Dans mon billet précédent, j’étalais sans aucune
pudeur le programme de mes lectures et relectures pour des vacances qui
approchent encore – c’est là le meilleur moment des vacances : quand
elles sont imminentes. Peut-être avez-vous déjà prévu ce que vous allez
lire ? S’il reste un peu de place dans vos bagages, songez aux quelques
petits trésors que voici.
Felicidad et Paris-Berry de Frédéric Berthet
Connaissez-vous Frédéric Berthet ? Encore moins
que moi ? C’est un écrivain dont la vie fut trop courte (1954-2003) et
dont « la petite vermillon » a récemment réédité deux ouvrages :
Felicidad et Paris-Berry.
Le second consiste en un recueil d’impressions, de
rêveries et de réflexions qui seraient celles d’un écrivain (Berthet lui-même ?)
installé quelque temps dans la campagne berrichonne pour essayer, au calme,
d’écrire un roman. Ces notations sont brèves et confinent souvent au loufoque,
tout en touchant parfois à une certaine vérité. On n’est pas loin, par moment,
des textes de L’autofictif, d’Eric
Chevillard. Comment résister à : « C’est ici qu’un jour de juin
Pouchkine et moi eûmes toutes les peines du monde à retenir Brasillach d’y
aller acheter une bouteille de champagne. » ?
(Je sors volontairement cette citation de tout
contexte, car le contexte possède lui-même sa dose de fantaisie, que je ne
voudrais pas dévoiler.)
Felicidad est un recueil de nouvelles plus longues et
charpentées (dont celle qui lui donne son titre), mais toujours aussi
farfelues, quoiqu’un peu teintées de mélancolie, comme Un père ou, justement, Felicidad.
Cette dernière nouvelle a le charme triste et ironique du meilleur Déon. La
plus personnelle (ni du néo-Déon ni du paléo-Chevillard) serait peut-être Beaucoup d’autres endroits, qui a ma
préférence. A vous de vous faire la vôtre.
L’esprit des lettres (II), de
Jacques Laurent
Sabretache et hongroise ! Encore un hussard !? En voici donc un autre
que Nimier, un vrai, estampillé d’origine. Bien que l’intéressé ait précisé
dans son Histoire égoïste qu’il avait
été fantassin.
Les éditions de Fallois nous avaient livré en 1999
un premier volume de cet Esprit des
lettres, où l’on pouvait lire quelques textes de Jacques Laurent parus dans
la Table ronde puis dans la Parisienne, avant 1954. Le célèbre Paul et Jean-Paul (parallèle amusant et
argumenté entre Jean-Paul Sartre et… Paul Bourget) s’y trouve.
Cette fois, voici des articles parus dans Arts entre 1954 et 1958 – principalement
des éditoriaux – ainsi qu’une lettre ouverte de 1965 (« Cher François Mauriac… ») au sujet de son récent
pamphlet Mauriac sous de Gaulle. Ce dernier
article résume assez bien les sentiments de Laurent pour Mauriac :
admiration pour l’écrivain, détestation des prises de position politiques de
l’éditorialiste, souvent incohérentes ou inconséquentes au fil du temps, à
l’occasion desquelles il arrive même que Mauriac oublie, selon Laurent, tout le
talent, voire le génie, que l’on peut apprécier dans ses romans.
Les éditoriaux sont ceux d’un directeur qui tente de
faire comprendre à ses lecteurs qu’il veut faire d’Arts (chaque semaine !) un périodique sans
« ligne », qu’elle soit politique ou esthétique, privilégiant la
liberté et le talent. Sans avoir peur de publier des articles ou des critiques
qui se contredisent les uns les autres. Maintenant encore, les lecteurs des
journaux, mais aussi leurs directeurs ou leurs propriétaires, devraient en
prendre de la graine : pas d’entre
soi qui tienne, sinon celui du talent, de l’intelligence et de la liberté.
(A ce sujet, notons qu’Arts, sous la direction de Jacques Laurent, accueillit de nombreux
articles du jeune François Truffaut, où celui-ci put jouir de la liberté
d’assassiner – parfois injustement – la quasi-totalité des réalisateurs de
cinéma de l’époque.)
