. Il ordonna donc à cet homme de retrouver la bergère et
de lui demander de venir le voir, lui, Ragnar, le lendemain, quand ce ne serait
ni le jour ni la nuit ; elle ne devrait porter aucun vêtement, mais sans
être nue ; personne ne devrait l’accompagner, mais il ne fallait pas
qu’elle vînt seule ; et elle ne devrait pas avoir mangé, tout en n’étant
pas à jeun. La jeune fille vint donc à l’aube, avec son chien ; elle
mâchait une pelure d’oignon et, ce qu’il fallait cacher, elle l’avait caché au
moyen d’un filet de pêche. Sa sagesse venant parfaire sa grande beauté, Ragnar
lui demanda de l’épouser…
Le moins que l’on puisse
dire est que l’on ne voit guère une telle sagesse s’épanouir chez nos
politiciens. Tous se jettent sur le moindre sujet de polémique pour débiter
quelque discours mécanique sans aucune crainte du ridicule. M. Valls, en
particulier, s’y applique avec une constance qui serait à son honneur si notre
pays n’était pas dans une situation inquiétante. Il y met des trésors
d’éloquence républicaine. Comment ne pas goûter une de ses récentes sorties, comme
« Marianne a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple, elle n’est pas
voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça, la
République ! » ?
Les habitués de Chatty
Corner savent le goût professé ici pour l’œuvre de Roger Nimier, en
particulier pour Perfide, où un tel morceau d’art oratoire eût pu trouver toute
sa place. D’ailleurs, vu le ton caricatural pris par à peu près n’importe quel
discours politique en ce moment, il est légitime de se demander si les
historiens futurs, pour décrire notre époque, ne seront pas obligés d’enrichir
notre grammaire en inventant un temps : le plus-que-Perfide.
[i] Force est donc de rejeter
l’hypothèse d’un nom suisse allemand – Bürki, par exemple – italianisé pour
paraître plus raffiné. D’ailleurs, cela donnerait burchini.
[ii] Je me contenterai donc de
vous renvoyer à l’excellent traitement qui en est fait chez Fromage Plus, ici.
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