La bouffonnerie des discours politiques (ou
politiciens ?) contemporains n’est plus à démontrer. Naguère, M. Sarkozy
avait déclaré qu’il irait chercher la croissance avec les dents. Un homme
cherche plus souvent à l’aide de ses mains, de son cerveau ou de ses yeux. Mais
avec les dents ! Voilà qui
relève du prodige. Qu’on se rassure, celles de M. Sarkozy sont à ce qu’on
dit toujours aussi longues.
M. Hollande, quant à lui, avait promis pour fin 2013
d’inverser la courbe du chômage. Tous
les journalistes l’auront noté : il y a échoué. Et d’aucuns de le traiter
d’incapable. Or, s’il n’y est pas parvenu, c’est que c’était tout simplement
impossible.
Je m’explique : on peut essayer de faire
diminuer le nombre de chômeurs, ou tout au moins de ralentir son
accroissement. Mais, à force d’images
voulant se donner un ton – sinon scientifique – gestionnaire, on nommera courbe du chômage l’évolution au cours
du temps du nombre de chômeurs. Admettons, quoique parler de chômeurs nous
rappelle qu’il s’agit de personnes dans une situation peu enviable et non de
points sur la représentation graphique d’une statistique. On peut alors
infléchir une courbe, à la rigueur. Mais l’inverser,
personne ne sait ce que cela signifie exactement. Ce vague eût pu profiter à
notre président, mais les journalistes en ont décidé autrement : il faut
considérer cette inversion comme un échec.
Ici vient le plus drôle : pour faire oublier
cet échec, il a été question dans la grosse presse d’enterrer l’inversion de la courbe du chômage. Soit : inhumer
une notion abstraite rendant faussement compte d’une réalité concrète. Si
quelqu’un a compris quelque chose, je l’en félicite, car pour ma part j’y
renonce.
Une cascade d’écrans de fumée
(Cet intertitre est un peu alambiqué, j’en conviens,
mais au point où nous en sommes…)
Comment
enterrer l’inversion de la courbe du chômage ? Puisque l’empilement
d’images approximatives ne choque personne, eh bien, ne craignons rien :
avec des écrans de fumée…
Le premier ? Le Mariage pour tous, voyons. Tout le monde l’a remarqué :
pendant qu’on s’écharpait à ce sujet, on ne parlait pas du chômage. La faute au
gouvernement, pour les opposants, la faute aux opposants, pour le gouvernement.
Reconnaissons à cette dernière accusation une certaine habileté : « bande d’égoïstes ! Alors que nous
devrions nous unir, vous vous cabrez contre une mesure que nous avions promis
de prendre et par laquelle des gens acquièrent des droits qui ne vous ôtent
rien ! » Mais patatras : le reproche est retourné par les manifestants
qui, par centaines de milliers, ont scandé : « Touche pas au mariage, occupe-toi du chômage ! »
Ici, les fumigènes avaient visiblement été mal
dimensionnés : l’écran de fumée commençait à ressembler à un incendie. Que
faire dans ce cas ? Eh bien, camoufler l’incendie par d’autres écrans de
fumée ! Tout aura été bon en 2013. Citons, pour faire vite :
l’affaire Méric (ou comment faire d’une bagarre entre fanas de coups de poings qui
finit tragiquement un symbole de la lutte antifasciste), le tireur de libération (encore un
fasciste ; bon, finalement, c’était un gauchiste tendance anar ; pas
vendeur, ça, coco, on le retire vite), ou les indignations alimentaires de
toutes sortes (bananes, ananas et quenelles[i]).
Tout cela fut opportunément assimilé par le
gouvernement aux opposants à sa politique sociétale, jusqu’au pitoyable Jour de colère, prétexte rêvé pour
annoncer que la Manif pour tous du 2
février serait du même tonneau.
Sur ce terrain, rien de bien convaincant. M.
Hollande et son gouvernement ont tenté divers chocs et pactes pour se
donner un air affairé et montrer qu’ils n’oublient pas les vrais problèmes, eux.
Quelle a été la réaction ? Des haussements d’épaules tout juste polis, il
me semble. Pas de chance.
Tout aura été essayé. Même les contes de fées. Mais,
là encore, aucun succès : qui se souvient de la France en 2025 ?
Pour un renouvellement de la théorie du complot
Ces séquences désordonnées ont fini par éveiller des
soupçons qui pourraient aussi bien être des symptômes de paranoïa : et si
non seulement toute l’action du
gouvernement n’était qu’une vaste diversion, mais aussi une bonne partie des
manifestations d’hostilité qu’elle rencontre ? Je pense en particulier aux
plus navrantes et stériles de ces manifestations : bananes, quenelles et
ananas, comme déjà dit, mais aussi la manifestation Hollande démission du 19 janvier (la Manif contre un ? Quelques pelés : encore raté !) et
le déjà cité Jour de colère du 26[ii]
(la Manif contre tout ?). Sans
compter les « folles rumeurs » sur l’enseignement de la théorie du genre : comment faire
passer en douce un projet ? En ne laissant s’exprimer que les formes les
plus délirantes (ou tout simplement les plus stupides, comme le Tout le monde à poil qui excite tant M. Copé) d’opposition à celui-ci !
Alors, tout ne serait que complot ? La Manip de tout, en somme ? L’ennui,
avec une aussi jolie théorie, c’est que, si elle est vraie, alors je suis
inquiet pour le gouvernement : il semble avoir fini par s’intoxiquer
lui-même et par ne plus être en mesure de faire la part des vraies mesures et
celle des diversions dans ce qui lui tient lieu de politique[iii].
Tant que ces dames et messieurs y sont, afin de
détourner l’attention de cette confusion, pourquoi ne pas imaginer cet été la France en 2026 ?
Sans que tout cela soit follement réjouissant,
reconnaissons que c’est assez drôle, quand même. Cela donne envie de relire Le nommé Jeudi[iv],
de Chesterton. Ou encore certains romans de Pynchon (en particulier L’arc-en-ciel de la gravité[v]). Et,
en matière de paranoïa, les inconditionnels de cette chronique pourront aussi
faire un tour dans ma « librairie ». Au moins, voilà qui me fera
plaisir.
[i] Ces
deux derniers aliments, particulièrement indigestes, ayant été fournis par la
douteuse maison Dieudoral et Sonné,
spécialisée dans l’épicerie pas fine où elle mène un commerce apparemment fort
lucratif.
[ii] Manifestation
fort opportune pour dénoncer la « menace fasciste ». Par ailleurs,
pour confirmer cette « menace », une manifestation d’antifas contre un rassemblement du Front
National, samedi 9, à Rennes a donné lieu à quelques scènes d’émeutes. On peut
supposer que ces violences peuvent permettre au gouvernement de dire que le FN
représente un risque de trouble à l’ordre public, ou alors de favoriser le vote
FN. Ou de prouver son incompétence complète en matière de maintien de l’ordre
(le 2 à Paris, la police a interpellé préventivement une douzaine de gudards, mais n’est pas capable de
prévenir de même des débordements antifas…).
[iv] Pour les anglophones : The
Man Who Was Thursday. Un roman paru en 1908 !
[v] Gravity’s Rainbow, 1973.
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