Outre ces éditoriaux, on trouve des reportages
bienveillants, admiratifs et amusés (comme Huit
jours avec Dasté, paru en 1958, sur la Comédie de Saint-Etienne, troupe
dirigée par Jean Dasté), ou plus souvent de brefs pamphlets au ton élégant et
narquois, sur la littérature engagée (Sartre et Camus y prennent cher), la
sociologie (Douloureuse conscience de la
machine à laver, 6 mars 1957) ou divers vagissements de notre monde moderne
et post-civilisé, alors en train de naître (mariages princiers à Monaco,
bouillie journalistique, culte des stars…). Et aussi une intéressante
justification du fait de tenir des propos sur les arts et les lettres alors que
les troupes soviétiques perpètrent les massacres que l’on sait, à Budapest en
1956 : « N’ayons pas honte chaque semaine, même la semaine où
Budapest, la ville sans peur et sans vitres, brûle, de continuer cette
sensibilité, de l’illustrer, de la défendre ne fût-ce qu’en signalant un livre
ou un tableau. Car c’est elle qui est l’espoir de ceux qui sont livrés à la
Force. »
Voilà une littérature « engagée » qui me
plaît.
A la légère, de Michel Déon
Ne descendons pas de nos chevaux (de hussards) et
signalons le recueil de nouvelles joliment fait, paru ce printemps sous ce
titre aux éditions Finitude. Quelques amuse-gueule sans conséquence, préparés
dans les années 50 par le maître. On pourra leur reprocher de manquer de
l’amertume habituelle de Déon, sauf peut-être Une nuit à Formentera, la dernière et meilleure nouvelle de ce
recueil. Mais le charme et l’ironie y sont quand même.
Un joyeux post-scriptum
Un mot – pour changer de sujet – à propos de Nicolas
Bernard-Busse, le jeune prisonnier politique (je maintiens l’appellation) que
je ne manque pas d’évoquer dans chacun de mes billets depuis à peu près trois
semaines : sa comparution en appel a eu lieu hier et le voici libre, avec
une amende pour toute condamnation. Les magistrats auront ainsi dû se livrer à
quelques contorsions pour ne pas trop faire apparaître l’évidence, à savoir que
ce jeune homme n’avait à peu près rien à se reprocher.
Quoi qu’il en soit, il est permis de se réjouir (ou
de rendre grâce) de sa libération. Et de lui souhaiter de passer un été serein,
propice au pardon. Mais pas à l’oubli : on sait désormais, hélas, à quoi
s’en tenir avec certaines autorités.
Et pour compléter cette célébration du 14 juillet, je ne résiste pas au plaisir de citer ces quelques phrases connues, extraites des Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand (pas toujours un modèle de journaliste documentaire, c'est entendu) :
RépondreSupprimer"Le 14 juillet, prise de la Bastille. J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un timide gouverneur : si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne fût entré dans la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non par les invalides, mais par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours. De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages, est assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville ; le prévôt des marchands, Flesselles, a la tête cassée d'un coup de pistolet ; c'est ce spectacle que des béats sans coeur trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies, comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et des sans-culottes commençaient à régner, et leur faisaient escorte. Les passants se découvraient avec le respect de la peur, devant ces héros, dont quelques-uns moururent de fatigue au milieu de leur triomphe. Les clefs de la Bastille se multiplièrent ; on en envoya à tous les niais d'importance dans les quatre parties du monde."
Les clefs de la Bastille ou les pierres du mur de Berlin, c'est toujours le même petit trafic. Bref, cette belle description d'un noble moment de soulèvement populaire au nom d'un idéal de justice, comment dire ? relativise nos commémorations.
Peut-être ce commentaire porte-t-il plutôt sur mes "quelques réflexions à la volée", auquel cas il est plus que pertinent.
SupprimerPour le compléter, comment ne pas citer encore les "Mémoires d'outre-tombe", cette fois sur la visite que fit Chateaubriand à George Washington en 1791 :
"... Nous n'étions que cinq convives. La conversation roula sur la Révolution française. Le général nous montra une clef de la Bastille. Ces clefs, je l'ai déjà remarqué, étaient des jouets assez niais qu'on se distribuait alors. Les expéditionnaires en serrurerie auraient pu, trois ans plus tard, envoyer au président des Etats-Unis le verrou de la prison du monarque qui donna la liberté à la France et à l'Amérique..."
Ce qui me rappelle une réplique dans "A bout de souffle" : "Les Américains, vous n'aimez que ce qu'il y a de plus con en France : La Fayette et Maurice Chevalier". Godard, Belmondo, Chateaubriand, même combat ?